Butembo: “Comme si l’État avait besoin d’énerver la population pour la mettre dans les conditions de se faire enrôler dans les milices” - (Prof Muhindo)

La recrudescence de l’insécurité depuis plusieurs semaines dans la ville de Butembo, 300 kilomètres au Nord de Goma (Nord-Kivu) provoque de mécontentement au sein des couches sociales locales. A la suite des mouvements de protestation lancés par la société civile, des étudiants ainsi que d’autres leaders d’opinions se mobilisent à leur tour pour obtenir la démission du maire de Butembo Théodore Sikuli Uvasaka Makala ainsi que des responsables des services de sécurité qui “n’ont pas réussi à sécuriser la population et ses biens”.

Se confiant ce mardi 12 septembre 2017 à ACTUALITE.CD, le professeur Firmin Muhindo Mughanda, recteur de l’Université Officielle de Semuliki (UOS) à Beni a expliqué que les causes de l’insécurité à Butembo ont les dimensions locale, nationale et internationale. Prof Mughanda demande entre autres aux acteurs impliqués dans la crise de trouver des solutions “correctes” à la crise afin d’éviter “l’escalade”.

<b>Qu’est-ce qui explique la montée de l’insécurité dans la ville de Butembo?</b>

Les explications sont à placer à trois niveau: local, national et international. Au niveau local il faut dire qu’il y a plusieurs groupes armés qui encerclent la ville de Butembo depuis un certain temps. Il y en a qui se trouvent du côté de Lubero et ceux qui sont vers le territoire de Beni. Ce sont ces groupes qui sont entretenus par des inconnus qui justifient l'insécurité dans la ville. Il y a l’armée et la police qui enregistrent un certain degré d’indiscipline notamment parce qu’elles sont mal payées, parfois elles peuvent livrer des armes aux bandits. Toujours au niveau local, il y a l’impunité; des bandits qu’on arrête qui finissent par sortir rapidement de prison ou même des bandits qui se trouvent en prison qui s’emploient dans la ville en échange de  leur liberté. Il faut signaler aussi des connivences,  c-à-d si l’insécurité sévit dans cette zone, ça signifie qu’il y a aussi des collaborateurs locaux. Il arrive qu’on arrête dix bandits par exemple, parmi eux, neuf seront des jeunes du milieux et un peut être d’ailleurs.

Au niveau national, il faut mentionner l’absence de l’État qui ne réussit pas à imposer son monopole de la contrainte parce que si vous voyez les territoires de Beni et de Lubero et vous comptez le nombre des chefferies qui sont effectivement contrôlées par l’État, vous allez vous rendre compte la plupart des chefferies sont déjà contrôlées par l’ennemi. Dans le Lubero par exemple, c’est seulement le ⅓ du territoire qui sont encore contrôlé par le gouvernement central et dans le Beni c’est plus ou moins la même chose. Il y en a qui pensent que toute cette insécurité est orchestrée par Kinshasa pour justifier la non-tenue des élections. Il y en a d’autres qui pensent que l’insécurité est entretenue pour justifier un jour une balkanisation. Donc au niveau national, on peut cautionner parce que l’État ne monopolise plus la contrée (...) on ne peut aussi exclure que parfois l’insécurité sévit dans ces zones parce que ce sont des calculs des opposants qui veulent jeter de l’huile sur la majorité. Je me rappelle que par le passé il arrivait que lorsque le président de la république passe, juste après son passage il y avait des massacres qu’on attribuait parfois à son plan mais qui ressemblait à quelque chose qui se mêlait à un sabotage.

Au niveau international au contraire, il faut mentionner que Butembo et Beni sont des villes qui se trouvent à la frontière avec l’Ouganda et nous savons que depuis un certain nombre d’années il y a eu de convoitise de ce pays.  L’Ouganda pour se sécuriser a toujours voulu créer une zone vitale plus large dans laquelle il peut organiser plusieurs manœuvres. L’Ouganda et le Rwanda n’ont pas cessé d'être des faiseurs dans la zone et ceux qui subissent les conséquences de leur convoitise c’est ceux qui vivent directement à la frontière. Cela est une dimension régionale dont il faut tenir compte.

