Du sommet de l’EAC sur la guerre dans l’Est, à la visite annoncée d'Emmanuel Macron en Afrique, en passant par l’intensité des combats entre les FARDC et les rebelles du M23, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Caroline Pindi Norah passe en revue chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Caroline Pindi Norah. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Caroline Pindi Norah : Je suis architecte de formation, présidente de l'Association des Femmes architectes du Congo (AFARC). Nous travaillons pour la promotion de la profession d’architecte exercée par la femme. Je dirige également une Asbl qui milite pour les droits des femmes et des enfants en RDC, dénommée Mille et Un Espoir. Je suis aussi responsable du volet violences domestiques en RDC pour le compte du groupe G100. Entrepreneure, je coordonne plusieurs structures de la société civile. Je suis une créatrice de bandes dessinées, des dessins animés ainsi que des revues pour jeunes. Au niveau de Mille et Un espoir, nous sommes dans la sensibilisation par le biais de la bande dessinée, nous organisons des conférences, des forums avec des thématiques centrées sur la femme, sur les violences basées sur le genre. Nous organisons également des conférences au niveau des universités, des établissements scolaires sur la masculinité positive.
Au mini-sommet de l’EAC sur la région Est de la RDC, les Chefs d’Etat ont décidé d’encourager les processus de Luanda et de Nairobi plutôt que de multiplier des initiatives. Ils en appellent également à un soutien financier des partenaires internationaux. Comment analysez-vous cette position ?
Caroline Pindi Norah : c’est une bonne chose d’organiser ces rencontres et débattre de la situation dans l’Est de la République Démocratique du Congo, bien que pour la plupart du temps les protagonistes semblent trouver des solutions qui n’arrivent toujours pas à se matérialiser. Ce qui m’intrigue, c’est de savoir que les pays africains tendent encore la main à l’Occident. Je pense notamment que la RDC devrait se prendre en charge en essayant de trouver la formule que Joseph Désiré Mobutu avait mis en place pour tenir en laisse tous nos voisins. Notre pays et notre président étaient très respectés à cette époque. Attendre une intervention étrangère ne nous mènera pas à la paix quand nous connaîtrons exactement les dessous des cartes. Demander aux pyromanes d’éteindre le feu est une utopie.
Malgré la tenue de ce sommet, d’intenses combats opposent depuis lundi, les FARDC aux rebelles du M23 soutenus par le Rwanda à 27 km de Goma. Quelles sont vos recommandations pour repousser cette avancée des rebelles ?
Caroline Pindi Norah : les FARDC peuvent y arriver. Mais il faut absolument que le jeu qui se joue au niveau des autorités soit franc. Nos forces armées ne peuvent apporter que des solutions selon les moyens à leur disposition. Pour repousser l’ennemi, ils ont besoin d’un appui logistique, financier, moral, un appui en formation, avoir le mental qu’il faut pour faire face à l’ennemi sur terrain. En 2010, lors d’un défilé à Kinshasa (à l’occasion de la fête de l’indépendance), nos militaires avaient fait une démonstration de force. Nous avons vu des équipements lourds pour mener la guerre. Mais où sont-allés tous ces matériels ? S’ils existent, pourquoi ne sont-ils pas mis à profit dans cette offensive contre le M23 soutenu par le Rwanda ? D’autre part, nous ne maîtrisons pas totalement les enjeux de cette guerre au niveau international. Je proposerais donc que la RDC s’engage sur deux fronts, il faut que le jeu de la guerre se joue au sommet du pays, dans le domaine diplomatique, et sur terrain en investissant dans l’armée.
Concernant les élections, un lot de matériel électoral a été découvert au Kasaï. Un autre lot de 300 cartes d'électeurs vierges avait été découvert il y a une semaine dans le Kwilu. Comment prévenir tout détournement du matériel électoral selon vous ?
Caroline Pindi Norah : c’est scandaleux ! Je m’interroge ! Sommes-nous vraiment gouvernés dans ce pays ? Je me rends compte que les personnes qui travaillent à des postes de direction n’ont pas encore compris ce qu’est le patriotisme. Le jour où les gouvernants incarnent cette qualité, où ils deviendront des vrais patriotes, des citoyens dignes, ils poseront des actes non pas pour leurs intérêts personnels mais bien pour la Nation entière. J’en appelle aux autorités de la CENI, aux autorités judiciaires et policières pour retrouver et sanctionner les auteurs des détournements des kits électoraux.
