De l'attaque du M23 au Nord Kivu en passant par la succession d'assassinat de jeunes à Goma et les féminicides au Sud Kivu et au Kasaï, la semaine qui s’achève a été très riche au niveau de l’actualité. Dans la rétro de cette semaine, Allegra Fosh Ngalula revient sur ces faits marquants.
Bonjour Madame Allegra Fosh Ngalula, merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Allegra Fosh Ngalula : Je suis à la tête d’une boulangerie où nous fabriquons le pain Allegra. En plus d'être entrepreneure, je suis également la présidente du trophée d’excellence Strong ladies qui met en lumière des femmes au parcours inspirant qui sont des rôles modèles dans une société qui se veut égalitaire . Je suis également cadre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD).
La semaine a été marquée par les trois ans au pouvoir de Félix Tshisekedi. C'est aussi la première fois que notre pays a vécu une passation pacifique du pouvoir. Pensez-vous que cet événement a eu un impact sur la politique congolaise ?
Allegra Fosh Ngalula : la passation réussie du pouvoir est sans doute un événement qui va rester indélébile dans la mémoire des congolais. Cet événement marque le début d'une belle culture démocratique que les congolais n’avaient jamais vécu et ce soixante ans après l'indépendance . Maintenant, il faut perpétuer la culture de passation de flambeau. Il faut cependant noter que dans le quotidien, ce changement qui annonçait pas mal d'espoir s'est rapidement effrité suite à des méthodes qui laissent à désirer .
Que faut-il, selon vous, pour une participation accrue des femmes aux élections de 2023 ?
Allegra Fosh Ngalula : pour faire simple, je dirai des idées fortes , de la préparation, du travail et de l’argent. Tout en comptant sur le fait que les chefs de partis ne soient pas sexistes pour minimiser les femmes et leur empêcher d’exprimer leurs ambitions et d’y travailler. Il faut aussi noter qu’il y a des efforts sérieux à fournir du côté des femmes. Les gens ne votent pas forcément un homme ou une femme. Ils votent celui qui donne plus de garantie de se battre pour les causes des électeurs , et dans « les batailles» on a vu trop peu de femmes, il faut s’y mettre et rassurer les électeurs de porter leurs intérêts au plus haut niveau et sans relâche.
Paul Kagame demande à Kinshasa de récupérer des rebelles M-23 installés au Rwanda. En novembre, les FARDC avaient accusé des combattants M-23 « venus du Rwanda » d’opérer des incursions sur le sol congolais. Quelle attitude les autorités congolaises devraient-elles adopter face à ces affirmations du président rwandais ?
Allegra Fosh Ngalula : il y a un accord signé entre la RDC et le M23 à Nairobi . Accord prévoyant la démobilisation et la réinsertion de certains M23 selon certains critères. Dans son interview, le président Kagame relève la problématique de mutualisation des forces régionales contre les menaces à la paix dont les ADF. Le président rwandais devrait être cohérent et ne pas permettre que les M23 attaquent un pays partenaire à partir de chez lui. Il devrait permettre à la RDC de bien négocier les termes de l'accord avec le M23 pour une démobilisation et une réinsertion réussie. En définitive, le nouveau programme DDRCS créé par le Président Tshisekedi doit régler la question.
Le mois de janvier a été un mois noir à Goma. En l'espace de trois jours, trois jeunes ont été assassinés alors que la province est sous état de siège. Quelle est votre grille de lecture de ces évènements?
Allegra Fosh Ngalula : je compatis avec les familles des victimes, ainsi que la Lucha , parce que l’un des leurs a subi les atrocités de ce banditisme. C’est catastrophique. A se demander quel est le niveau de sécurité apporté par les gouverneurs militaires dans cette région du pays qui est en état de siège. Ceux qui commettent ces actes, lancent un message pour dire que l’armée ne leur fait pas peur. Il est important de reconsidérer la stratégie .