<b>Peut-on craindre une aggravation de la crise?</b>

On peut craindre une aggravation de la crise si les acteurs impliqués ne prenaient pas les mesures qui sont appropriés. J’ai participé moi-même à certaines réunions où on parlait de la question et j’ai demandé aux participants de proposer des solutions correctes de la situation de telle manière qu’on cherche des solutions qui peuvent avoir  des effets à long terme. A mon avis, si jamais on traitait une mauvaise cause, on risquerait d’assister à l’escalade. Pour être plus clair, il y a des locaux qui sont impliqués dans cette insécurité, il y a l’Etat qui ne paye pas les policiers et les militaires, il y a l’État qui ne monopolise pas les contrée et laisse la place aux milices, il y a les pays voisins qui ont la convoitise… toutes ces questions là devraient être réglées, autrement, tout peut partir de Butembo pour que ça se passe mal dans la région. Il y en a qui suspectent que tout ce qui se passe à Butembo, à Beni c’est juste de provocation pour qu’une rébellion naisse de ce côté, de telle manière à conserver le pouvoir à Kinshasa. Je commence peu à peu à penser qu’ils ont raison parce que la réaction que l’État est en train de prendre face à cette insécurité démontre comme si l’État avait besoin d’énerver la population de telle manière à la mettre dans les conditions de se faire recruter facilement dans les milices.

Exemple récent: On a tenté d’enlever un professeur à l’UCG et le lendemain ce qui s’est passé à l’UCG était cruellement terrible. Des policiers arrivent pour libérer le maire qui était séquestré par les étudiants et dès qu’ils sont  partis avec le maire, on voit les FARDC qui arrivent pourtant le problème était déjà réglé après le départ du maire...Les militaires ont commencé à torturer les étudiants, à injurier et brutaliser les professeurs d’université. Et après cela, les enseignants de l’UCG sont allés au commissariat de la police pour voir pourquoi on a arrêté certains professeurs et dans la cour même de la police, les agents de l’UCG parmi lesquels certains prêtres vont être brutalisés. A côté de cela si vous considérez que commence à concerner cette catégorie des personnes, il y a lieu de penser que cette est entretenue pour provoquer la population pour qu’elle puisse se plonger dans une voie qui mènerait à une rébellion.

<b>Peut-on craindre un effet de contagion dans les villes et cités avoisinantes ?</b>

Les cités voisines dont il peut s’agir c’est Lubero et Beni. Il s’agit des deux cités qui ont des problèmes différents. A Lubero il y a des attaques des Mai-Mai, ce n’est pas comme à Butembo où ce sont des bandits à mains armés qui entrent dans les maisons, à Beni ce sont les massacres. Je crois que dans les villes environnantes il y a d’autres types de provocation qui sont mis en œuvre. La provocation mise en œuvre à Beni c’est les massacres alors qu’à Lubero c’est l’activation des milices, d’autre part la haine tribale entre les Nande et les Hutu  dans le Sud de Lubero. Et ce qui se passe à Butembo ne peut pas avoir directement un effet d'entraînement dans ces coins avec la même forme.

<b>Qu’est-ce qui doit être fait pour résorber la crise ?</b>

La solution immédiate à laquelle il faut penser c’est de relever les autorités politico administratives (comme la société civile réclame Ndlr) pas forcément parce qu’elles sont incompétentes ou parce qu’elles contrôlent la situation  mais parce qu’il s’agirait d’un signal pour tous ceux qui font régner l’arbitraire puissent se remettre sur les lignes. Une fois qu’elles seront relevées, d’autres auront peur d'être relevés et seront obligés de faire correctement leur travail. Dans le long terme, il faut travailler sur tous les facteurs classables dans le niveau d’analyses que j’ai mentionnées.

<b>Interview réalisée par Patrick Maki </b>