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Tribune de Martin ZIAKWAU Lembisa
Les résultats des élections sénatoriales du 15 mars 2019 en République démocratique du Congo (RDC) continuent de tarauder plusieurs personnes, et d'alimenter, dans divers cercles, la réflexion individuelle et collective sur la signifiance de ces consultations électorales ainsi que l'avenir démocratique du pays. En effet, la réussite d'une élection se mesure à l'aune de la confiance qu’inspirent, à l’opinion nationale, son processus et ses résultats. Il sied alors de s'interroger sans passion : pourquoi avoir tenu mordicus d'organiser les sénatoriales malgré diverses dénonciations et accusations, y compris celles du candidat sénateur élevé, après désistement, au rang de Conseiller spécial du Chef de l'État en charge des questions stratégiques ? Preuve, si besoin était, que cette « affaire » méritait d’être prise très au sérieux non seulement par le Procureur Général de la République près la Cour de cassation (PGR), accusé de s’être ressaisi tardivement, mais aussi par le Président de la République, investi par la Constitution pour assurer « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l’Etat. » (Cfr. Article 69 de la Loi fondamentale de la RDC).
A posteriori, le PRG n'aura pas eu si tort d'avoir plaidé, samedi 9 mars 2019 dans une correspondance à l’attention du Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) (copies réservées aux Président de la République, Premier Ministre et Président de la Cour constitutionnelle), pour le report des élections sénatoriales en vue d’éviter au pays « des contestations et violences meurtrières » ? Une chose est de porter un regard critique sur la forme et le fond de la démarche du PGR, du reste non exempte de reproches, une autre est de constater non passivement la menace que les rumeurs de corruption faisaient peser sur la crédibilité de ces élections.
Espérons que les violences post-électorales de samedi 16 mars 2019 à Kinshasa, Mbuji-Mayi et ailleurs, ayant causé mort d’hommes, seront sanctionnées aussi promptement et sévèrement au regard de la loi qu’il fut rapidement pris en charge les incidences à la base de la tuerie des étudiants, le 27 janvier 2019, à Lubumbashi. Il y va de l’affirmation de la détermination de l’instauration de l’Etat de droit en RDC en évitant catégoriquement la politique de deux poids deux mesures, longtemps décriée dans le passé.
Non impassible aux manifestations des militants de l'UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), emportés par l'échec cuisant de leur formation politique aux sénatoriales, le Président de la République, réputé gentleman et pacifique, a échangé, samedi 16 mars 2019, avec une délégation de « Cap pour le Changement » (CACH) sur « le comportement » des députés provinciaux pendant ces élections, et présidé une réunion interministérielle. Il en a découlé un communiqué de son Directeur de cabinet promettant des « mesures importantes » ce lundi 18 mars 2019 pour préserver, dit-il, la crédibilité du processus électoral et la paix sur l’ensemble du territoire national ...
Stratégiquement, le Président de la République aurait fait œuvre utile de lancer des brèves consultations avec diverses parties prenantes aux sénatoriales : le FCC largement vainqueur à titre provisoire, le PPRD dont le siège provincial aurait été saccagé par des militants de l'UDPS, la société civile, etc. Ce de manière à éviter de donner à penser qu'il aurait un parti pris, même s’il a démissionné de ses fonctions à la tête de l’UDPS, comme l’exige la Constitution. Cela, également, pour avoir promis urbi et orbi qu'il sera le Président de tous les Congolais et, bien plus, pour s’être engagé, à sa prestation de serment au titre de Président de la République, de « ne me laisser guider que par l’intérêt général (…) ».
Par ailleurs, le communiqué du cabinet du Président de la République suscite des interrogations : A qui incombe la responsabilité de la défaite électorale de CACH aux sénatoriales ? Comment sanctionner les responsables de ce déboire électoral ? Pour préserver la crédibilité des élections sénatoriales, pourquoi n'y a-t-il pas eu une concertation interinstitutionnelle avant les élections sénatoriales suite aux dénonciations et accusations de corruption ? (Pour sauver le Sénat de l’opprobre, une concertation interinstitutionnelle est préférable – Tribune https://actualite.cd/2019/03/11/pour-sauver-le-senat-de-lopprobre-une-concertation-interinstitutionnelle-est-preferable) Ne dit-on pas que gouverner, c’est prévoir ! Quelle marge de manœuvre le Chef de l’Etat dispose-t-il, à ce stade, pour corriger aussitôt le « gâchis », causé par les sénatoriales, à l’UDPS ? Est-il habilité à annuler les résultats et les effets de ces élections ? etc.
Dimanche 10 mars 2019, en réaction à la correspondance du PGR, la centrale électorale se voulait on ne peut plus claire : « Rien ne va arrêter le calendrier électoral de la CENI». En effet, la CENI « est chargée de l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, du dépouillement et de la proclamation des résultats provisoires. Elle en assure la régularité. » (Cfr. Article 2 de la Loi électorale).
À ce jour, la gestion des élections sénatoriales relève de la compétence non plus de la CENI mais plutôt du pouvoir judiciaire. Pour annuler les résultats et les effets des élections, il faille que l’instance judiciaire compétente constate et déclare leur irrégularité. Car le pouvoir de contrôle des élections, d’appréciation de leurs conclusions ainsi que de proclamation des résultats définitifs relève, en RDC, de la compétence exclusive des instances judiciaires citées par la loi électorale.
