La constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour a institué un régime semi-présidentiel c’est-à-dire, un régime mixte, à cheval entre les systèmes présidentiel et parlementaire et s’efforçant de recourir aux avantages de l’un et de l’autre, tout en minimisant leurs inconvénients. (Alphonse NTUMBA LUABA LUMU, Droit Constitutionnel Général, EUA, Kinshasa, 2007, p.368).
E. MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA soutient que : « Le régime semi-présentiel est caractérisé par le fait que le Chef de l’Etat est élu au suffrage universel direct et qu’il possède certains pouvoirs qui excèdent ceux d’un Chef d’Etat parlementaire normal. Cependant, le Gouvernement reste confié à un Cabinet formé du premier Ministre et des Ministres, qui peuvent être renversés par un vote du Parlement. »(E. MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA, Institutions politiques et droit constitutionnel, Tome 1, E.U.A, Kinshasa,2001, p. 307-308).
L’article 90 de la Constitution congolaise du 18 février 2006 fait du Premier ministre le chef du Gouvernement. Le Président de la République reste cependant le chef de l’Exécutif car, en vertu de l’article 79 de la Constitution, c’est lui qui convoque et préside le Conseil des ministres.
Le système bicéphale devrait évoluer sur le registre d’un « duo » c’est-à-dire de collaboration en période de concordance des majorités, le gouvernement sera plus responsable devant le Président que devant le Parlement. Il peut cependant se transformer en un « duel » ou concurrence en cas de non-coïncidence, l’essentiel du pouvoir sera détenu par le Premier ministre soutenu par sa famille politique majoritaire au Parlement (Jacques DJOLI ESENG’EKELI, Droit constitutionnel : l’expérience congolaise (RDC), L’Harmattan, 2013, Paris, p. 211).
Le premier Ministre est conformément à la constitution du 18 février 2006, le chef du Gouvernement, il exerce à cet effet un pouvoir hiérarchique à l’égard de tous les autres membres du Gouvernement. Ce pouvoir lui permet de représenter le Gouvernement auprès des autres institutions, de donner des instructions, d’assurer l’arbitrage entre les membres du gouvernement, de diriger l’action gouvernementale, de coordonner la mise en œuvre et la conduite de la politique de la nation, de faire respecter le principe de la collégialité et enfin de veiller à la discipline au sein du Gouvernement.
Il assure, en outre, l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire en vertu de l’article 92 de la Constitution. Il nomme aux emplois civils et militaires autres que ceux pourvus par le Président de la République, après délibération en Conseil des ministres. Il contresigne certaines ordonnances du Président de la République. Il statue par voie de décret.
D'un point de vue strictement juridique, le remplacement du Premier Ministre, en cas d'empêchement, par un membre du gouvernement ne doit pas être qualifié d'intérim mais plutôt de suppléance.
En effet, il y a suppléance lorsque la loi ou le règlement attribuant une compétence déterminée prévoit qu’en cas d’absence ou d’empêchement de l’autorité compétente, les attributions de cette dernière ou une partie de ses attributions seront exercées par une autre autorité administrative désignée alors que l’intérim est la situation dans laquelle une autorité administrative agit en lieu et place d’une autre autorité administrative qui lui est supérieure en vertu d’une décision d’intérim ayant pour fondement soit un texte légal ou réglementaire, soit le principe de la continuité et de la régularité des services publics. (F. VUNDUAWE-te-PEMAKO, Traité de Droit Administratif, Larcier, 2007, Bruxelles, pp. 680-681).
On parle d'intérim lorsque le remplacement provisoire n'est pas organisé par un texte. Dans ce cas c'est l'autorité supérieure qui prend les mesures nécessaires pour remplacer l'autorité défaillante. (J. WALINE, Précis de Droit Administratif, 27e éd., DALLOZ, 2019, p.387).
Il en résulte donc que lorsque le remplaçant du titulaire de la compétence est connu d'avance, on parle de suppléance alors que lorsqu'il n'est pas connu on parle de l'intérim. Le constituant congolais du 18 février 2006 n'a pas suivi cette logique, il parle de l'intérim en lieu et place de la suppléance pour qualifier le remplacement en cas d’empêchement du Premier Ministre (article 90 alinéa 2 de la C.), des Ministres (article 94 de la C.) et du Président de la République (article 76 alinéa 2 de la C.).
