Il est des événements qui placent un pays sur la carte du monde ou presque. Certains sont macabres (catastrophes naturelles, conflits…) d’autres jouissifs (Jeux olympiques, carnavals, sommets majeurs...), certains sont aléatoires/fortuits d’autres sont le fruit d’une planification. Le mythique gala de boxe ayant opposé George Foreman et Muhammed Ali, le 30 octobre 1974 à Kinshasa est un de ces événements. Car dans la chronique du rayonnement international de la capitale congolaise (et même du pays), il y aura toujours un avant et un après Ali-Foreman.
Au-delà des dividendes politiques
Dans la foulée de la politique du retour à l’authenticité qui prône une émancipation vis-à-vis du mode de vie imposé par l’ancien colonisateur et de la zaïrianisation de 1973, autre décision politico-sociale d’envergure qui voit être renommés Zaïre le pays, le fleuve et la monnaie, le Président Mobutu veut attirer la lumière sur son pays, jadis appelé République du Congo. Il choisit de frapper plus que fort et commandite l’organisation d’un combat de boxe entre deux champions poids lourds américains, George Foreman et Muhammed Ali, le mémorable Rumble in the jungle. Résultat : le Zaïre sera diffusé en mondovision à cette occasion et pour la première fois de son histoire.
Car, en plus d’être le premier championnat du monde organisé en Afrique, c’est aussi le profil des protagonistes qui augmente au retentissement médiatique de l’événement. George Foreman est le tenant du titre, rien que ça. Mais son adversaire est un visage emblématique dont la popularité et le charisme dépassent le ring. Muhammed a tout pour sortir du lot : boxeur avec un style particulier et mondialement reconnu, ayant changé de nom suivant sa reconversion à l’islam, un soutien prononcé des opprimés, un afro-descendant assumé, une icône mondiale qui a refusé d’aller combattre pour les États-Unis au Vietnam par solidarité aux Vietnamiens, qui a été déchu de ses anciennes médailles et banni de la boxe avant d’être réhabilité après avoir gagné le procès contre les instances et le gouvernement américains devant la Cour suprême américaine. Aux quatre coins du globe, tout le monde a une raison ou d’aduler ou de détester l’ex-Cassius Clay devenu Muhammed Ali et partant, le combat était suivi et l’image de puissance du continent et d’attraction universelle que poursuivait Mobutu avait été atteinte.
Au pouvoir depuis près de 10 ans, Mobutu n’hésite pas à offrir 5 millions de dollars, près de 34 millions de dollars en 2024, comme cagnotte pour chacun des challengeurs. L’enjeu de ce méga-événement organisé devant 100 mille personnes au Stade du 20 mai de à Kinshasa (ainsi rebaptisé depuis huit ans) n’est pas à chercher loin : le régime cherchait alors à envoyer au reste du monde une image différente. « Différente » veut dire positive. Car, en quatorze ans d’indépendance, l’ex-Congo belge est dans l’actualité pour l’assassinat du père de l’indépendance (Lumumba), les guerres de sécession, les coups d’État, etc.
Le festival Zaïre 74 en lever de rideau
L’on a vite fait d’oublier le festival Zaïre 74 dans le compte des retombées médiatiques du combat Ali-Foreman. Or, le rendez-vous musical en trois jours -22, 23 et 24 septembre 2024 a apporté une exposition presqu’aussi importante à la République du Zaïre. Sur les 31 groupes et artistes qui montent sur scène, la plupart sont déjà des vedettes planétaires, les Jackson’s Five, James Brown, BB King, Bill Whiters, Miriam Makeba, Abeti Masikini, Manou Dibango, Tabu Ley, Franco Luambo ou encore le TP OK Jazz. Pourtant, le festival est initialement conçu pour être un seulement événement promotionnel du combat Ali-Foreman. Mais avec des audiences allant de 60 mille à 80 mille festivaliers par chaque jour, Zaïre 74 a fait grand écho dans le monde entier. Preuve en est, en 2009 le producteur et réalisateur américain Jeffrey Levy-Hinte y consacre un documentaire, Soul Power où l’on revit l’ambiance de Kinshasa de l’époque à travers les nombreuses séquences du festival qui reviennent dans le film.
Mais comme le résume un article de 2017 du journaliste Vladimir Cagnolari, Zaïre 74, quand l'Afrique et l'Amérique noire se retrouvaient à Kinshasa, Mobutu voit ce festival comme des retrouvailles entre l’Afrique et sa diaspora, principalement les afro-descendants des Amériques. Ce concept comme une cause a permis en amont de persuader la plupart de ces artistes de rallier Kinshasa mais aussi à susciter en aval un esprit d’appropriation parmi les peuples noirs des Caraïbes, d’Amérique du Nord voir d’Europe contribuant ainsi à exporter la rumba et toute la culture locale, à diffuser positivement l’image du Congo-Zaïre et à renforcer chez les Zaïrois du monde entier le sentiment et la fierté d’appartenir à une nation tenue en haute estime.
L’année 1974, à tout jamais un repère
Le « combat du siècle » comme l’avaient surnommé les organisateurs s’inscrit dans une campagne globale de nation branding pilotée par les dirigeants zaïrois qui consiste à s’affirmer sans s’isoler. Par exemple, en 1972, soit deux ans avant le Rumble in the jungle, Mobutu bannit le costume traditionnel venu d’Occident qu’il remplace par l’abacost (à bas le costume) qui restera jusqu’en 1997 un pan important de l’identité culturelle nationale, tandis qu’en 1973, la FIKIN (Foire Internationale de Kinshasa) est admise au sein de l’UFI (Union des Foires Internationales). Aussi, le pays investit-il dans tous les autres axes pouvant renforcer son rayonnement international… avec succès très souvent. En 1974, après avoir remporté la Coupe d’Afrique des Nations (mars), le Zaïre devient le premier pays d’Afrique sub-saharienne à participer à la Coupe du monde (juin) et le troisième du continent.
Pour revenir au combat, il faut souligner que son récit restera intimement lié à l’épopée du grand Congo et sa capitale Kinshasa. Des productions comme la chanson In Zaïre de Johnny Wakelin (1976), le documentaire When we were kings (1996), le film Ali (2001) ou encore plus récemment la sortie de l’album Zaïre 74 : The African Artists (2017), l’exposition The Rumble in the jungle (2019) par B’ZZ et Arroi rappellent que le monde n’est pas près d’oublier le spectacle de la nuit kinoise du 30 octobre 1974.
Maghene Deba
Chroniqueur culturel, documentariste et critique d’art