"Je me contente de sublimer la banalité à travers mes oeuvres." (Nelson Makengo)
Photographe et réalisateur, Nelson Makengo est fasciné par les espaces urbains et tout ce qu'ils ont à proposer. Sélectionné deux années consécutives au festival du cinéma de Clermont Ferrand (France), l'année dernière, c'est avec son court métrage "Tabu" qu'il a participé à ce prestigieux festival. Cette année, c'est son film "Théâtre urbain" qui est sélectionné dans la catégorie African Pespective. Rencontre.
Nelson Makengo, bonjour et surtout merci de répondre à nos questions. Pour ceux qui ne vous connaissent pas, comment vous présenteriez-vous ?
Bonjour. Je suis Réalisateur, artiste visuel. Mon travail navigue entre le cinéma et les arts visuels.
J’ai cru comprendre que vous avez rejoint la filière cinéma de manière autodidacte. Dites nous comment cela s’est-il passé ?
C’était par manque d’infrastructure de formation en cinéma que je me suis retrouvé à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, au département de Communication visuelle. En parallèle de cette formation, je me suis auto-formé en réalisation sur internet en grande partie, aussi grâce aux ateliers à Kinshasa, au Sénégal et à l’Université d’été de La Fémis, à Paris.
Vos films « E'Ville », « Tabu » ou encore « Théâtre urbain » ont quasi fait le tour des festivals dans le monde. Comment vivez-vous cette reconnaissance de votre travail ?
Je suis honoré que les créations congolaises soient vues au delà de leurs frontières. Mais aussi triste et réticent. C’est une grande responsabilité d’être seul parfois dans ces grands festivals internationaux, seul avec son film. Une grande responsabilité, parce que tu portes l’image, la culture de plus de 80 millions d’âmes, où tu dois, à chaque fois, défendre ligne après ligne… Je pense vraiment qu’il serait mieux d’être nombreux, d'être accompagné par plusieurs productions de qualités compétitives chaque année ici, au Congo, et ailleurs. .
Nelson, dites-nous, quel est le dénominateur commun entre vos trois films que je viens de citer ?
Dans mon travail de création cinéma ou photographie, je me contente de sublimer la banalité, l’insignifiant, ce chaos sociétal qui règne dans mon environnement immédiat. Donner ou arracher la parole aux hommes, aux objets, à l’espace urbain. Aussi interroger cette mémoire collective en proie entre les effets de la colonisation et les possibilités de ce qu’on nomme ici « la modernité », qui reste jusque là une réalité inachevée. Et vous remarquerez peut-être dans mes films qu’il n’y a pas vraiment de vraie fin.
Vous slalomez entre plusieurs thématiques, cela va des aphrodisiaques aux thématiques purement historiques. Racontez nous comment cela est-il possible ?
Les rencontres, les rencontres, les rencontres sous toutes leurs formes. Je me rappelle que mon film "Théâtre Urbain" a été inspiré des figurines Marvels de mes petits neveux. Jusque-là, je raconte des histoires qui, parfois, m’étonne d’abord moi-même et aussi mon entourage. Aucun compte à rendre à un producteur, je réalise des récits qui me touchent. Je crois que je garde en moi une certaine liberté d’enfant dans mes choix sans vraiment me poser mille questions avant de passer à l’action. D’ailleurs, la plupart de mes films je les monte moi-même dans notre salon, et c’est toute la famille qui intervient, même la bonne. Je m’amuse bien avec eux. Parfois ils interviennent avant la version finale de mes montages comme c’est le cas pour mon dernier film "E’ville". Donc mon cinéma, mes créations sont faites pour ça. C’est un pur bonheur d’avoir des gens qui comprennent ce que tu fais dans un contexte comme le nôtre.
Qu’est ce qui nourrit l’artiste Nelson Makengo ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je m’inspire beaucoup du cinéma russe et soviétique. Un cinéma d’avant-garde. Je retrouve un style dans le travail de Dziga Vertov et Eisensten, proche de la littérature des auteurs congolais que j’admire. Une littérature qui dépeint le monde contemporain d’aujourd’hui mais depuis un regard du vécu congolais. En même temps, ce n’est pas que de la littérature mais plutôt une expérience littéraire, une littérature physique je dirais. On sent le corps qui bouge là-dedans, ce corps qui nous ressemble comme dans « Généalogie d’une Banalité » de Sinzo Aanza, aussi ses pièces de théâtre : « Histoire générale des murs », « Le jour du massacre », « Que ta volonté soit Kin » ; « Trame 83 », « Le Fleuve dans le ventre » de Fiston Mwanza, aussi « Mathématiques Congolaises », « La belle de Casa », etc…de In Koli Jean Bofane pour ne citer que ceux-là. Je suis de près toutes leurs productions littéraires que je trouve personnellement très cinématographiques pour mes prochains projets. D’ailleurs, le montage de mon prochain film est inspiré de "Tram 83" de Fiston Mwanza.