Selon un rapport de la section protection des droits de l’enfant de la MONUSCO, les violences sexuelles, les enlèvements et les meurtres sont devenus les violations les plus fréquentes dans les zones de conflits en RDC. Comment les autorités congolaises devraient-elles réagir face à cette révélation, selon vous ?
Allegra Fosh Ngalula: lorsqu’il y a des crimes de ce genre , le gouvernement ne doit pas penser qu’à des solutions de réinsertion et brassage, les responsables doivent être envoyés en prison, c’est cela la justice. La Monusco devrait moins constater, mais créer des mécanismes pour empêcher que cela n’arrive pas.
En société, le gouvernement congolais et les différents syndicats des professeurs, chefs de travaux, assistants, administratifs et ouvriers des établissements supérieurs publics ont ouvert mercredi le dialogue en vue de trouver une solution à la grève déclenchée le 5 janvier dernier. Quelle peut-être, selon vous, la solution idéale contre ces mouvements de grève en RDC ?
Allegra Fosh Ngalula : le gouvernement de la RDC doit être cohérent et conséquent sur ses priorités. L’éducation ne peut être reléguée aux oubliettes alors qu’il n’y a jamais eu de grève à la Primature ni à la Présidence. Il est impératif de voter des budgets conséquents pour que la qualité de l’enseignement soit à la hauteur de la grandeur de notre pays, et cela passe par un secteur de l’enseignement mieux organisé. Il faut investir dans ce secteur. Nous devrions aussi éviter d’éparpiller les ressources en ne mettant qu’un seul ministère de l’enseignement pour accompagner toutes les réformes que nous devons faire. Des professeurs bien payés , avec des recherches soutenues , c’est l’espoir d’avoir des meilleurs congolais travaillant pour le développement de leur pays.
Il ressort des états généraux de la communication et des médias, qu'un moratoire sera décrété sur la pénalisation du délit de presse en attendant le vote d’une loi sur la dépénalisation de la faute commise par le journaliste dans l’exercice de son métier. Que pensez-vous de cette décision du gouvernement congolais ?
Allegra Fosh Ngalula : je suis pour que le délit de presse soit dépénalisé, à condition de faire en sorte que les informations transmises soient vraies , vérifiées et vérifiables. A l’ère du numérique il est important que les journalistes ne soient pas dans la diffamation. Mais il est quand même important d’exiger qu’ils soient protégés dans la mesure du possible parce des fois certaines informations sont estimées être vraies par le simple fait qu’elles soient passées de bouche à oreille, vu l’absence des preuves matérielles.
Anne Marie Buhoro, Jacqueline Mwankani, Charline Kitoko, ces trois femmes sont mortes sous les coups de leurs époux. Quelles sont vos recommandations auprès de la justice face à ces cas de violences conjugales?
Allegra Fosh Ngalula : nous n’allons pas attendre qu’il y ait 5 millions de féminicides pour porter haut nos voix . Cette question doit être prise sérieusement vu sa gravité. Le ministère public devrait requérir la servitude pénale à vie pour avoir ôté la vie à quelqu’un.
Au niveau continental, les coups d’Etat militaires se succèdent en Afrique de l’ouest. Après le Mali et la Guinée, c’est le tour du Burkina Faso où le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a pris les commandes lundi dernier. Quelles sont vos attentes de l'Union Africaine pour mettre fin à ce phénomène ?
Allegra Fosh Ngalula : trois coups d'État en moins de 18 mois, c’est à inscrire dans le Guinness des records, est-ce que ces coups d’états représentent effectivement le besoin de changement qu’éprouvent les africains ? Il est important que l’UA ouvre un dialogue avec les putschistes pour comprendre leurs motivations surtout quand la plupart d’entre eux ont été à l’académie militaire française.
Un dernier mot ?
Allegra Fosh Ngalula : je dirais que le Congo est un Eldorado et nous devons faire en sorte que ses fils en profitent. En trois ans, ne pas avoir réalisé d'investissements d'envergure par l'Etat sans compter d'importants détournements de fonds, c'est aussi un échec. Il n’est jamais trop tard pour bien faire dit-on.
Propos recueillis par Prisca Lokale