Kinshasa : Les enseignants de journalisme s'expriment sur la liberté de la presse

Photo Christine Tshibuyi

Le monde célèbre, chaque 3 mai, la Journée mondiale de la liberté de la presse. Pour cette année le thème est : « Médias pour la démocratie : le journalisme et les élections en période de désinformation ».

Quelques enseignants de journalisme à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC), interrogés par ACTUALITE.CD, ont fait l’état des lieux de la liberté de la presse en RDC.

« Il y a beaucoup de choses à dire concernant la liberté de la presse. J'entends à la fois les gens qui se plaignent que la liberté n'existe pas et qu’il y a beaucoup d'arrestations mais, en même temps, dans la pratique je vois qu’il y a parfois aussi des abus et une mauvaise utilisation de la liberté. Donc on a une confusion des médias qui naissent mais qui ne prennent pas à cœur leur responsabilité. Ils ne connaissent pas peut-être les droits et limites à la liberté de la presse et qu’ils ne font pas du travail professionnel de qualité qui est d’abord le respect des faits, la vérification des faits, la diffusion des informations relatives aux faits vérifiés mais, ici, parfois des journalistes relayent des fake news, des commentaires désobligeants, les insultes, des invectives, ils se font donneurs des leçons. On peut dire qu'il y a du libertinage plutôt que de la liberté parce que beaucoup de ceux qui se disent journalistes professionnels des médias font plus parler leur cœur que rapporter les faits. Le travail du journaliste, c'est de rapporter les faits sans commentaires, sans état d'âme et respecter les faits en respectant la loi, le droit des tiers. Donc je peux dire il y a un peu de tout au Congo et le plus dramatique ce sont les médias qui relayent des fake news, des infox, les fausses informations au quotidien. Quand je parle du professionnalisme, le respect dû aux faits, il faut aussi que les faits soient présentés dans une langue correcte mais on a de plus en plus l’impression que la langue est très relâchée que ça soit par écrit ou en radiotélévision», a déclaré François-Xavier Budim'bani Yambu, professeur en communication à l’IFASIC.

Le professeur Arthur Yenga a, pour sa part, noté une amélioration de la liberté de la presse depuis l’avènement de Félix Tshisekedi au pouvoir. Il soutient également que le journaliste ne doit pas tomber dans l’abus afin de se priver lui-même d’une liberté garantie par les lois du pays.

« Aujourd'hui, après trois ou quatre mois de changement de régime politique, j’observe que les amis de la presse eux-mêmes peuvent attester une certaine marge de manœuvre. Je crois que c'est une perception, une impression pour se sentir un peu plus libre qu'il y a deux décennies parce que sous le mandat du président Kabila, il y a eu quand même beaucoup d’arrestations. Il y a eu des journalistes qui ont été inquiétés, des stations des radios télévisions et des journaux qui ont été fermés. Quatre mois après l'arrivée du nouveau régime au pouvoir, on n'a pas encore entendu ce son de cloche mais c'est peut-être aussi trop tôt pour juger. Il a tout un mandat donc on va observer ce qui va se passer. La liberté, ce n’est pas quelque chose qu'on donne, elle se gagne, on se bat pour la liberté, il appartient effectivement aux journalistes de s'organiser pour exercer et jouir pleinement de cette liberté de la presse. On ne doit pas la leur donner, les lois sont là depuis la constitution et d’autres lois relatives à la presse mais dans la jouissance effective de ces lois, il y a toujours eu des abus. Donc ce n'est pas un problème de lois. Les lois existent, c'est dans la pratique que les journalistes doivent s’organiser pour préserver et jouir de la liberté de la presse », a déclaré Arthur Yenga, professeur de journalisme à l’IFASIC.

Pour lutter contre les dérapages constatés dans le métier de journalisme, le professeur Arthur Yenga pense que les enseignants des écoles du journalisme doivent marteler sur la notion de l'éthique et de la déontologie journalistique pour mieux préparer les étudiants, futurs professionnels de médias.

« Nous, en tant qu’institution d’enseignement, nous transmettons bien les notions, les matières sur l'éthique et la déontologie sur le droit de l'information. Mais cela a pour but de sensibiliser les étudiants, de leur faire prendre conscience de la nécessité que ce métier de journalisme fondamentalement c'est au nom du public à connaître la vérité, qu'il ait droit à l’information. Il y a beaucoup d'aspects et de choses qu’il faut respecter : la loi, parce que dans cette liberté à partir du moment où vous entrez dans l’espace public vous êtes régis par la loi qui doit régir cette liberté. Il y a des règles, les matières qui sont couvertes par le secret d'État, de défense et la vie privée qui doit être respectée et, ainsi de suite, donc il y a tout ce dosage qu'il faut avoir mais, malgré tout ça, il faut aussi faire en sorte que la liberté de la presse qui est un pouvoir dans la classification traditionnelle des quatre pouvoirs, doit aussi s'affirmer pour contrôler le troisième pouvoir. C'est son rôle parce que s’il n’y a pas cet espace qui regarde un peu ce qui se fait dans les autres espaces, il serait difficile que la démocratie puisse se vivre concrètement », a dit le professeur Arthur Yenga.

Le professeur Budim'bani estime qu’au-delà du professionnalisme qui doit être enseigné dans les universités, les journalistes doivent être solidaires pour prévenir les abus.

« Pour prévenir les atteintes aux droits de l'information, il faut d’abord enseigner le professionnalisme. Si on est professionnel, on n'a pas à craindre des limitations des droits parce que c'est connaître les règles professionnelles, éthiques, des droits et les règles de traitement de l'information. Quand un journaliste connaît toutes ces règles du jeu et qu’il les applique, il n'a rien à craindre et c'est ce qu'on dit aux journalistes. Les abus dans le chef des détenteurs des pouvoirs, les dérives et les violations pour les prévenir il faut que les journalistes se soudent, se syndiquent. Malheureusement, ça on ne le dit pas assez dans les écoles de formation, l’intérêt de s'associer. Je vois que, dans la presse, les journalistes, il y en a qui s'alignent pro-pouvoir et ceux qui s’alignent anti-pouvoir et qui ne se rencontrent pas. Ce qui n'est pas normal quand on est journaliste. Il y a des points communs sur lesquels on doit se retrouver, défendre le média. Mais il y en a qui jette à l’invective les collègues. Si les journalistes sont soudés, ça prévient les abus qui peuvent provenir de l’extérieur. L'enseignement forme à la citoyenneté, on forme des citoyens loyaux qui respectent la loi, les droits, les principes et les règles. Pour défendre tout ceci, c'est en se syndiquant, quand on se syndique suffisamment on peut être en groupe pour défendre les principes mais si on est divisé naturellement ceux qui ont le pouvoir en externe vont vous diviser davantage. Dans ce cas-là, vous vous fragilisez totalement », a estimé le professeur Budim'bani Yambu.

Depuis le 2 novembre 2018, date de la publication du dernier rapport de Journaliste en danger (JED), au moins 37 cas d’attaques ou d’atteintes à la liberté de la presse ont été recensés par la même organisation. JED a rapporté 13 cas des médias fermés, 9 journalistes menacés, 5 professionnels des médias agressés et 4 incarcérés. A la même période, l’année dernière, c’est-à-dire au moment de la célébration de la Journée mondiale de la presse en 2018, JED avait monitoré 44 cas.

En RDC, la cérémonie commémorative de la Journée de la liberté de la presse organisée par l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC), en collaboration avec l’ONG Journaliste en danger (JED), a eu lieu en présence du président de la République, Félix Tshisekedi.

Sandra Yowa