Alors que la Cour d’assises de Paris ( France) poursuit l’instruction de l’affaire Roger Lumbala en l’absence de l’accusé, ses avocats aussi bien ceux présents à Paris que ceux restés à Kinshasa maintiennent leur position : selon eux, la justice française n’est pas habilitée à juger leur client pour des faits qui se seraient déroulés en dehors du territoire français.
Lors d’une conférence de presse organisée vendredi 14 novembre 2025 à Kinshasa, Me Landry Pongo a invité les autorités politiques et judiciaires françaises à donner suite aux demandes d’extradition introduites par le gouvernement congolais. À ses yeux, l’obstination de la France à juger Roger Lumbala ouvre la voie à ce qu’il qualifie « d’anarchisme judiciaire international », susceptible d’avoir des conséquences néfastes à l’avenir.
« Il est impérieux pour l’État français de réserver une suite favorable à la demande d’extradition de Roger Lumbala, aux deux demandes introduites par la République démocratique du Congo. Cela constituerait une résignation un respect, je mets cela entre guillemets et une soumission au droit international, car les relations entre États ne fonctionnent que sur base de règles. Figurez-vous qu’aujourd’hui, si la France s’octroie une sorte de permis de poursuites judiciaires contre des ressortissants étrangers, elle ouvre un visa à l’anarchisme international pour des faits non rattachés à son territoire. Par réciprocité ou par jurisprudence, le Burundi, le Rwanda, le Congo-Brazzaville ou même la RDC pourraient aussi s’arroger cette compétence universelle. Pour des raisons d’exemplarité, la France doit donc donner une suite favorable à la demande d’extradition de Roger Lumbala », a déclaré Me Landry Pongo, l’un des avocats de l’accusé.
Selon la défense, deux conditions majeures issues de la législation française devraient pousser la France à abandonner cette affaire et à renvoyer Roger Lumbala devant la justice congolaise.
« Il résulte de cette disposition que l’intervention de la France est de nature subsidiaire. La France ne peut exercer son action pénale pour des faits non rattachés à son territoire que lorsque l’État d’origine de la personne mise en cause n’a posé aucun acte. La France, en vertu de l’article 689-11 de son Code de procédure pénale, s’est certes attribué le pouvoir de juger universellement les humains, mais elle s’est elle-même limitée. Première condition : la France ne peut arrêter un ressortissant étranger soupçonné de crimes contre l’humanité que lorsque son État n’a pas ouvert un dossier judiciaire », explique Me Landry Pongo.
La deuxième condition concerne le principe de subsidiarité :
« Si l’État d’origine de la personne poursuivie introduit une demande d’extradition, la France est obligée c’est sa propre loi de se dessaisir et de renvoyer la personne chez elle. Dans le cas de Roger Lumbala, il est clair qu’en RDC, avant même son arrestation en France, un dossier a été ouvert par le parquet près la Cour de cassation et l’instruction était en cours. Lorsqu’il a été arrêté en 2021, la RDC a sollicité son extradition, et plus récemment, une deuxième demande a été introduite. Les deux conditions étant remplies, la France devait extrader M. Lumbala pour qu’il soit jugé par son juge naturel », a insisté l’avocat.
Pour la défense, le fait que la France poursuive néanmoins l’affaire constitue une violation du droit international :
« Ce principe a été introduit dans le Code de procédure pénale français après la création de la Cour pénale internationale. Il y est précisé que lorsque la CPI n’a pas ouvert d’action et que l’État d’origine ne l’a pas fait non plus, alors la France peut intervenir. Mais ici, l’État congolais a ouvert un dossier. Si, déjà au niveau de la forme, le juge français ne respecte pas sa propre législation, cela pose problème au niveau international. La RDC est en droit d’exiger que la France respecte les demandes d’extradition introduites », a-t-il ajouté.
Face à cette situation, la défense annonce préparer des actions politiques et diplomatiques contre la France :
« La défense de Roger Lumbala s’est organisée pour initier des actions au niveau international, car le fonctionnement des États repose sur des règles. Lorsqu’une règle est violée, toute arrestation devient arbitraire. Monsieur Lumbala a déjà engagé des démarches internes, mais aussi saisi le Comité international des droits de l’homme à Genève pour solliciter de lourds dommages et intérêts pour le traumatisme moral et psychologique causé depuis des années, pour des faits non rattachés à la France mais qui ont conduit à sa détention par la justice française », a expliqué Me Pongo Landry.
Roger Lumbala, poursuivi en France pour complicité de crimes contre l’humanité commis en RDC, conteste la légitimité et la compétence des tribunaux français, a congédié son équipe de défense et a refusé de comparaître devant la Cour. Malgré son absence, le procès se poursuit. Le tribunal a désigné un de ses anciens avocats pour le représenter. Mais ces derniers jours, le banc de la défense est resté vide : ni l’accusé ni ses avocats n’étaient présents. Le président du tribunal a également annoncé que Lumbala avait entamé une grève de la faim pour protester contre le procès.
Conjuguées à son refus de coopérer, ces actions semblent destinées à déstabiliser les victimes à l’approche de leurs témoignages et à entraver un processus judiciaire attendu depuis plus de vingt ans. Dans une déclaration conjointe, les ONG impliquées dans la procédure TRIAL International, la Clooney Foundation for Justice, Minority Rights Group, Justice Plus et PAP-RDC ont fait part de leur vive inquiétude.
Ancien député national, ancien sénateur et ancien ministre, Roger Lumbala est jugé en France en vertu du principe de compétence universelle. Ce principe impose aux États, lorsque certaines conditions sont réunies, d’enquêter et de poursuivre les auteurs présumés de crimes d’une gravité telle qu’ils constituent une atteinte à la communauté internationale dans son ensemble. La présence de Lumbala en France et la nature des crimes qui lui sont reprochés relèvent de ce mécanisme.
Clément MUAMBA