Entretemps, la CENI a annoncé avoir licencié deux de ses agents pour monnayage des services à Goma. Que représente cet acte pour vous ?
Caroline Pindi Norah : je félicite la CENI pour cette action. Je pense aussi que c’est une goutte d’eau dans la mer. Que fait la CENI de tous ceux qui ne sont pas dévoilés ? De ceux qui posent des actes de corruption sans être traqués ? La RDC n’inspire plus confiance, il y a un taux important de corruption à cause notamment des personnes comme celles-ci. Nous encourageons la CENI à traquer et sanctionner de tels agents. Au moins, nous pourrions compter sur des élections transparentes et crédibles.
L’EPST a dévoilé un répertoire de référence des écoles privées agréées et viables en RDC. Il en ressort que 2.103 écoles privées sont non viables, 1025 fonctionnent sans arrêtés et 605 avec des faux arrêtés. Au-delà de ce recensement, que faire pour améliorer le secteur éducatif ?
Caroline Pindi Norah : ces révélations sont honteuses. Il faut se demander comment toutes ces écoles ont commencé à fonctionner sans être en ordre avec l’Etat congolais. (…) Il va falloir aider celles qui ont fait leur preuves à se mettre en ordre. Des moyens doivent être mis en œuvre de la part du gouvernement car l’éducation est un secteur clé, le moteur de tout développement pour une nation.
En santé, le ministère a fait savoir à l’issue d’une enquête qu’entre 2015 et 2022, l'accès aux soins liés au paludisme a augmenté de 22% grâce notamment à la multiplication des sites de prise en charge. Des suggestions pour améliorer davantage ces résultats ?
Caroline Pindi Norah : pour améliorer ces résultats, il faudra notamment mettre à la disposition des familles congolaises, des moustiquaires imprégnées d’insecticide plus d’une fois par an. Renouveler l’opération de distribution équivaut également à améliorer la viabilité des centres de santé. L’Etat congolais doit également prendre en charge au moins 60% des dépenses liées aux soins de santé. En dehors de ces résolutions, il faudra aussi encourager la population à opter pour une assurance santé. C’est un service qui marche bien et qu’il faudrait mettre à profit.
Au niveau continental, le président français Emmanuel Macron sera en Afrique du 1 au 5 mars, notamment à Kinshasa, pour un sommet consacré à la protection des forêts équatoriales et pour renforcer des liens bilatéraux. Avez-vous des attentes à ce sujet ?
Caroline Pindi Norah : les Occidentaux, la France, Emmanuel Macron, sont des capitalistes. Ce qui revient à dire qu'ils doivent tirer profit pour tout acte qu'ils posent en Afrique. J’aimerais que le Chef de l’Etat congolais lève des options qui mettront en avant le bien être de la population congolaise. Nous avons acquis assez d’expérience pour comprendre que lorsqu’ils arrivent en Afrique, ce sont les intérêts qui priment.
A l'international, cela fait une année depuis que la Russie a envahi l'Ukraine. Que faut-il, selon vous, pour rétablir la paix ?
Caroline Pindi Norah : c’est encore là une manipulation des Occidentaux. Ils s’appuient sur l’Ukraine pour avoir une mainmise sur la Russie. En politique, quand on veut attaquer son adversaire, on multiplie des stratégies pour le neutraliser. Et les Occidentaux sont doués pour s’immiscer dans les affaires des Etats. C’est légitime pour l’Ukraine de vouloir s’assurer une indépendance mais l’incidence de cette guerre sur ses territoires est très visible. Ce pays devra se reconstruire après la guerre. Et ce sont les populations qui une fois de plus sont victimes. L’Occident devra mettre fin à cette ingérence dans les affaires politiques des Etats.
Un dernier mot ?
Caroline Pindi Norah : j’aimerais pousser les femmes à s’intéresser davantage à la gestion de la chose publique, à la politique pour que les compétences soient associées et mises en œuvre pour le développement de notre pays.
Propos recueillis par Prisca Lokale