RDC : présentation des résultats des études sur les « Modes alternatifs de règlement de conflits » en Ituri et à l’Equateur

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Des participants à l’atelier de restitution sur les MARC en Ituri et Équateur

Dans un atelier de restitution organisé ce vendredi 25 août à l’hôtel Memling, les organisations non gouvernementales internationales RCN Justice & Démocratie et Avocat Sans Frontières ont présenté les résultats des études menées par le cabinet INANGA dans les provinces de l’Ituri et Équateur, sur les modes alternatifs de règlement de conflits (MARC). Ces études ont été menées dans le cadre de la deuxième phase du programme d’appui à la réforme de la justice (PARJ 2), lancé depuis février 2022.

Cette thématique constitue l’un des 4 axes de travail  abordés dans ce programme : l’aide légale, la détention, la lutte contre la corruption et les MARC. La présentation des deux études a été faite par les chercheurs de la maison de consultance “Inanga” en vue de contribuer à une meilleure connaissance des pratiques des MARC en RDC. En accomplissant ce devoir de redevabilité, RCN Justice & Démocratie ainsi qu’Avocats Sans Frontières ont voulu offrir un espace d’échange entre différentes parties prenantes, les autorités institutionnelles du secteur de la justice d’une part, les acteurs de la société civile et les partenaires financiers d’autre part, qui soutiennent la RDC dans les différentes réformes en cours.

« Nous sommes agréablement surpris que la plupart des interventions après l’exposé des résultats des études, vont dans le sens de conforter le travail qui est fait pour matérialiser davantage les modes alternatifs de résolution des conflits (MARC). Une amélioration des politiques, une formalisation par des textes fixant un cadre légal qui organise les MARC de sorte que tous les acteurs MARC voient leur légitimité reconnue davantage ne peut passer que par les autorités provinciales et nationales habilitées, a dit Innocent Dunia, Coordinateur des projets pour RCN Justice et Démocratie en RDC.

Il a également noté un élan globalement positif à l’encouragement, au soutien à ce mécanisme de la part de toutes les parties prenantes. En effet, ce travail complète 4 autres études qui ont été réalisées, entre 2019 et 2021, au Kasaï, au Kasaï-Central, au Kongo-Central et au Tanganyika. Toutes ces différentes études montrent la légitimité des MARC dans les milieux aussi bien ruraux qu’urbains.

En somme, dans les deux provinces, l’Ituri et l’Equateur, les conflits récurrents portent sur les questions foncières et les aspects interpersonnels. En Ituri, la particularité est le conflit identitaire à caractère ethnique. Également, l’omniprésence des chefs des groupements dans la résolution des conflits à l’Equateur comme en Ituri a été démontrée. La particularité en Équateur, c’est plus les chefs des secteurs, différents des chefs des chefferies, qui se voient les plus consultés par la population et qui résolvent les conflits. En Ituri, des tensions sont perceptibles entre les acteurs judiciaires ceux des juridictions de droit commun, et les différents acteurs dits des MARC. Il n’y a pas forcément une grande collaboration. Parfois, il s’enregistre plutôt des menaces des premiers vers les acteurs des MARC.

Le choix des provinces est tributaire du projet PARJ2 qui définit les provinces du Kasaï, de l’Ituri et de l’Equateur comme les zones d’intervention. La province de l’Equateur, explique-t-on, a été choisie notamment parce qu’elle est une des provinces qui n’a pas reçu beaucoup de soutiens financiers dans les programmes de développement. Comme une étude avait déjà été faite dans la province du Kasaï, elle a été exemptée cette fois.

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Dans la province de l’Ituri

L'État de siège décrété depuis mai 2021 dans les provinces de l'Ituri et du Nord Kivu a impacté le fonctionnement de la justice dans la région, relève l’étude. Les activités des juridictions civiles ont été suspendues pendant plus de deux mois, du 3 mai au 8 juillet 2021. Le 9 juillet, une circulaire de la ministre de la Justice avait rétabli l'opérationnalité des tribunaux civils avec un niveau d'activité réduit, se limitant au traitement de certaines affaires. Une insuffisance de personnel dans les juridictions civiles et des juridictions militaires débordées ralentissent davantage le traitement des dossiers judiciaires.

