RDC : Des militaires pointés du doigt dans les dernières tueries des civils à Eringeti ( Beni )

Les FARDC en patrouille dans la périphérie de Beni après des affrontements avec des miliciens Mai-Mai ce lundi 22 octobre 2018 (Photo Yassin Kombi/ACTUALITE.CD)

 

Au tour du 20 juillet dernier, deux attaques ciblant des civils ont été enregistrées à Eringeti, localité située à l'extrême Nord du territoire de Beni, sur la nationale numéro 4 (RN4).  Dans ces attaques, six civils dont quatre hommes et deux femmes ont péri par balles.  Si des sources officielles accusent les rebelles ougandais dAllied Democratic Forces (ADF) d'être auteurs de ces atrocités, des rescapés, eux, pointent du doigt accusateur  des éléments des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC).  Reportage.

 

Depuis mi-juillet, le territoire de Beni dans la province du Nord-Kivu connait une série de massacres des civils. Parmi les entités ciblées, Eringeti, localité à la limite entre le Nord-Kivu et l'Ituri.  Lors de deux différentes attaques, dont l'une vécue le 20 juillet, six civils ont été tués. Parmi eux, le chef de la localité d'Eringeti.

 

Des victimes qui ont péri à coups des balles. Si les autorités attribuent ces tueries aux rebelles  ougandais d'Allied Democratic Forces (ADF), auteurs présumés des massacres des civils en vogue dans la région de Beni depuis octobre 2014, à Eringeti, les rescapés réfutent cette version officielle, affirmant que les ADF ne sont pas les responsables de ces dernières attaques.

Au vu des faits vécus, ils ont témoigné à ACTUALITE.CD que des éléments des FARDC y seraient également impliqués.  Kahindo Antoinette, épouse du chef de localité assassiné, affirme les avoir vu tiré sur son mari. 

« Nous étions dans la cuisine. Nous avons entendu des coups de balle à l'extérieur. Nous avons pensé que c'était des militaires ivres. Malheureusement non, des bandits venaient de tuer un jeune revendeur  des unités (crédits de communication, Ndlr). Mon mari nous a dit déteindre toutes les lampes, nous lavons fait. Jai dit aux enfants de rester sur place au regard de l'ampleur de crépitements des balles. Ces assaillants sont venus, ils ont commencé à tirer brutalement les files électriques. Suite à ces bruits, mon mari est sorti pour leur parler. Les assaillants ne lui ont pas répondu, ils se sont plutôt approchés de lui, lui ravir son téléphone, avant de tirer sur lui. Quelques instants après, ils ont torché et j'ai aperçu le corps de mon mari gisant par terre. Ils fouillaient son corps pour chercher de l'argent. N'ayant rien eu, ils sont repartis. Je les ai vu, c'était quatre hommes armés vêtus tous en tenue militaire. Moi et mes enfants, nous nous sommes tirés de la cuisine et s'en fuir, prenant la route principale», témoigne-t-elle à ACTUALITE.CD.

 

"Quand les ADF opèrent, ils ne ciblent pas  qu'une seule maison"

 

Non loin de là, à Kasana, trois autres civils ont été tués et quatre autres grièvement blessés par balles, deux jours plus tard, dans la soirée du 22 juillet notamment.

Comme lors de la première attaque, des rescapés témoignent avoir vu des hommes armés vêtus en tenue semblable à celle des FARDC tuer des civils. 

Germaine Kahambu, 14 ans,  a témoigné à ACTUALITE.CD avoir vu six « militaires » tirer sur son frère ainé de 16 ans, à leur domicile.

« On la tué quand il sortait du salon. A ce temps-là, moi j'étais dans la cuisine. Les tueurs sont venus du côté droit de notre parcelle, ils étaient au moins six, tous étaient vêtus en tenue militaire. Ils sont arrivés, ils ont tué mon frère qui a été gravement touché par balle à l'abdomen et n'ont rien emporté. Il n'y avait pas d'enfants ni de femmes parmi eux, je doute que ce soient des ADF», raconte-t-elle.

« Quand ils ont investi ce domicile (de Germaine Kahambu, Ndlr),  nous étions tous non loin de là.  Si c'était les ADF, ils ne nous auraient pas épargné. Car souvent, quand les ADF opèrent, ils ne ciblent pas  qu'une seule maison, ils tuent dans plus d'un ménage dans un seul rayon et même cette fillette rescapée dans cette parcelle n'aurait pas dû l'être», ajoute une voisine de Germaine Kahambu.

Un jeune d'une vingtaine d'années qui témoigne avoir secouru les blessés, dit avoir ramassé un béret d'un militaire, semblable à celui des FARDC. Ce qui le pousse à rejeter la version selon laquelle les auteurs des dernières tueries d'Eringeti seraient  des rebelles ADF.

« Les militaires sont arrivés tardivement quand on venait de secourir les blessés. Nous les avons conduits à l'hôpital sur une moto. Au lieu du drame, nous avons ramassé un  béret, nous lavons amené chez le délégué. Ce n'étaient pas des ADF parce que le mode opératoire n'a pas été similaire au leur. Si c'était des ADF, on aurait vu des femmes et des enfants avec eux, ce qui n'était pas le cas. Ils auraient également visité des maisons voisines », se justifie ce jeune homme, habitant à près de 100 mètres du lieu du drame. 

L'armée se défend, la société civile exige une enquête indépendante

En réaction, le commandement des opérations Sokola 1 indique à ACTUALITE.CD que des rescapés ont plutôt confondu les patrouilleurs dépêchés à Eringeti aux assaillants.

« Les six militaires dont les rescapés parlent étaient plutôt des patrouilleurs, et le béret ramassé appartenait au PMF Théthé qui faisait partie des patrouilleurs qui pourchassaient ces tueurs», a expliqué  à ACTUALITE.CD le major Mak Hazukay, porte-parole des opérations sokola1. 

Ce n'est pas la première fois que l'armée congolaise est accusée d'être impliquée dans les massacres des civils en vogue dans la région de Beni depuis octobre 2014.

Au-delà des témoignages des rescapés,  des   sources concordantes, à l'instar du Groupe d'études sur le Congo (GEC), soulignent que ce n'est pas si simple d'attribuer ces violences aux seuls ADF, comme le soutient le gouvernement congolais.

Car derrière le récit dune menace islamiste, il existe des preuves d'une implication de l'armée congolaise et de liens potentiels avec des réseaux de contrebande. La société civile locale demande à la justice de diligenter des enquêtes indépendantes pour déterminer l'identité et la responsabilité des auteurs.

 

« Nous comme société civile nous ne pouvons  affirmer que c'est tel groupe plutôt que tel autre qui tue les gens à Beni. Il faut des enquêtes indépendantes pour déterminer les vrais auteurs de ces tueries. Nous demandons aussi au gouvernement de mener des opérations militaires de grande envergures pour anéantir complètement cette rébellion d'ADF, parce qu'à l'allure où vont les choses, d'autres groupes armés risquent de chaque fois passer sous la casquette de l'ADF pour endeuiller la population», a dit à ACTUALITE.CD, Maka Victoire Diddy, secrétaire de la société civile d'Eringeti. 

 

 

Yassin Kombi