Du 3 octobre 2020 au 12 septembre 2021 le musée belge MAS présente l’exposition « 100 x Congo, un siècle d’art congolais à Anvers ». Els De Palmenaer est la commissaire de l’exposition et conservatrice de la collection africaine du musée. La co-commissaire Nadia Nsayi, politologue belgo-congolaise, auteur du livre Dochter van de dekolonisatie (Fille de la décolonisation) et curatrice, est l’invitée du Desk Culture de ACTUALITE.CD
Vous êtes co-commissaire de « 100 x Congo ». C’est quoi la particularité de cette exposition?
En 1920, la ville portuaire d’Anvers en Belgique est devenue propriétaire d’une collection d’objets d’art et utilitaires congolais. A l’occasion du centenaire de cette collection, le musée MAS, ouvert en 2011, présente une exposition avec deux parcours. Sur les murs de la salle, les visiteurs peuvent prendre connaissance des relations entre l’Europe et l’Afrique (entre autres le Royaume Kongo) à partir du 16e siècle et entre la Belgique et le Congo à partir du 19e siècle. La présence des congolais dans des « zoos humains » lors des expositions mondiales d’Anvers (1885 et 1894) est un des sujets abordés, ainsi que la mort d’au moins 8 Congolais entre 17 et 25 ans. C’est une histoire tragique et oubliée.
Au milieu de la salle, l’exposition présente 100 objets de différents peuples congolais dont les Kongo, Yaka, Luba, Kuba etc. L’ensemble des œuvres illustre la richesse et la créativité de ces peuples. Avec « 100 x Congo » le MAS veut informer l’opinion publique sur la présence de la collection congolaise à Anvers, inviter les visiteurs à mener une réflexion critique sur l’histoire coloniale et lancé un débat sur le passé, le présent et l’avenir de la collection.
L’expo est le résultat des collaborations entre le musée et des partenaires belges et congolais. Du côté congolais, il s’agit de l’artiste Patrick Mudekereza du Centre d’ arts Waza à Lubumbashi, du cinéaste Nizar Saleh du collectif Faire-Part à Kinshasa et de chercheurs sous la coordination du professeur Jacob Sabakinu. Des chercheurs de UNIKIN et UNILU ont contribué à ce catalogue de l’exposition avec des textes sur l’histoire et la fonction des 100 pièces phares de l’exposition. Leur connaissance du patrimoine culturel congolais mérite d’être reconnue en Belgique, au Congo et ailleurs.
Pourquoi est-il important de restituer les œuvres d’art d’origine congolaise?
En tant que musée, le MAS estime qu’il est important de partager les informations sur les œuvres congolais en Belgique. Le musée espère que cette information atteindra aussi le Congo, d’où proviennent les objets. L’exposition veut contribuer au débat sur la restitution dans le cadre du processus sur la décolonisation. Néanmoins, le musée souligne que la collection congolaise à Anvers est juridiquement la propriété de la ville d’Anvers. Le musée conserve la collection, mais c’est aux autorités politiques anversoises de prendre une décision par rapport à la restitution après une demande venant du Congo. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de demande officielle. Certaines communautés au Congo et des organisations et activistes de la diaspora congolaise appellent à la restitution des œuvres volées. La question est de savoir si la restitution est une priorité pour le président Félix Tshisekedi et son gouvernement. Quelle place occupe l’art dans la politique culturelle de la RDC ?
Pourquoi, selon vous, c’est si important de démontrer que l’histoire congolaise ne commence pas avec la rencontre avec les colonisateurs?
Le Congo avec les frontières qu’on connaît aujourd’hui n’est pas la création d’une volonté africaine. Le pays a été créé par la force sur décision des puissances européennes. L’histoire du pays commence en 1885 lors de la conférence de Berlin, mais le début de l’histoire des peuples congolais ne peut pas se limiter au 19e siècle. Pour la décolonisation des mentalités et la construction des identités plus équilibrées il est important que les Congolais connaissent aussi l’histoire avant la colonisation belge. Je pense à la grandeur des Royaumes et au patrimoine culturel des différents peuples congolais.
En Belgique, une commission parlementaire a été formée pour examiner tous les aspects de la colonisation impliquant la Belgique. Pensez-vous que la RDC devrait faire pareil, examiner son passé belge et ses conséquences? Quelle serait la meilleure approche, selon vous?
La création de la commission est un pas historique. C’est une première en Belgique, 60 ans après l’indépendance du Congo. Cette commission ne se penchera pas uniquement sur l’histoire coloniale mais aussi sur l’impact de la colonisation et la suite à donner. L’initiative est belge et le débat a lieu en Belgique. Même si le professeur Elikia M’bokolo représente la partie congolaise dans le groupe d’experts, j’espère que la RDC sera plus impliquée dans les prochaines étapes de la commission belge. Et rien n’empêche la RDC de créer ses propres initiatives pour mener un débat sur l’histoire coloniale, l’évolution des relations avec la Belgique après l’indépendance et les pistes à suivre pour que ces relations soient plus correctes en tirant des leçons du passé.
Félix Tshisekedi est président de l’UA cette année. Qu’est-ce que vous pourriez lui demander en particulier sur cette question?
Le Congo est situé au centre de l’Afrique. C’est le cœur du continent africain. Ce grand pays, avec ses richesses humaines et naturelles, peut jouer un rôle important. Chaque président congolais devrait être conscient de cette lourde responsabilité. Je souhaite à Félix Tshisekedi une bonne présidence à la tête de l’UA. J’espère qu’il est prêt à contribuer à des relations plus équitables entre l’Afrique et l’Europe sur le plan diplomatique, économique et culturel.