Les victimes de la guerre de six jours de Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo, peuvent-elles encore compter sur le Fonds de réparation et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en République démocratique du Congo (FRIVAO) pour obtenir justice et réparation ? Ou l’espoir s’est-il envolé face aux multiples soupçons de détournement qui pèsent sur cet établissement public depuis sa création ?
Face à cette situation, le gouvernement entend agir pour sauver ce qui peut encore l’être et permettre au FRIVAO de jouer pleinement son rôle. Lors de la 67ᵉ réunion du Conseil des ministres, le Ministre d’État, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Guillaume Ngefa, a présenté une note d’information relative à l’état des lieux du Fonds spécial, aux enjeux ainsi qu’aux recommandations issues de sa mission effectuée à Kisangani du 6 au 10 novembre 2025.
Selon lui, cette mission a permis de constater une attente forte et légitime d’indemnisation immédiate, ainsi qu’une volonté de voir les activités du FRIVAO reprendre rapidement. Mais plusieurs obstacles bloquent toute relance : détournements des fonds destinés aux victimes, politisation de la structure, rétro-commissions, introduction de fausses victimes et corruption, sans oublier les conflits ouverts entre associations de victimes.
"Face à cette situation, une réforme profonde et immédiate est impérative. Des propositions ont été présentées afin de restructurer, assainir et relancer le FRIVAO sur des bases saines, transparentes et axées sur sa mission première : la justice et la réparation pour les victimes", indique le gouvernement qui annonce des mesures, notamment :
• Diligenter un audit financier et organisationnel approfondi, à confier à un cabinet international indépendant, pour déterminer l’ampleur des détournements, identifier les responsables et vérifier l’intégrité de la base de données ;
• Restructurer la gestion en mettant en place une équipe de gestion intérimaire, indépendante, composée de représentants de la société civile, du gouvernement (Justice et Finances), des associations de victimes et d’experts en gestion de projets, afin de superviser la transition et renforcer la gouvernance et le contrôle interne ;
• Restructurer le dispositif financier et de paiement, en instituant un système direct et traçable pour les victimes (virements bancaires ou services mobiles money), éliminant les intermédiaires et réduisant les risques de rétro-commissions, ainsi que la publication trimestrielle en ligne des budgets, dépenses et listes anonymisées des bénéficiaires pour respect de la vie privée mais vérifiables par les auditeurs.
Toujours selon sa note d’information, le Ministre d’État Guillaume Ngefa a rappelé que le redressement du FRIVAO n’est pas seulement une question technique, mais « un impératif moral, essentiel pour la cohésion nationale et la crédibilité des institutions ».
"La mise en œuvre résolue de ces mesures démontrera la volonté inébranlable de l’État de corriger les erreurs, de sanctionner les fautes et, enfin, de rendre justice aux véritables victimes qui ont tant souffert" a-t-il soutenu dans son intervention.
Les soupçons de détournement des fonds destinés aux indemnisations continuent de s’accentuer malgré les changements successifs des comités de gestion. Une enquête du Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL Asbl) révèle que 194.999.940 USD ont été encaissés entre janvier 2022 et décembre 2024 sur le compte officiel du ministère de la Justice ouvert à la Rawbank.
Après trois mois d’analyse (juin–août 2025), CREFDL affirme que FRIVAO a bien reçu 194,9 millions USD provenant de l’Ouganda, dont 105.135.000 USD destinés aux victimes de la guerre de Kisangani. Pourtant, jusqu’au 8 octobre 2024, seules 2.088.136 USD soit 1,98 % ont été effectivement versées aux victimes. En clair, 103.046.864 USD n’ont toujours pas été payés.
Pour gérer ces fonds, un établissement public, le FRIVAO, avait été créé par ordonnance présidentielle, avec pour mission d’identifier les victimes et de répartir équitablement les compensations fixées par la Cour internationale de justice (CIJ). Selon l’arrêt de la CIJ, l’Ouganda doit verser à la RDC cinq tranches annuelles de 65 millions USD à partir du 1er septembre 2022. Ces compensations concernent : 69,2 % pour les dommages personnels, 12,3 % pour les biens,18,4 % pour les ressources naturelles.
Clément MUAMBA