RDC : l’actualité de la semaine vue par Justine Masika

Photo/ Droits tiers
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Du voyage du Chef de l’Etat en Espagne à l’assassinat d’un chef coutumier et de son épouse à Butembo, en passant par le point de presse de Jean-Marc Kabund et la position de l’Assemblée Nationale , la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité.  Justine Masika passe en revue chacun de ces faits marquants.


Bonjour Madame Justine Masika et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?


Justine Masika : Je suis Justine Masika Bihamba, membre fondatrice de la Synergie pour les femmes victimes de violences sexuelles (SFVS) à l’Est RDC-Congo. Je préside actuellement le conseil d’administration de cette ONG. Je milite pour la promotion et le respect des droits de la femme en général et les victimes de violence sexuelle en particulier. En 2008, j’ai été lauréate du prix Tulip pour les défenseurs des droits humains (prix attribué par le gouvernement néerlandais aux activistes des droits humains dans le monde). En 2009, j'ai été lauréate du prix de Pax Christi International, nominée par Women Deliver parmi les 100 personnes qui ont milité pour la promotion des droits de la femme. En 2012, j’ai reçu une reconnaissance par Idaho Human Rights Education Center.


Je suis également membre du « Forum des Femmes ».  C’est un espace de partage regroupant les Femmes de 4 pays de la Région des Grands Lacs à savoir la RDC, le Burundi, le Rwanda et l'Ouganda sur la résolution l'agenda Femme, Paix et Sécurité. Ce cadre permet de convenir des actions en faveur de l'appropriation par les femmes de la base, voire d'évaluer le niveau de mise en œuvre de différents plans d'actions des États de la région en rapport avec l'agenda Femmes, Paix et Sécurité. 


La semaine a débuté avec le point de presse du député national Jean-Marc Kabund. Il regrette notamment d’avoir participé à l’élection de Félix Tshisekedi en tant que président, le considère comme un danger au sommet de l’Etat et appelle à le chasser en 2023. Que pensez-vous de ses déclarations ? 


Justine Masika : je pense que le député Jean-Marc Kabund a usé de sa liberté d'expression. On peut tout de même s’interroger sur ses motivations. Pourquoi a-t-il fait ces déclarations seulement maintenant, à la veille d'une nouvelle élection ? Quand on sait qu'il ne l'a pas fait lorsqu'il avait des responsabilités au niveau de l'Assemblée Nationale et à l'Union pour la Démocratie et le progrès social (UDPS).


En réaction, l'Assemblée nationale considère que son ancien 1er vice-président a manqué au droit de réserve, qualifie ses propos d'"outrage" au Chef de l'État et estime que la justice devrait l'interpeller. Quel est votre point de vue à ce sujet ? 


Justine Masika : c'est la manière de penser du bureau de l'AN. Il faudra peut-être attendre la session parlementaire prochaine pour évaluer la tendance de la majorité des élus à ce sujet. Néanmoins, en ce qui concerne le Chef de l'Etat, l'idéal serait qu'il déclare lui-même si Jean-Marc Kabund a commis un outrage à son égard, et qu'à cet effet il saisisse la justice. 


Vendredi, le procureur général près la Cour de cassation a adressé un réquisitoire au bureau de l’Assemblée nationale en vue d’obtenir l’autorisation d’instruire un dossier à charge du député national Jean-Marc Kabund. Que pensez-vous de cette action de la justice Congolaise ?


Justine Masika : j’estime que cette sollicitation de la justice est une question qui devra être soumise au vote de l'Assemblée Nationale.


Entre-temps, le Chef de l’Etat se trouve depuis lundi à Marbella, au sud de l'Espagne. Selon son entourage, c’est pour un contrôle médical et un repos. Ce déplacement a suscité des réactions dans la scène politique congolaise. Qu'en dites-vous ? 


Justine Masika : il s'agit de la vie privée du Chef de l’Etat. Mais, j'espère qu'après son repos il viendra compatir avec la population du Nord-Kivu en proie à la guerre.


En sécurité, des femmes ont manifesté à Goma pour exiger le départ sans condition de la MONUSCO. Cette manifestation s’ajoute à plusieurs autres dans la partie Est du pays. Avaient-elles raison de manifester ? 


Justine Masika : c'est une manière pour ces femmes de manifester leur cri de détresse face à la persistance de la violence armée. Dans ma langue maternelle, une sagesse prie de ne pas commenter les cris d'une veuve en plein obsèques.


Il y a eu un mort et neuf blessés lors des affrontements entre les miliciens mai-mai à Lubero au Nord-Kivu. Un chef coutumier et son épouse ont également été assassinés la nuit du mercredi à jeudi à l’est de Butembo où les ADF sont généralement accusés. Quelles sont vos propositions à ce stade pour faire réussir l'état de siège ? 


