Le Réseau des Dames Enarques (RDE en sigle), est une association sans but lucratif (Asbl) qui milite pour la promotion des droits des femmes au sein de l’administration publique en République Démocratique du Congo. Ce 16 mars, le Desk Femme s’est entretenu avec l’un de ses membres fondateurs. Maternité, égalité des chances, postes décisionnels, retrouvez l’essentiel de cet entretien.
Bonjour Madame Gabriela Mwimba et merci d'avoir accepté de nous accorder cette interview. Vous êtes président du Réseau des Dames Énarques (RDE en sigle). Qu'est-ce que cela signifie ?
Gabriela Mwimba : le réseau Enarque est une association sans but lucratif qui regroupe en son sein des femmes anciennes de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Mais les textes qui nous régissent élargi le champ à toute personne mue par la ferme volonté de réaliser les objectifs assignés à la structure. C’est également un cadre de réflexion, d’actions stratégiques et opérationnelles qui vise à promouvoir le leadership féminin dans l’administration publique, mais aussi l’implication de la femme et de la jeune fille dans le développement durable en République Démocratique du Congo.
Cette structure existe depuis combien de temps et quels en sont les objectifs ?
Gabriela Mwimba : le RDE existe formellement depuis 2019. Mais, nous avons tenu certaines activités avant le lancement officiel du réseau. L’une d’elles organisée autour du thème « Jeunesse, cheville ouvrière du développement » a connu la participation de la ministre honoraire du genre, Madame Chantal Safu en 2018. Nous sommes actuellement 75 membres. Parmi les objectifs, nous visons l’émergence d’une quantité des femmes compétentes au sein de l’administration publique. Nous pensons également à sensibiliser les femmes à postuler au concours de l’Ecole Nationale d’Administration. Nous voulons aussi permettre à celles qui sont au sein de l’administration publique de postuler aux concours de promotion.
Qu'est-ce qui a motivé la mise en place du RDE ?
Gabriela Mwimba : actuellement, très peu de femmes occupent des postes de direction au sein de l’administration publique, et pourtant les statistiques présentent un nombre élevé des femmes engagées dans ces entreprises. Il est vrai que l’administration publique n’est pas comparable à d’autres secteurs de la vie nationale puisque toute personne qui souhaite intégrer ce secteur doit être soumise à des épreuves écrites et orales. Mais, il ne manque pas de femmes compétentes dans l’administration publique. Je suis de la 4 ième promotion de l’ENA et sur les 105 participants, il n’y avait que 15 femmes. Nous avons donc pensé qu’il y a d’une part les femmes qui ont peur ou ne veulent pas se lancer, et d’autres part, l’ insuffisance des mécanismes favorisant le genre à des postes décisionnels.
Selon vous, qu’est-ce qui justifie le fait que les femmes ne soient pas si nombreuses à occuper des postes de prise des décisions au sein de l’administration publique ?
Gabriela Mwimba : il y a plusieurs raisons. Notamment le fait que lorsqu’il s’agit des postes à pourvoir, les femmes sont souvent affectées à des postes peu valorisants. Cette conception des aptitudes des femmes devrait changer. La femme est capable. Elle dispose de toutes les capacités intellectuelles, des atouts nécessaires pour occuper des postes de prise des décisions. Il faut également un engagement ferme de l’autorité pour que l’observatoire du genre au sein de l’administration publique exerce concrètement ses fonctions, notamment celle de détecter les déséquilibres aux postes décisionnels et de collaboration.
Parmi vos objectifs, il y a notamment la promotion du leadership féminin au sein de l’administration publique congolaise et l’implication totale de la femme dans le processus de développement en République Démocratique du Congo. Quel plan d'actions avez-vous mis en place pour y parvenir ?
Gabriela Mwimba : nous avons un plan d’action qui cible l’entrée au sein de l’Administration publique, mais aussi celui de bâtir une carrière. Nous allons mener des études sur la représentativité des femmes dans les entreprises publiques, des activités de sensibilisation, de mentorat (pour aider les femmes à briser les stéréotypes et surmonter le regard de la société), sensibiliser à une masculinité positive, repérer des femmes modèles (celles qui ont réussi à bâtir une carrière dans ce secteur) pour servir des sources d’inspiration, mettre en place des mécanismes de promotion de genre.
Récemment sur vos comptes des réseaux sociaux, vous avez publié des vidéos de sensibilisation aux droits des femmes pendant la grossesse, pendant et après l'accouchement. Est-ce que cela ne fait pas de vous une structure de plus axée sur la défense des droits des femmes ?