L’étude indique en outre que cet état de siège dans la province de l’Ituri et la présence de nombreux groupes armés actifs dans la région impactent négativement l'accès à la justice. La réorganisation de l'appareil judiciaire a engorgé les tribunaux militaires. L'éloignement des quelques tribunaux fonctionnels entraine de graves risques de sécurité en cas de déplacement des justiciables, compromettant leur accessibilité au tribunal, mais également l'organisation d'audiences foraines et les descentes sur le terrain.

Cette étude visait à contribuer au rapprochement la justice des populations en Ituri en explorant les bonnes pratiques et opportunités de concertation, collaboration et synergie entre les mécanismes et les acteurs de la justice communautaire et ceux de la justice étatique, de l’ordre juridictionnel, en mettant les justiciables, leurs besoins, leurs attentes et leurs perceptions au centre de son approche.

Comme recommandation, il a été demandé au Ministère de la justice et aux cours et tribunaux de se lancer dans une réflexion approfondie sur l’opportunité de la conciliation et la médiation judiciaire au-delà des matières relatives au droit de la famille et du travail, et valoriser les pratiques actuelles de médiation initiées par les acteurs judiciaires.

Et pour la préparation de futurs mécanismes de justice transitionnelle, encourager l'organisation des consultations communautaires inclusives des populations les plus touchées par les conflits en Ituri sur ces mécanismes de justice transitionnelle à mettre en place, notamment dans les territoires de Djugu, Mahagi, et Irumu en particulier, afin de refléter la diversité des perceptions sur l'ensemble de la province.

Dans la province de l’Équateur

Dans cette province, les objectifs de cette étude, menée entre décembre 2022 et avril 2023, étaient d'améliorer la connaissance des pratiques des MARC et formuler des recommandations afin d'impulser un ancrage institutionnel et leur promotion, et contribuer à la concertation et l'harmonisation des acteurs en vue du développement des MARC.

Comme constat, la particularité de la province de l’Equateur est que les acteurs des MARC, en particulier les chefs coutumiers, font figure d'acteurs de première ligne dans le cadre du règlement des litiges dans la province. La majorité des litiges commencent par être traités au niveau local. Les chefs de groupement apparaissent comme les premiers acteurs en termes d'importance mais aussi de proximité, de légitimité et de confiance pour les populations locales.

Aussi, sur les 8 tribunaux de paix censés opérer dans la province, un seul est fonctionnel, à Mbandaka. Cela préjudice fortement l’accès de la population aux instances judiciaires. L'absence de tribunal, ainsi que les nombreux dysfonctionnements du tribunal opérationnel alimentent un déficit de confiance qui favorise davantage le recours aux MARC par les populations locales, même en dehors des matières relatives au droit civil et commercial.

En termes de recommandations, les études proposent de mettre en place un cadre de dialogue au niveau provincial entre les acteurs des MARC et les acteurs de la justice étatique, en vue de renforcer les relations de bonne collaboration entre ces acteurs sur base d'une réflexion commune sur leurs forces et les faiblesses respectives et sur les modalités de leur collaboration.

Également, la mise en place d’un cadre d'échange pour les chefs de groupement en vue de discuter de leurs pratiques pour en rechercher une certaine harmonisation ; l’organisation des réunions interfaces entre la population, la police et les différents acteurs pour échanger sur la procédure afin d'éviter certaines confusions et incompréhensions, notamment sur les attributions et les compétences des uns et des autres. Aussi, de dispenser aux chefs de groupements et aux acteurs de l’Administration locale au niveau des secteurs et des territoires des formations sur le droit congolais et le respect des droits humains.

Emmanuel Kuzamba