Justine Masika : cela est une preuve que l'insécurité a encore de beaux jours dans cette zone. C'est une nécessité de restaurer l'autorité de l'Etat dans cette partie de la RDC. La guerre contre le M23 ne devrait pas occulter le regard sur d'autres coins où la cruauté des groupes armés est flagrante.


En ce qui concerne le Parc des Virunga, face à l'indifférence de la communauté internationale, le ministre de l'environnement a souligné que le gouvernement congolais n'exclut pas la possibilité de militariser la gestion du parc ou son retrait de la liste des patrimoines universels. Une telle annonce est-elle utile en ce moment ? 


Justine Masika : il revient à l'Etat d'évaluer ce qui convient pour la sécurité de ses habitants, de sa faune et de sa flore. Dans tous les cas, il faut que l'Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) soit au moins impliqué dans les décisions stratégiques sur la gestion des espaces protégés. 


En Angola, lors d'une réunion de la Commission mixte RDC-Rwanda, les deux pays ont appelé à un déploiement rapide de la Force Régionale bien qu'au niveau de la RDC, des voix s'élèvent, notamment le Dr. Mukwege, contre cette action. Êtes-vous également opposée à ce déploiement ? 

Justine Masika : ce que l’on désire, c'est la paix et la sécurité. Cependant une question qui mérite d'être posée est celle de savoir en quoi cette force régionale sera-t-elle différente de toutes celles qui ont déjà été déployées en RDC (FIB/MONUSCO, UPDF, …)?


Dans le cadre de la résolution 1325, des activistes de l’Ouganda, de la RDC, du Rwanda et du Burundi vont tenir un forum à Bujumbura. Les questions de sécurité dans la Région des Grands lacs y seront abordées. À quelles résolutions la population congolaise devrait-elle s'attendre ? 


Justine Masika : que les femmes qui sont à la fois victimes et actrices soient également impliquées dans les processus de résolution des conflits et de consolidation de la paix initiés par les autorités de la région au sujet du problème sécuritaire de l'est de la RDC. A ce titre, la participation des femmes membres du Forum est souhaitée pour les travaux à venir de Nairobi, Luanda, ...


À Kinshasa, des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des motards se faire justice. Ils brûlent des véhicules ou frappent des agents de police quand ils estiment avoir été lésés. En réaction, la police annonce le processus d'immatriculation des motos dans deux semaines. Quel est votre point de vue à ce sujet ? 


Justine Masika : l'identification de motards est réellement indispensable pas seulement dans la capitale Kinshasa mais aussi sur l'ensemble du pays. Au-delà de cette identification, il sera nécessaire de les associer au code de la route et au civisme. De même, la discipline mérite d'être renforcée chez les éléments des forces de l'ordre, spécialement les policiers réglementant la circulation routière. Ainsi les formations à réaliser devraient cibler aussi bien les motards que les policiers. 


Dans l'actualité continentale, le Parti congolais du travail (PCT) du président Denis Sassou Nguesso a remporté la majorité des sièges du Parlement, à l’issue des législatives au Congo. La société civile affirme avoir constaté des "tricheries, des fraudes et des scènes de corruption à ciel ouvert", appelant les autorités à organiser des états généraux de la démocratie. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ? 


Justine Masika : il est un constat que les présidents Africains n'organisent pas les élections pour les perdre. Ce qui justifie dans la plupart des cas, des scènes de corruption, de tricherie, de fraude, (...) Les états généraux sur la démocratie méritent d'être réalisés partout en Afrique. En attendant, voyons d'abord si au Congo-Brazzaville cela sera possible. Ce qui étonne, c'est toujours l'attitude de la communauté internationale qui peut ici lever le ton et ailleurs regarder silencieusement. 


Par ailleurs, le gouvernement malien a ordonné l'expulsion du porte-parole de la Mission de l'ONU au Mali (Minusma). Les autorités maliennes lui reprochent des "informations inacceptables" sur l'affaire des 49 militaires ivoiriens détenus depuis plus d'une semaine à Bamako. Que pensez-vous de cette décision ? 


Justine Masika : le Mali est un état souverain. Et donc, les autorités Maliennes peuvent décider souverainement. Ce qui importe c'est de ne pas le faire avec brutalité et se rassurer que cette décision est sans conséquence sur les relations entre ce pays et les Nations-Unies. 


Un dernier mot ? 


Justine Masika : je crois à la paix et la sécurité des pays des Grands Lacs. Je suis convaincue que cela ne sera possible que si les femmes sont impliquées aux côtés des hommes dans les processus de pacification et de sécurisation, cela de la base au sommet.

Propos recueillis par Prisca Lokale