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Aujourd’hui, nous vous proposons cette tribune de Martin ZIAKWAU Lembisa, Internationaliste, analyste politique et auteur du livre : Accord-cadre d'Addis-Abeba : Portée et incidence sur la République démocratique du Congo.
Il est nécessaire, pour promouvoir effectivement l’émergence de l’Etat de droit en RDC, d’imposer une stricte différence, dans la pratique politique, entre les affaires publiques et privées. Ceci permet d’éviter de l’amalgame dans les actions politiques des personnalités notamment du parti présidentiel. Il est démocratiquement risqué de considérer que Jean-Marc Kabund, président intérimaire de l’UDPS, ait conduit des consultations au bénéfice du Président de la République pour identifier une coalition au sein de l’Assemblée nationale sans avoir été préalablement désigné officiellement pour mener une mission d’information.
Ce quelle que soit l’idée philanthropique sous-tendant l’argumentaire de l’UDPS qui s’évertue à justifier le bénévolat doublé de volontariat de son président. « Pour ne pas surcharger la caisse de l’Etat avec les dépenses, Jean-Marc Kabund a fait ce travail (d’informateur) pendant quelques heures et a fait son rapport. C’est ce qui a fait qu’il puisse le sanctionner par un communiqué », explique, 07 mars 2019 à Kinshasa, Augustin Kabuya, secrétaire général adjoint de l’UDPS.
Il y ressort des contradictions qui ne méritent qu’on s’y attarde longtemps. Faire rapport à son mandant (Chef de l’Etat) requiert-il de publier un communiqué, dont les signatures soulèvent des questionnements sur les mobiles des parties prenantes ? En vertu de quoi Jean-Marc Kabund a-t-il mené des consultations avec le FCC ? Est-ce du fait d’une mission officielle confiée à ses soins par le Président de la République ? Ou du fait d’une initiative privée découlant de ses fonctions à la tête du CACH dont est issu le Président de la République ? etc.
Il y a lieu de noter que, dans ce communiqué, il est indiqué que « (…) le Front commun pour le Congo, FCC en sigle, et le Cap pour le changement, CACH en sigle, ont entrepris des concertations à l’effet de cerner la problématique de la détermination de la Majorité parlementaire. » Ceci tend à valider l’hypothèse d’une initiative privée qui n’a rien d’une mission d’information constitutionnellement consacrée, quels que soient les habillages de langage d’Augustin Kabuya. A la suite d’une démarche privée et tenue soigneusement sécrète comme de pratique courante en haute politique, l’action de Kabund aurait consisté à renseigner le Chef de l’Etat, dont le mandat est incompatible avec toute responsabilité au sein d’un parti politique, de l’existence ou non d’une majorité parlementaire en vertu de laquelle ce dernier ferait œuvre utile d’engager directement des consultations pour la nomination d’un Premier Ministre ou de désigner un informateur pour identifier une coalition.
Rappelons que l’article 78 (a et b) de la Constitution de la RDC dispose à cet effet : « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. (…) Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. » Ceci ne doit pas nécessairement prendre trente jours (une fois renouvelable) relevant du temps maximum.
Par ailleurs, il est possible, comme le suggère à penser les derniers termes de l’extrait du communiqué FCC-CACH ci-haut repris, que ces deux plateformes politiques résolvent de composer une coalition parlementaire de manière à permettre au Chef de l’Etat de disposer d’une très large majorité à la Chambre basse. Il s’agirait alors d’un arrangement non moins légitime entre des organisations politiques, du reste privées, engagées dans la lutte pour la conquête, l’exercice et la conservation du pouvoir politique en vertu de la realpolitik.
Fort de ce mariage, le Chef de l’Etat, qui avait jugé utile - la semaine dernière en pleine visite officielle en Namibie - d’informer l’opinion nationale de la nomination imminente d’un informateur, aurait pris acte de la nouvelle dynamique dans le jeu politique et tiré des conséquences utiles. Est-ce à considérer à ce stade que cette dernière promesse du Chef de l’Etat, en pays étranger, relevait de l’imprudence communicationnelle eu égard à sa proximité relationnelle avec l’autorité morale du FCC ? Je préfère, pour l’instant, privilégier l’hypothèse selon laquelle ça traduirait sa ferme volonté et détermination de remplir pleinement les responsabilités liées à ses fonctions, et de ne point subir les calculs des tiers.
Ceci impliques, entre autres, que le Président de la République reste maître de la date de nomination du Premier Ministre. Ce quand bien même sa « majorité parlementaire », que compose dorénavant le FCC-CACH, lui aurait recommandé « de nommer diligemment ledit Formateur du Gouvernement. » Qu’est-ce qui fonderait cette diligence ? Faut-il rappeler que la validation des députés nationaux relève encore du provisoire. Les arrêts de la Cour constitutionnelle, sans espérer forcément une modification majeure des résultats de la CENI, constituent les données fiables sur base desquelles il sera rationnel de lire la configuration de l’Assemblée nationale.
En effet, après avoir prêté serment le 20 décembre 2011 à la suite de l’élection présidentielle du 28 novembre de la même année, le Président Joseph Kabila, qui disposait pourtant d’une majorité parlementaire à la suite de la publication des résultats provisoires, avait résolu de prendre assez de temps pour mûrir sa réflexion et porter des choix à inscrire dans la durée. Il lui a fallu plus d’un mois après la fin du traitement des contentieux des législatives nationales pour nommer le Premier Ministre Augustin Matata, le 18 avril 2012.
Il était stratégiquement précautionneux qu’après son investiture, le Chef de l’Etat Thisekedi ait mis en place un gouvernement intérimaire en attendant les arrêts de la Cour constitutionnelle. A quelques jours de ce rendez-vous judiciaire, considérant que le délai légal de traitement des contentieux électoraux pour les élections législatives est de 60 jours à partir du 13 janvier 2019, jour ayant suivi la publication des résultats provisoires, la vérité va bientôt éclater définitivement sur la majorité et la minorité à l’Assemblée nationale.
Somme toute, dans un pays continent aux multiples urgences sociales et nombreux défis politico-sécuritaires à relever en cinq ans, durée constitutionnelle du mandat du Chef de l’Etat, il est préférable d’intérioriser le judicieux conseil d’EURIPIDE : « Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence. » Car la sanction populaire sera à la hauteur des promesses faites et des attentes suscitées par l’autorité, en dépit de sa bonne foi de donner le meilleur de lui pour servir l’intérêt collectif. Après des décennies de lutte dans les rangs de l’opposition politique, l’UDPS est tenue de relever un défi majeur, à savoir : adapter ses stratégies au contexte actuel pour assumer habilement les responsabilités du parti présidentiel. « La critique est aisée, mais l’art est difficile », enseigne si sagement Philippe NERICAULT.
Martin ZIAKWAU L.
Analyse politique