Report partiel des élections : L’argument de la CENI est insuffisant (Tribune)

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Les termes dans lesquels le Rapporteur de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a justifié, au cours d’un échange avec la presse le 26 décembre 2018, à Kinshasa, le communiqué de l’institution électorale portant report des élections à Beni, Butembo et Yumbi, constituent une interpellation à l’attention de plus d’un Congolais. Je lui en saurai gré, lui prêtant le bénéfice d’un bon préjugé.

Il argue ce report comme suit : « C’est une matière qui est réglée par la loi électorale. En cas de circonstance exceptionnelle, si la CENI ne parvient pas à organiser une élection dans une ou plusieurs circonscriptions, la procédure est claire. On tient compte des voix valablement exprimées disponibles. Allez lire l’article 84 des mesures d’application (de la loi électorale). C’est ce qui va se passer », a-t-il fait remarquer. Il n’est pas anodin de signaler qu’au mépris des règles de transparence, la Décision n° 001 Bis du 19 février 2018 du Bureau de la CENI portant mesures d’application de la loi électorale n’est pas placée sur le site internet de cette institution d’appui à la démocratie. Deirdre Curtin et Joana Mendes soutiennent à cet effet que « La transparence peut recouvrir le seul accès aux documents, leur disponibilité réelle ou même l’accès ou la disponibilité d’informations de manière plus générale qui révèlent le raisonnement sous-tendant une décision ou la façon dont cette dernière a été prise. » (« Transparence et participation : des principes démocratiques pour l'administration de l'union européenne », in Revue française d'administration publique, vol. 1, n° 137-138, 2011, p. 103.)

Par ailleurs, en parcourant l’article 84, force est de constater qu’il est détourné de son contexte. Il en résulte l’altération de sa signifiance. En effet, l’article sus-évoqué est le deuxième du chapitre traitant « Du seuil légal de représentativité et de l’attribution des sièges ». Pour rappel, le seuil légal de représentativité est, au regard de l’article 83, un pourcentage de voix expressément fixé par la loi, obtenu sur le total des suffrages valablement exprimés que les listes en compétition doivent atteindre afin d’être éligible à l’attribution des sièges dans une circonscription électorale. Il est fixé à 1% au niveau national pour la députation nationale, à 3% au niveau provincial pour la députation provinciale et à 10% au niveau de la circonscription pour les élections communales et locales. Il ne concerne nullement l’élection présidentielle dont la circonscription est le territoire national.

Cet article se rapporte aux modalités de détermination du seuil légal de représentativité. C’est à son alinéa 10 que renvoient les propos du Rapporteur de la CENI. Pour raison de clarté, nous le reprenons in extenso : « En cas de circonstances exceptionnelles n’ayant pas permis l’organisation du scrutin dans une ou plusieurs circonscriptions électorales, la détermination du seuil légal de représentativité se fait sur base du nombre des suffrages valablement exprimés disponibles. Dans ce cas, l’attribution des sièges dans les circonscriptions restantes se fera uniquement selon le mode de la proportionnelle des listes ouvertes à une seule voix préférentielle, avec application de la règle du fort reste dans les circonscriptions plurinominales, ou selon le mode majoritaire simple dans les circonscriptions uninominales. »   

Il y ressort que l’argumentaire avancé par le Rapporteur de la CENI peine à tenir pour justifier le report de l’élection présidentielle considérée - à tort ou à raison - comme de portée majeure suite à la non représentation du Président de la République sortant. A vrai dire, les autres scrutins sont simplement postposés ; il n’en est pas le cas pour l’élection présidentielle à Beni, Butembo et Yumbi où les électeurs ne pourront pas se rattraper. Il se peut que la décision de la CENI, amère soit-elle, ne manque pas de pertinence.

Ce qui pose le plus problème, c’est la méthode employée pour annoncer une nouvelle aussi sensible à quelques jours des scrutins prévus le dimanche 30 décembre 2018. Pourquoi n’avoir pas recouru à la même stratégie de rapprochement et de dialogue avec des acteurs en présence (Gouvernement, Conseil national de suivi de l’Accord politique du 31 décembre 2016, missions diplomatiques accréditées à Kinshasa, candidats, etc.) pour expliquer, convaincre, écouter, de manière à dégager un consensus sur le projet de report des élections initialement fixées au 23 décembre 2018 ? Ce après l’incendie dans un entrepôt de la CENI à Kinshasa à la suite duquel 8000 machines à voter ont été mises à feu ainsi que le retard accusé dans l’acquisition des imprimés (bulletins de vote, procès-verbaux). Pourquoi avoir avancé cette fois-ci le motif de l’indépendance de la CENI .pour se prévaloir du droit de se passer de toutes consultations ?

Au fond, la CENI recourt à la tactique du salami dans la mesure où, après avoir répertorié les problèmes et défis (logistiques, sanitaires, sécuritaires) contraignant à la non-tenue du rendez-vous électoral le 23 décembre 2018 et les avoir soumis à la discussion de la réunion interinstitutionnelle du 17 décembre 2018, elle a résolu de solliciter le report des scrutins sur la seule base des considérations techniques. Elle en a obtenu gain de temps sans toutefois résoudre fondamentalement le problème. Car, lors de ses consultations, la CENI aurait pu faire d’une pierre deux coups en mettant sur le tapis la question du vote à Kinshasa ainsi que celle à Beni-Butembo avec en toile de fond la problématique d’Ebola dont la certification de l’ampleur par l’Organisation mondiale de la santé ou de l’expert congolais le plus emblématique dans cette lutte de santé publique aurait concouru à rassurer les plus sceptiques. 

Il n’est donc pas insensé de penser que, plutôt que de plaider une nouvelle fois pour le renvoi de l’élection présidentielle au mois de mars pour des raisons sanitaires et sécuritaires – ce qui serait lourd de conséquences fâcheuses à son encontre face à la montée des pressions de divers ordres -, l’institution électorale semblerait suggérer implicitement cette piste à l’adhésion des tiers devant en assumer les implications. En jouant ainsi à la prudence, la CENI expose ces tiers à la vindicte populaire.

Si ce jeu de « dissimulation » est susceptible d’offrir des gains à certains acteurs au détriment des autres, il ne concourt pas à la consolidation de la démocratie congolaise. L’élection des Gouvernants requiert de la transparence en vue d’asseoir leur légitimité et de conforter leur pouvoir d’engager le peuple. D’où le sens du syntagme « transparence démocratique ». A cet effet, une ultime réunion de concertation entre la CENI et les candidats à la présidentielle reste non moins pertinente pour dégager un consensus sur les sujets électoraux à controverse (fonction de la machine à voter, report des élections dans certaines contrées). Ce en vue de favoriser la tenue des élections apaisées et, surtout, de permettre au prochain Président de la République élu de jouir de la dignité.

Martin ZIAKWAU Lembisa

Internationaliste, analyste politique, il est auteur du livre : Accord-cadre d'Addis-Abeba : Portée et incidence sur la République démocratique du Congo.