A ce titre, l’article 74 de cette dernière loi dispose : « Les juridictions compétentes pour connaître du contentieux des élections sont :
(…) Si les recours sont déclarés irrecevables ou non fondés, la Cour constitutionnelle, la Cour administrative d’appel ou le Tribunal administratif, selon le cas, proclame les résultats définitifs des élections. »
En outre, ayant anticipativement pris en compte les frustrations pouvant découler du déroulement et des résultats des élections, le Législateur a consacré leur contestation. L’article 73 de la Loi électorale stipule que « (…) peuvent contester, selon le cas, les résultats provisoires des élections législatives, provinciales, urbaines, communales et locales, dans un délai de huit jours, dès l’annonce par la Commission électorale nationale indépendante :
Il va sans dire que l’heure est à la contestation de la régularité et/ou des résultats des élections sénatoriales, et non pas à des actions purement « politiques ». A ce propos, ni le Président de la République ni le Premier Ministre n’a qualité pour contester les résultats des élections. A moins d’agir par l’entremise du Ministère public dans la perspective d’amener ce dernier à se désolidariser de la CENI qui a argué qu’« Avant toute décision de culpabilité rendue par un juge, tous les députés provinciaux sont présumés innocents. Par conséquent, il n'y a pas lieu de leur priver l'exercice de leurs prérogatives ».
En outre, il y a lieu de noter que l’article 110 (2ème alinéa) de la Constitution dispose : « Toute cause d’inéligibilité, à la date des élections, constatée ultérieurement par l’autorité judiciaire compétente entraîne la perte du mandat de député national ou de sénateur. Dans ces cas, il est remplacé par son premier suppléant. » En vertu de l’article 10 de la Loi électorale, sont inéligibles « (…) les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption, de détournement des deniers publics, d’assassinat, des tortures, de banqueroute et les failles (…) ».
L’action contre la corruption lors notamment des sénatoriales peut porter des fruits escomptés dans les prochaines semaines, voire les prochains mois, si les institutions de la République font, à cet effet, montre de mobilisation générale. Ce, dans le strict respect de la présomption d’innocence des députés provinciaux et des candidats sénateurs.
D’un autre côté, les manifestations du samedi 16 mars 2019 n’étaient nullement généralisées pour redouter de l’insécurité sur l’ensemble du territoire national. Seuls des militants clairement identifiés comme étant des membres de CACH ont protesté non sans violence dans quelques localités du pays. La généralisation de cette situation pourrait ainsi s’avérer infondée ou relever de la « ruse à la florence ». Ceci ne serait pas si loin de la tentation de penser s’en saisir comme prétexte pour faire légitimer consciemment ou inconsciemment de l’arbitraire en vue d’atteindre un résultat politique inavoué. Ça contrasterait avec l’Etat de droit que le Chef de l’Etat a promis d’instaurer en RDC. Le célèbre juriste autrichien Hans Kelsen considère l’Etat de droit comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée.
Il se pourrait que les « mesures importantes » annoncées pour ce lundi 18 mars 2019 relèvent davantage d’une stratégie discursive à l’endroit du FCC en perspective de l’élection des Gouverneurs. Une pression de CACH sur son partenaire politique pour bénéficier des concessions. C’est de bonne guerre, pourvu que la Constitution et les lois du pays n’en soient pas sacrifiées sur l’autel des considérations privées.
Que les députés provinciaux de l’UDPS n’aient pas fait montre de discipline, en se passant du mot d’ordre de leur hiérarchie au sein de leur formation politique, ne doit pas faire oublier que le parti politique est essentiellement une organisation privée. Le linge sale doit être lavé en famille, et non pas sur la place publique. Ceci mérite d’interpeller l’UDPS qui dit toujours s’attaquer aux antivaleurs. Le questionnement sur le niveau d’intériorisation des idéaux du parti par les membres ainsi que la conviction politique dans la conduite des élus doit inspirer une réflexion profonde et froide au sein de cette formation politique. La reconnaissance individuelle de ses propres erreurs et faiblesses favorise de loin mieux la réalisation ultérieure des performances que la contestation de son opprobre sous l’effet des émotions.
Prendre le risque politique d’annuler les résultats des élections sénatoriales serait ouvrir la boîte de pandore quelques jours après l’inédit communiqué de la coalition FCC-CACH (https://actualite.cd/2019/03/08/ce-quil-faut-comprendre-de-linedit-communique-de-la-coalition-fcc-cach-tribune). Ceci risque de contribuer à légitimer la démarche de Martin FAYULU, candidat malheureux à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, qui, manifestement non encore disposé à boire la pilule amère de sa défaite, continue de plaider pour l’organisation d’une nouvelle présidentielle avant la fin de l’année, à défaut de recompter les voix.
Le Président de la République ferait œuvre utile de veiller à rester au-dessus de la mêlée. « L’intérêt des Congolais sera mon premier souci. On se pose la question sur les sacrifices qu’il faut faire sur certaines habitudes qui n’entrent pas dans le cadre de l’intérêt supérieur de la nation. On essaie d’entrer dans la peau de Président et de s’habituer à la fonction », avait déclaré le Chef de l’Etat, 25 janvier 2019 au Palais de la Nation, après la cérémonie de remise et reprise avec son prédécesseur,.
La promptitude à écouter et la lenteur à s’exprimer pourraient permettre au Président de la République de mieux veiller, dans ce pays continent aux multiples enjeux et défis, à « l’unité nationale » dont il est constitutionnellement « le symbole ». Il ne manque pas d’atouts pour relever ce défi.
Martin ZIAKWAU Lembisa
Analyste politique