RDC : La CENI et le défi de la transparence à quelques jours de la publication des résultats

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Tribune

A trois jours de la date annoncée pour la publication des résultats provisoires des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018 en République démocratique du Congo, le Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) laisse sérieusement planer le doute sur la capacité opérationnelle de son institution à finir dans le délai le difficile travail de dépouillement et de centralisation des résultats conformément au  calendrier électoral. A première ouïe ou vue, ceci pourrait être banalisé. D’autant plus que les élections, attendues depuis décembre 2016, ont enfin fini par relever du concret. Mais, à scruter rigoureusement les déclarations publiques de la CENI sur la problématique des fonctions de la machine à voter, il y a de quoi alimenter la réflexion sur le niveau de transparence de ces élections.

Les propos du Président de la CENI ont été largement relayés par la presse tant nationale qu’étrangère : « Nous ne dormons pas. Nous faisons de notre mieux pour qu’on publie les résultats le 6 janvier. Mais si on n’y arrive pas, à l’impossible nul n’est tenu », a fait savoir Corneille Nangaa le 3 janvier 2018. « On pensait qu’on pouvait transmettre les résultats à partir de la machine à voter pour nous aider à publier rapidement les résultats. Personne n’avait voulu de cette procédure », a ajouté le président de la CENI, indiquant que « le ramassage (des procès-verbaux) ne peut pas se faire en deux jours ».

Pourtant, à la suite de la controverse sur la transmission des résultats, la CENI s’est montrée ferme sur le fait que « la machine n’est pas destinée à la transmission des résultats. La procédure de 2006 et de 2011 sera appliquée pour la transmission des résultats ». Le Président de la CENI était on ne peut plus clair le 25 décembre 2018 sur TV5 : « Les résultats annoncés, j’insiste, ce n’est pas les résultats qui sortiraient de la machine ; c’est les résultats qui sortiraient de la centralisation du comptage manuel et consolidés au niveau de différents centres locaux de compilation ».

Dès lors, comment expliquer et comprendre le changement, à peine quelques jours, de postures discursives de l’institution électorale censée, à travers sa délicate mission d’organiser les élections, assurer l’appui à la jeune démocratie congolaise ? L’impossibilité de rendre publics les résultats provisoires à la date fixée découlerait-elle des limites conceptuelles dans la planification électorale à la base de l’élaboration du calendrier électoral ou plutôt des pressions de divers ordres pour une meilleure affirmation de la transparence lors de la transmission des résultats ?

Il sied de rappeler que la prévisibilité est au cœur du management électoral. Elle requiert de la rigueur dans l’évaluation de la marge temporelle pour chaque opération au regard des défis qu’elle impose et des ressources qu’elle exige pour l’atteinte du résultat envisagé suivant des considérations d’efficacité et d’efficience. Il s’avère nettement évident que la machine à voter constitue l’outil de référence dans la planification stratégique du cycle électoral 2018-2019 en RDC. C’est donc sur cette base que la CENI avait envisagé et annoncé la publication des premières tendances des résultats provisoires quarante huit heures après la tenue des scrutins et celle des résultats provisoires proprement dits en date de 06 janvier 2018. Il va sans dire que, sans l’usage de la machine à voter, cette audacieuse ambition de la CENI relève d’une utopie savamment entretenue dans la pensée quasi collective jusqu’il y a peu. Fort heureusement qu'il n’y a point meilleur juge que le temps.

Il peut ainsi être établi qu’avant la tenue des élections, la CENI n’a pas pris soin d’apporter toute la lumière à la population congolaise sur les fonctions de la machine à voter. Elle n’est manifestement pas donné la peine de développer l’intelligence stratégique nécessaire pour informer, expliquer, lancer un « débat national » sur l’utilité de la machine à voter lors du vote et après cet exercice de manière à dégager un large consensus fondé sur la « vérité ». L’approche communicationnelle adoptée par la CENI peine manifestement à conforter une meilleure perception de l’opinion tant nationale qu’internationale en sa faveur quelle que soit la bonne foi de ses animateurs de faire de la publication des résultats des joutes électorales un sujet de célébration nationale en l’honneur de la démocratie congolaise.

Pour n’avoir pas réussi à faire assez montre de transparence en temps opportun sur les fonctions de la machine à voter tel qu’il ressort de la Décision n°001 Bis du 19 février 2018 du Bureau de la CENI (impression des bulletins de vote selon l’article 49, dépouillement selon l’article 65, transmission des résultats suivant l’article 69), les animateurs de l’institution électorale sont buttés à la surveillance et à la ténacité de plusieurs acteurs. (Lire l’article « Machine à voter : l’épineuse question de la transmission des résultats). C’est de bonne guerre. Car la transparence de l’organisme de gestion des élections tant dans son fonctionnement que dans ses opérations participe largement à assurer l’intégrité du processus électoral.

La CENI n’aura nullement violé la Constitution ni les Lois de la Républiques en préconisant un dialogue avec les organisations d’observations électorales et les candidats à l’élection présidentielle avant la publication des résultats provisoires. Ce en vue de témoigner de la transparence nécessaire à la consolidation de la démocratie congolaise. C’est certes risqué mais non sans intérêt symbolique.

Martin ZIAKWAU Lembisa

Internationaliste, analyste politique, il est auteur du livre : Accord-cadre d'Addis-Abeba : Portée et incidence sur la République démocratique du Congo.