Une cinquantaine des professionnels des médias ont pris part ce 19 avril, à un café de presse à Kinshasa. Axé sur le « Rôle des médias dans la lutte contre la mortalité maternelle due aux avortements clandestins », ce moment d’échanges entre experts et journalistes a permis d’aborder l’ampleur de la situation, les thématiques du protocole de Maputo, mais aussi la conception des messages de vulgarisation.
Docteur Rachel Yodi, conseillère au programme national de santé de la reproduction, a révélé que chaque année 22 millions des grossesses aboutissent à un avortement non sécurisé dans le monde. « Les avortements clandestins provoquent l'infirmité de 8 millions des femmes et le décès d'au moins 50.000 femmes, selon l'OMS. En RDC, les avortements clandestins représentent la deuxième cause de mortalité maternelle. Ils sont généralement pratiqués dans des conditions non sécurisées. Les victimes sont souvent les femmes en âge de procréer, y compris les adolescents. Selon une étude menée par l'école de santé publique en 2016, au moins dix-sept avortements non sécurisés par heure sont réalisés, » a-t-elle alerté.
Elle a également ajouté qu’une enquête menée en collaboration avec Guttmacher Institute a estimé à 146.000 le nombre d’avortement à Kinshasa. Cela représente un taux d'avortement de cinquante-six pour mille femmes en âge de procréer.
Chantal Kabasua, journaliste des Droits humains est ensuite intervenu à propos du cadre légal de l’avortement en RDC. Au-delà de la pensée du législateur en élaborant la loi transcrite dans le code pénal en 1940, elle a fait remarquer que la même loi est demeurée rigide sur les questions liées aux avortements.
« La loi interdit catégoriquement le recours aux avortements peu importe les raisons qui peuvent les motiver. Entre-temps, la RDC s’est inscrite dans une autre logique, la signature, la ratification et la publication dans le journal officiel, du protocole de Maputo. Ce traité régional, autorise (en son article XIV 2c) l’avortement dans des conditions bien précises. Notamment en cas d’agression sexuelle, de viol, ou lorsque la santé de la mère ou du fœtus sont en danger. Nous constatons que le législateur de 1940 a plus martelé sur la santé du fœtus plutôt que celle la femme qui porte la grossesse. Etant donné que la RDC a signé, ratifié et publié le protocole, ce dernier s’impose dans notre législation. Le conseil de la magistrature a également demandé aux magistrats leur indulgence dans la gestion des cas d’avortements. Il est également important que le législateur prenne des mesures d’encadrement par rapport au protocole,» a-t-elle fait savoir.
Faut-il opposer la problématique d’avortements sécurisés aux convictions religieuses ?
Jean Alphonse Tshika, expert en santé sexuelle et reproductive et travailleur au ministère du genre insiste sur le fait que le protocole de Maputo aborde huit thématiques ayant trait notamment à la participation des femmes en politique, aux mesures non discriminatoires, aux droits en santé sexuelle et reproductive des femmes et des jeunes filles. Selon lui, ce protocole ne devrait pas se résumer simplement à l’article 14 alinéa 2C. Au sujet de la confrontation entre confessions religieuses et ledit article, il précise que l’Etat congolais, étant Laïc se place au-dessus des convictions religieuses. Son adhésion sans réserve au protocole autorise sa vulgarisation et mise en œuvre en RDC.
Cependant, ajoute-t-il, « tout est question du choix de la femme. Le protocole n’oblige guère à une femme ou fille de faire recours à l’avortement selon les indications prescrites dans l’article 14. Néanmoins, il recommande aux Etats de disponibiliser les services d’avortement médicalisé ».
Jean-Claude Mulunda, directeur Pays de l'ONG IPAS, qui a apporté un appui au RJSSR pour l’organisation de ce café de presse, a souligné à son tour l’importance de la maîtrise des questions de droit en santé sexuelle et reproductive, du protocole de Maputo, de la loi congolaise dans la conception des messages de vulgarisation. Il a également appelé les journalistes à mener des investigations à ce sujet.
Pour cloturer, Bibiche Mbete, coordonnatrice du Réseau de journalistes pour la santé sexuelle et reproductive (RJSSR), organisateur de cette activité, a appelé à son tour, les participants à prendre conscience du rôle qu’ils peuvent jouer face au danger des avortements clandestins. Elle a aussi placé l’accent sur la sensibilisation des jeunes à faire recours aux différentes méthodes contraceptives pour éviter des grossesses non désirées.
A l’issue de cette matinée, les professionnels des médias ont été invités à débattre de leurs rôles dans cette matière avant de s’engager à participer à la lutte contre la mortalité maternelle due aux avortements clandestins en RDC à travers leurs productions.
Prisca Lokale