RDC-Tolérance zéro immédiate : où en sommes-nous avec la « création des chambres spécialisées en matière des violences sexuelles » ?

TGI Kinshasa Kalamu
Illustration. TGI Kinshasa/Kalamu

Parmi les objectifs assignés à la Campagne Tolérance zéro immédiate contre les crimes des Violences sexuelles basées sur le genre (VSBG) en République Démocratique du Congo, on compte également la création des chambres spécialisées dédiées aux questions des violences sexuelles au niveau de chaque Tribunal de Grande Instance (TGI) du pays. Une année après cette annonce faite par le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi, ce projet n’est pas de mise à Kinshasa. Un reportage du Desk Femme.

« Cet acte vient réitérer ma volonté maintes fois exprimée, ce dès les premières heures de mon mandat, de faire de la lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre l’une des priorités de mon Gouvernement ; et je m’engage, en outre, à veiller à la mise en œuvre de la politique de la Tolérance Zéro Immédiate pour éradiquer ce fléau au travers des objectifs spécifiques ci-après : (…) 10. Créer des chambres spéciales dédiées aux questions des violences sexuelles au sein des tribunaux de grande instance (TGI) du pays », avait annoncé Félix Tshisekedi le 19 juin 2021.

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Que comprendre par « Chambres spéciales » au sein des TGI ?

Pour Fidèle Kanyinda, avocate au barreau de Kinshasa/Matete, il s’agit d’« une structure, au sein du Tribunal de grande instance qui ne s’occupe que des violences sexuelles et assure une prise en charge spécifique pour les victimes ». Selon le dictionnaire juridique, en ligne, « Le mot "Chambre" désigne une des formations internes d'une juridiction comprenant un "Président de Chambre" et deux magistrats ou plus. Les petites juridictions comportent au moins deux Chambres ».

La ville de Kinshasa comporte cinq Tribunaux de Grande Instance répartis sur 26 communes. Il s’agit notamment du TGI Kinshasa/Gombe, du TGI Kinshasa/Matete, du TGI Kinshasa/N’djili, du TGI Kinshasa/Kalamu ainsi que du TGI Kinshasa/Kinkole.

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Il est 10 heures passées, nous sommes dans la commune de N’djili située dans le district de la Tshangu et l’un des coins les plus peuplés de la ville. En 2016, le bâtiment abritant le TGI avait été incendié par des manifestants en colère lors d'une marche politique. Aujourd’hui, les traces sont encore visibles, notamment dans les bureaux. Au niveau du secrétariat, un bureau peu éclairé, des chaises en plastique et des murs délabrés. Le secrétaire Salumu Alfani confie « qu’aucune initiative n’a été prise pour la création d’une chambre spéciale dédiée aux questions des violences sexuelles ».  

Il explique : « Le TGI/N’djili comporte en tout 5 chambres. Et aucune d’entre elles ne s’occupe spécifiquement des violences sexuelles. Les cas de violences sexuelles font partie des faits pénaux et sont directement orientés vers le greffe pénal qui traite de toutes infractions punissables par la loi. Dans l’organisation des Cours et Tribunaux en RDC, le législateur n’a pas prévu la création d’une chambre axée sur les violences sexuelles. Pour la mettre en place, il faut commencer en amont, au niveau de la Cour Constitutionnelle ou de la Cour de cassation, trouver des juges qui statuent sur la création d’une chambre spéciale dédiée à ces questions. Ensuite une correspondance sera envoyée à tous les Tribunaux de grande instance pour exécution. C’est de cette façon que nous pourrons la mettre en place ».  

Le TGI N’djili prend en charge les communes de N’djili, Masina et Kimbanseke.

« Ces cas ne sont pas réguliers »

Au sein du Tribunal de Grande Instance de Matete situé en plein marché, Flavie Ossembe, occupe aussi le poste de secrétaire de cette Institution judiciaire et de la juge présidente. « En principe, les matières de violences sexuelles (viol, harcèlement sexuel, l’esclavage sexuel, la violence sexuelle) sont traitées au niveau du greffe pénal », précise Flavie Ossembe,  secrétaire du TGI de Matete qui prend en charge les communes de Matete, Ngaba, Limete, Lemba et Kisenso, toutes du district de Mont-Amba.

Et d’ajouter : « nous n’avons pas appris qu’une chambre spéciale devrait être créée. C’est possible de le faire. Mais ces cas ne sont pas réguliers. A quoi servirait-elle ? Jusque-là nous orientons les cas vers le greffe pénal. Quant à la campagne Tolérance zéro immédiate, je me souviens avoir entendu parler de cela. Mais pas au Tribunal ».  

« Non, aucune chambre spéciale n’a été créée »

Direction vers le TGI Kalamu. Les conditions de travail sont presque les mêmes que les deux précédents. Bureaux entassés par des documents, des tables de bureaux qui se succèdent, aucune climatisation et pas de plafonniers, des chaises en plastique. Ce TGI a pour ressort territorial les communes de Kalamu, Kasa-vubu, Ngiri-Ngiri, Bandalungwa, Makala, Bumbu et Selembao. L’un des secrétaires qui a accepté de s’exprimer a plutôt requis l’anonymat.

« Les dossiers de violences sexuelles commencent au niveau du Sous-ciat. L’OPJ dresse son procès-verbal sur base des témoignages de la victime et de l’accusé. L’affaire est ensuite transférée au niveau du parquet pour instruction. Le parquet lance également ses enquêtes, il va inviter la victime et sa famille, avant de saisir le procureur du TGI et envoyer le dossier pour fixation. Nous organisons généralement des audiences foraines c’est-à-dire des audiences en plein air, pour permettre au public d’y prendre part et se rendre compte du fait que la justice est appliquée. Les matières de violences sexuelles sont traitées exclusivement au niveau des TGI parce que la condamnation s’étale entre 5 ans et 20 ans de prison », explique-t-il.

Au sujet de l’existence d’une chambre spéciale au niveau du TGI Kalamu, sa réponse est négative. « Non, aucune chambre n’a été créée. Nous ne sommes pas au courant de la mise en œuvre de la campagne », a-t-il indiqué.

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Et pour chuter, nous nous sommes rendus au Tribunal de Grande Instance de Gombe, qui gère les communes de Gombe, Kinshasa, Barumbu, Ngaliema, Kintambo et Mont-Ngafula. Ici, les secrétaires s'abstiennent de tout commentaire. Cependant, ils lâchent « Campagne contre les VSBG est un terme nouveau pour nous », « Je n’ai jamais entendu cela ici » ou « il n’y a pas de chambre qui ne s’occupe que de cette question (violences sexuelles) ».

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Par ailleurs, il faut souligner que le Tribunal de Grande Instance de Kinkole est situé à Maluku, qui constitue 79% du territoire et est située au nord-est de la province. Certaines personnes interrogées ont affirmé que la seule pression reçue autour du traitement des questions liées aux violences sexuelles par la justice congolaise concerne l’implication de la première dame honoraire Olive Lembe Kabila.

Prisca Lokale