CHRONIQUE LITTERAIRE DU PROF YOKA : Nyiragongo, déplacer  Goma  ou déplacer le volcan ?

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Confidences du chauffeur du ministre

… Mon patron le ministre d’Etat revient de Nyiragongo, du volcan en furie. Mon   ministre est d’autant plus ébranlé  qu’il a vu de ses propres yeux l’irruption volcanique. Commentaires du ministre : « Impressionnant ! Ici,   Dieu a peut-être créé l’Histoire, mais  le Diable a créé la géographie, la  géologie ». Or,   tout cela n’est rien par rapport à ce que notre ministre a appris de la part d’un dresseur d’éléphants, en même temps garde du Parc Virunga. Ce magicien  dresseur d’éléphants  dialogue, on ne sait comment, et  en langage codé    d’initié, avec des mammifères pachydermes. Barétant, barrissant ou trompetant, selon les propos, les intuitions ou les sensations, l’éléphant   émet  un vocabulaire  certes énigmatique pour le commun des mortels, mais si limpide pour le magicien  dresseur. Et voici la version émanant du pachyderme, telle que traduite pour notre ministre par le magicien dresseur d’éléphant :

« Moi, Pachyderme, mémoire de Patriarche dans ce Parc, combien de volcans n’ai-je pas affrontés ! Des volcans précoces, présomptueux mais brefs ; des volcans paresseux mais par vagues d’éjaculations  irrépressibles et inassouvies ;  des volcans furibards, revanchards, mortifères.  D’ailleurs, il y a de cela plusieurs lunes, plusieurs saisons, ici même, les mêmes crachats  de  feu  du Nyiragongo   rivalisaient  avec  des tonnerres inventés par les  êtres  humains  pour  tuer leurs semblables.  Nous avions, nous les éléphants   en  face  de nous,  l’enfer du Nyiragongo ;   et  derrière  nous les foudres lancées par les hommes contre les hommes. Pour une fois notre flair de pachyderme s’était trompé. Mais au lieu de fuir  par   derrière dans  le feu ennemi, nous avons choisi de rester là chez nous, quitte à subir le volcan en colère, en face. Le volcan nous a compris, il s’est arrêté pile à nos pieds…

Moi, Patriarche-Pachyderme, mémoire des mémoires des savanes et de ce Parc Virunga, je subodore à fond de terre les signes volcaniques. Vous dites, vous pauvres êtres humains, qu’ « il n’y a pas de fumée sans feu » ? Mais  que savez-vous de cette  fumée  d’ici et de ce feu  d’ici ?

Moi, Patriarche-Pachyderme, je sens la terre  sous mes pattes. Je marche sur des volcans soi-disant  éteints, et à leur réveil   brutal, ils me réveillent ; et moi je réveille  à mon  tour   les autres congénères. La suite est connue : chevauchées et escapades folles, enivrées à travers la ville, à travers le marché, pour  alerter  les  Gomatraciens  distraits. Distraits, ils le sont, les Gomatraciens, parce qu’ils  ne font pas attention aux signes des bas –fonds et des abysses de la terre.

 Toi, mon magicien dresseur ami de tous les volcans, toi  et moi  ne regardons jamais le firmament ;   nous avons les yeux et les oreilles dressés  contre  la terre,   à l’écoute  des  appels   d’outre-feu, d’outre-tombe. Toi et moi, nous reconnaissons les  alphabets vibratoires du Nyiragongo si différents de ceux du Nyiamulagira…

L’autre nuit, lorsque le sous-sol a commencé à vibrer, j’ai reconnu aussitôt Nyiragongo ;  j’ai lancé des barrissements  éperdus, effrénés, et je me suis  mis à courir, à courir, à travers  le Parc, à travers le marché, et je me suis arrêté à la porte de la ville ;    parce que je savais, parce que mes pattes savaient  que   là, s’arrêteraient les laves incandescentes, descendantes, déclinantes.  Trop tard !   Le volcan a quand même dévoré des femmes et des enfants  inattentifs… »

Mon ministre a écouté religieusement les traductions du magicien dresseur d’éléphants. Il en a été   davantage bouleversé. Et  voici ce qu’il m’a dit au creux de l’oreille, à moi son confident de chauffeur : « En vérité,  c’est un  vrai dilemme tragique : ou  déplacer complètement le Diable et son Enfer volcanique en face, ou délocaliser  avec d’infinies précautions le Bon Dieu et  l’Histoire, c’est-à-dire  tout Goma et tous les Gomatraciens ». 

(YOKA Lye). 15-06-2021