Avez-vous des maîtres à penser au cinéma ?
Oui. Kipiri Katembo, mon mentor. Il m’a appris à faire de l’art, du cinéma avec ou sans budget. Paix à son âme. Pour mon film « Tabu », j’ai bénéficié d’un réel accompagnement à la production par Clarisse Muvuba parce que seulement Kiripi Katembo avait pris le risque de me recommander auprès d’elle, tout en lui conseillant de me produire. Aujourd’hui, ce film se fraie son chemin à travers le monde.
Souvent quand on parle du cinéma et, par in extenso, du secteur de la culture en RDC, on se rend compte que c’est toujours le parent pauvre des gouvernements. A quoi cela est-il dû, selon vous ?
C’est une question d’éducation. Ici les gens ont été éduqués pour être « les évolués » (en apparence) pour des raisons de propagande coloniale à l’époque, aussi pour vendre une belle image de la colonie belge. Alors aujourd’hui comment voulez-vous qu’un ministre de la Culture, qui n’a jamais mis ses pieds dans une vraie salle de cinéma 5.1, 7.1 puisse financer un projet de film ? Comment voulez-vous qu’un député qui n’a jamais foulé ses pieds dans un vrai festival de cinéma puisse comprendre l’idée, le sens même de défendre un projet de loi afin d’enclencher un quelconque fonds pour le secteur du cinéma ? Le problème, c’est la base. L’éducation.
Que faire pour inverser la tendance ?
Ça prend du temps d’éduquer toute une génération à la culture et surtout à la culture cinématographique dans un pays où « les culturels », comme dirait un ami, restent des musiciens. Mais, dans l’immédiat, s’il faut financer le cinéma, la culture, il faudrait le faire avec l’industrie minière et l’industrie pétrolière. Parce que là, il y a de l’argent. Même 0,1 % de leur revenu annuel suffirait à régler l’affaire. Il faut juste être réaliste et chercher comment les aborder, avec une proposition de projet solide à l’appui comme une sorte de « Mining Fund for Congolese Film Production» ou un « Mining Fund for Culture in Congo », quelque chose du genre… Je rigole. Ouvrir des coproductions avec l’espace anglophone, je pense.
Si vous devriez dresser un état des lieux du cinéma congolais aujourd’hui que diriez-vous ?
Il y a un an passé au Festival International de court-métrage de Clermont-Ferrand, on m’avait balancé la même question. Ma réponse reste la même : A mon avis, le cinéma congolais n’existe pas jusque-là. Il n'y a que les individus et leurs films qui existent. Timidement, aujourd’hui, il y a des coproductions qui s’établissent entre l’Europe et le Congo, qui sont des signes encourageants. Il y a beaucoup de potentiels ici au Congo, la matière est encore brute. Du moins, il y a aussi ces courageux congolais qui tiennent des festivals comme le Festival de Cinéma de Kinshasa (FICKIN) et le Festival Cinéma au féminin (CINEF) et aussi Yolé Afrique qui organise Congo International Film Festival (CIFF), à Goma. On peut bel et bien dire financement, mais s’il n'y a pas une base solide, les murs vont s’effondrer. Organisons les ateliers à long terme, mais aussi et surtout se former, se nourrir d’abord soi-même parce qu’avant tout le cinéma, c’est d’abord personnel avant de devenir une affaire d’Etat.
Peut-on savoir sur quels projets vous travailler actuellement ?
Je travaille sur un nouveau documentaire « Nuit Debout ». Actuellement le Congo se prépare à la construction d’un Grand Barrage Hydroélectrique Inga III sur le fleuve, censé éclairer une grande partie du continent Africain, alors que Kinshasa vit dans des délestages continuels. En attendant, la population Kinoise réinvente la question de la lumière. Une quête sur le sens de la lumière sur le plan physique et symbolique. C’est aussi un projet d’installation d’art (vidéo et photographie) que je présente au mois de Mai au Wiels, un centre d’art contemporain de Bruxelles où j’ai été accueilli en résidence au début l’an passée.
Propos recueillis par Kudjirakwindja Nabintu