L’intérim et la suppléance sont des contrepoids de l’empiétement des fonctions. Ils constituent deux situations précaires et provisoires qui doivent être limitées dans le temps car l’instabilité d’une autorité administrative ne garantit pas la bonne gouvernance. (L. YUMA BIABA, Manuel de droit administratif, CEDI, 2012, Kinshasa, p. 120).
C'est dans ce cadre que l'article 90 alinéa 2 de la Constitution dispose que : « .., En cas d’empêchement son intérim (le Premier Ministre) est assuré par le membre du Gouvernement ayant préséance. » Selon l'alinéa 2 de l’article 25 de l’ordonnance 20/016 du 27 mars 2020 : « La préséance entre les autres membres du Gouvernement résulte de l’ordre établi par l’acte de nomination.» Et conformément à l’article 1 de l’ordonnance 19/077 du 26 août 2019 portant nomination des Vice-Premiers ministres, des Ministres d’Etat, des Ministres, des Ministres délégués et des Vice-Ministres, c'est le Vice-Premier Ministre, Ministre de l'intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières qui a préséance.
Il découle de ce qui précède que le Premier Ministre n'est pas compétent pour désigner son intérimaire car la constitution ainsi que les ordonnances 20/016 et 19/077 sont claires. De même, il ne peut pas non plus organiser les compétences de ce dernier dans la mesure où, ni la Constitution encore moins l'ordonnance 20/016 ne lui ont reconnu cette compétence.
La doctrine enseigne d'ailleurs qu’à l’exception d’une restriction des compétences découlant de la loi ou du règlement, l'intérimaire exerce les compétences d’une autre autorité provisoirement, il possède l’intégralité des pouvoirs attachés à la fonction dont il assure l’intérim (CE 2 oct. 1945, Mattéi, Lebon 214). L’étendue de son pouvoir est déterminé par l’acte qui organise l’intérim. (André MAURIN, Droit administratif, 11e éd., Sirey, 2018, Paris, p.79).
Les limites des compétences du Membre du Gouvernement qui assure l’intérimaire du premier Ministre se dégagent de la lecture combinée des articles 90 alinéa 2 de la Constitution, 16 et 24 de l’Ordonnance n°20/016 du 27 mars 2020 portant organisation et fonctionnement du Gouvernement, modalités de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu’entre les Membres du Gouvernement. Dans la mesure où, le membre du Gouvernement qui assure l’intérim du Premier Ministre est tenu :
La correspondance évoquée dans le communiqué du PM du mardi 21 juillet 2020 qui aurait organisée l'intérim du VPM de l'intérieur n'a aucune assise juridique donc est dépourvue d’une valeur juridique.
Le contreseing dans le cadre d’un régime Semi Présidentiel ne fait pas du Premier Ministre, le coauteur des ordonnances qui sont prises par le Chef de l'État, il lui permet tout simplement d'en assurer l’application et de porter la responsabilité politique devant le Parlement.
Il faut, enfin, noter que du point de vue contentieux, l’apposition du contreseing organisé par un texte juridique constitue une formalité substantielle, le non-respect de cette formalité s’analyse comme un vice de forme pouvant entraîner l’annulation dudit acte (F. VUNDUAWE-te-PEMAKO, Traité de Droit Administratif, Op. Cit., p.687).
Les ordonnances du Président de la République qui interviennent conformément à l’article 81 de la Constitution dans le cadre de la mise en place au sein de l’armée et de la magistrature, sont des actes administratifs individuels. Elles relèvent, pour ce faire, de la censure du Conseil d’Etat conformément à l’article 85 de la loi 16/027 relative aux juridictions de l’ordre administratif.
Par Me ESHIMATA NGIMBI Kevin
Avocat, Consultant QSHE
Chercheur et Apprenant en IIIe Cycle en Droit Public Interne à l’Université de Kinshasa