Gabriela Mwimba : la campagne de sensibilisation aux droits des femmes enceintes et allaitantes fait aussi partie de nos actions. La femme qui travaille dans l’administration publique jouit également des droits comme toutes les autres, mais nous l’avons choisie comme cible principale. Nous travaillons pour l’implication totale de la femme dans le développement de la RDC. Nous avons mené des études pour savoir si notre législation intègre la dimension genre. Chose qui nous a fait aboutir à découvrir que l’article 30 du statut qui régit les agents du service public de l’Etat. Dans son alinéa 1 cet article stipule : « L’agent de sexe féminin a droit à un congé de maternité d’une durée de quatorze semaines consécutives dont huit semaines au moins après l’accouchement ». Mais la même disposition, en son alinéa 3 refuse à la femme qui vient d’accoucher de bénéficier d’un congé de reconstitution. « L’agent de sexe féminin qui a bénéficié d’un congé de maternité ne peut plus, au cours de la même année, faire valoir son droit à un congé de reconstitution ». Sur base de quel critère le législateur s’est-il basé pour refuser à la femme de bénéficier de son congé de reconstitution ? Pour nous, il s’agit là d’une violence basée sur le genre et nous plaidons pour la suppression de cette disposition. Nous avons ainsi mené des études pour justifier notre action. Nous avons aussi découvert un principe de droit acquis, qui peut s’appliquer aussi en droit du travail. Ce principe stipule « Lorsqu’une bénéficiait déjà d’un avantage social, on ne peut pas par une loi ou n’importe quel acte, retirer à cette personne le bénéfice de ce droit ». Ici, le législateur s’est basé sur la maternité et cet acte est discriminatoire. Au cours de ce mois dédié aux femmes, nous nous sommes décidés de nous baser sur les droits peu populaires. Il n’y a qu’un seul article qui aborde la question de maternité et c’est le même article qui fait l’objet d’une discrimination à l’égard de la femme.
En trois ans d'existence, quelles sont les difficultés auxquelles votre structure a dû faire face?
Gabriela Mwimba : la plus grande difficulté est d’atteindre un public plus large des femmes. Nous avons opté pour les réseaux sociaux mais, nous ne savons pas les atteindre toutes. Le cout de l’internet ne permet pas à notre public cible, les femmes et les jeunes filles, d’avoir accès à nos messages. Au-delà des messages, il faut un contact avec elles.
Pouvez-vous nous parler du concours d'entrée à l'ENA. Comment cela se fait-il ? Le cursus en soit prend combien de temps environ ?
Gabriela Mwimba : il y a un appel à candidature qui est lancé par l’administration. Tout celui qui voudrait s’y inscrire doit aller sur le site de l’ENA (ena.cd). Il faut être détenteur d’un diplôme de licence, pour les fonctionnaires, il faudrait apporter des documents qui atteste votre statut.
Quels conseils donneriez-vous à une jeune fille qui souhaite s'engager sur ce parcours professionnel ?
Gabriela Mwimba : à cette jeune fille, je dirais d’« oser ». Plusieurs filles ont peur de l’échec. Et pourtant, il faudrait considérer cette étape comme une marche vers la réussite. Tenter, retenter votre chance jusqu’à atteindre votre objectif. Soyez déterminée, allez jusqu’au bout, prenez le temps de vous instruire davantage. Sachez que votre expérience pourra motiver plusieurs personnes après vous.
Une brève description de votre parcours ? Qui est Gabriela Mwimba ?
Gabriela Mwimba : je suis fille d’un officier supérieur des FARDC, je suis juriste, diplômée en section Littéraire, diplômée en droit de l’Université Catholique de Bukavu, Présidente et membre fondateur du Réseau des femmes Enarques, je milite pour les droits des femmes en général et pour celles de l’administration publique en particulier. Je milite pour que le mariage ou l’accouchement cesse d’être considéré comme un cimetière d’ambitions. Je suis mariée et mère d'un garçon.
Vos projets d'avenir ?
Gabriela Mwimba : je voudrais poursuivre mon cursus académique, avoir une maitrise ou une thèse. Je me suis lancée dans la rédaction d’un ouvrage sur les droits des femmes pendant et après la grossesse.
Un mot pour terminer ?
Gabriela Mwimba : Merci au Desk Femme. C’est une initiative noble de mettre en lumière les actions des femmes et une initiative portée également par des femmes (rédaction).
Propos recueillis par Prisca Lokale