RDC-Cameroun : L'avenir des forêts sacrées inquiète

Village dans une forêt sacrée au Cameroun
Village dans une forêt sacrée au Cameroun

Considérées pourtant comme le dernier rempart de la conservation de la biodiversité au regard de leur caractère restrictif, les forêts dites sacrées, (lieux des rites ancestraux, du savoir traditionnel et  de pratiques sacrificielles), n'échappe pas pourtant à la menace de disparition qui pèse sur les forêts suite à l'activité humaine.

En République Démocratique du Congo comme au Cameroun, les communautés villageoises assistent à la disparition de leurs forêts sacrées.

La pauvreté, la recherche effrénée du bois de chauffe, l'urbanisation et la mauvaise gestion des terres, sont citées parmi les principales causes de cette situation.

Pour tenter de limiter les dégâts dans un monde de plus en plus expansionniste, des initiatives sont mises en places par différents acteurs, société civile, Organisations non-gouvernementales et gouvernements. Mais la lutte est loin d'être gagné au regard de la réalité sur le terrain.

Au plateau des Bateke, cité située à environ 150Km de Kinshasa la capitale congolaise, les forêts sacrées ne sont plus que conjuguées au passé.

Des chefs traditionnels pointés du doigt en RDC

Les galeries forestières de Mbankana, au Plateau de Bateke, ont été surexploitées jusqu’à leur disparition, pendant les deux dernières décennies. Dans cette zone périurbaine située à environ 150 km de Kinshasa la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), l’expansion de la ville, la recherche de nouvelles terres à exploitées, la pauvreté, l’absence de débouchés et la mauvaise gestion de terre par les chefs coutumiers ou traditionnels, sont remis en cause.

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Pour José Mubake, habitant de Mbankana, les chefs traditionnels sont les premiers responsables de la disparition des forêts sacrées.

« Nos chefs coutumiers sont égoïstes dans leur posture de gardien des terres. Par cupidité et par soif d’argent, ils ont vendus des terres occupées par les forêts sacrées à des particuliers, oubliant la tradition. », déplore José Mubake.

Mais pour les chefs traditionnels, le problème est plutôt lié en grande partie au chômage des jeunes.

«Il n'y a plus de forêt. Faute de travail, les jeunes s'en prennent aux forêts. Ils coupent les arbres pour fabriquer le charbon de bois destiné à la vente.

C'est pourquoi j'ai demandé l'appui de la banque mondiale pour nous aider à reboiser, en plantant des acacias», fustige le grand chef Labi Mbama, 1er Chef des chefs des chefferies de Mbankana.

Comme conséquence, les règles et codes coutumiers qui protègent les forêts sacrées ne sont plus respectés par les riverains. « Avant d’entrer dans la forêt, vous devez demander l’autorisation aux chefs coutumiers. Et si vous passez outre leur autorité, un malheur peut vous arriver en forêt. Vous pouvez même vous perdre. », explique Willy Fimpele, notable de Mbankana en RDC.

Situation similaire au Cameroun.

À Bafoussam, le chef-lieu de la région de l’ouest au Cameroun, « Ngouh Ngouong », une forêt sacrée située au quartier Ndiangdam, est au cœur d’une affaire entre le chef supérieur et trois notables de la cour royale. Le Chef Njitack Ngompe Péle a infligé de lourdes sanctions à ces trois notables, pour leur rôle dans l’envahissement de cette forêt sacrée. Ces derniers ont conclu la vente d’une parcelle de terrain entre les deux sites, considérés comme mâle et femelle, de « Ngouh Ngouong ». Et pourtant cette forêt a déjà perdu plus de la moitié de sa superficie en seulement cinq ans.

La pression de l’homme s’exerce aujourd’hui sur toutes ces forêts sacrées, que l’on trouve de manière parsemée dans les différents villages de la région de l’Ouest du Cameroun. Dans cette zone essentiellement constituée de savanes, et où les plantations s’étendent à perte de vue, les chefs traditionnels,  considérés localement comme les premiers gardiens des forêts sacrées, déplorent une litanie de menaces.

Des chasseurs pyromanes

« De nos jours à Batié, les forêts sacrées sont confrontées à plusieurs menaces. Les gens y viennent chercher du bois et d’autres y font de la chasse. Et certains chasseurs mettent du feu, dans le but de pousser les rongeurs, notamment des rats, à sortir de leurs terriers. Outre cette pratique destructive, il y a l’invasion de ces forêts par l’activité agricole. Certains riverains des forêts étendent leurs plantations jusqu’à l’intérieur de la forêt » explique Tchouankam Theodore Dada, chef supérieur du village Batié.

Les forêts sacrées de Batoufam, localité située à environ 50 km au nord-est de Batié, ne sont pas moins épargnées. « La déforestation que nous subissons ici est surtout le fait des jeunes qui partent des villes pour s’installer au village. Ces derniers ne respectent pas les coutumes et encore moins les forêts sacrées. C’est ainsi qu’ils y entrent, coupent du bois, ou pratiquent de l’agriculture » explique Nayang Toukam Inocent, chef supérieur Batoufam.

La banalisation des forêts sacrées

La Fondation internationale pour le développement, l’entrepreneuriat et la protection de l’environnement (Fidepe), fait partie des organisations non gouvernementales (ONG) actives dans la lutte pour préservation des forêts sacrées. À Bafoussam où elle est installée, elle constate que les forêts sacrées ont presque perdu leur caractère sacré auprès des générations actuelles.

« Les religions étrangères et plus particulièrement le christianisme, considèrent nos rituels sacrificiels comme étant des pratiques sataniques. Cela pousse beaucoup de nos frères à rejeter leur tradition ainsi que les lieux où celle-ci est pratiquée. C’est pourquoi de nos jours, vous verrez n’importe qui s’introduire dans les forêts sacrées, n’hésitant pas de les piller au passage. », déplore Clovis Koagne, le président de Fidepe.

Un patrimoine au cœur des enjeux climatiques et biologiques

Derniers bastions forestiers pour les régions explorées au Cameroun et en RDC, les forêts sacrées font parties des aires du patrimoine autochtone et communautaire. Elles sont conservées par des communautés locales sur la base des us et coutumes.

Ces forêts sont donc déterminantes pour l’atteinte des objectifs de l’Agenda post 2020 de la Convention sur la biodiversité. Publié le 12 juillet 2021 par le secrétariat de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), cet agenda comprend 21 objectifs pour 2030 qui demandent, entre autres, qu’au moins 30 % des zones terrestres et maritimes mondiales soient conservés.

« Les forêts sacrées regorgent d’espèces animales et végétales variées dont la disparition serait dramatique pour la biodiversité et même pour la médecine traditionnelle. Et même si nous plantons des acacias ou des eucalyptus, nous ne réussirons pas à ramener ces arbres primitifs, réservoir du savoir traditionnel, que nous ont légué nos ancêtres. », indique Salah Mushiete, chef du village Impini situé dans la province Kwilu au sud de la RDC.

 

Myriam Iragi et Boris Ngounou avec le soutien du Rainforest Journalism Fund et du Pulitzer Center