Un prêtre catholique de Mambasa charge le tandem Bemba-Ndima et évoque un rôle moins important de Lumbala dans la violence

Roger Lumbala/Ph. Droit tiers

Il était un témoin clé et attendu du procès Roger Lumbala. Le père italien Sylvano Ruaro, 87 ans, a vécu toutes les guerres du Congo, de l’AFDL à Effacer le tableau, depuis Mambasa où il est en mission depuis 1989, jusqu’à être qualifié de l’« âme de Mambasa », par son confrère Francesco Laudati, l’autre prêtre cité comme témoin. Mardi 2 décembre, à la Cour d’assises de Paris, pendant près de trois heures de son audition, père Sylvano qui a enseigné et prêché la plupart des victimes, a témoigné des actes de pillages et de viols mené à Mambasa par des militaires d’Effacer le tableau qu’il a reconnus comme des hommes de Constant Ndima et Jean-Pierre Bemba, à la surprise générale des victimes qui disent « ne pas reconnaître ce qui lui est arrivé ».

Claude Sengenya, notre envoyé spécial à Paris

A Mambasa où nous nous sommes rendus avant le procès, comme dans la salle d’audience, le père Sylvano revenait dans la bouche de plusieurs victimes et témoins. Il est présenté souvent comme le sauveur de Mambasa, un missionnaire qui a assisté les habitants pendant la guerre, en offrant vivres et non vivres aux déplacés, en alertant les habitants de l’avancée des rebelles ou encore en apportant des véhicules qui ont aidé à transporter des déplacés, surtout des religieux, des femmes et des enfants qui ne savaient plus atteindre Beni (plus de 150 km au Sud) à pied.

« C’était quelqu’un qui pouvait aider tout le monde. Des gens allaient chez lui contracter des dettes et de l’aide. Il a continué à nous aider quand nous étions en fuite », reconnaît Paluku Pisco, l’une des victimes présentes à Paris pour témoigner des atrocités subies par les militaires de Lumbala.

Ils m’avaient laissé juste quatre sous-vêtements

Devant les juges, le prêtre qui vit toujours dans la région, notamment à Nduye (60 Km de Mambasa) a témoigné qu’à leur entrée à Mambasa, les rebelles avaient tout pillé, y compris à la mission catholique qu’il dirigeait. « A leur entrée, il y avait des balles partout. On voyait des habitants qui portaient des matelas, et quand ils sont arrivés à la mission catholique, j’ai fui dans le pâturage d’où j’assistais au pillage de la mission. Il y avait des vaches, des moutons. Ils ont tout tué en s’amusant. Ils ruaient en criant : "nous sommes les soldats de Bemba" », a témoigné le pasteur, affirmant n’avoir jamais vécu un pillage de telle ampleur auparavant. « Ils m’avaient laissé juste quatre sous-vêtements (caleçons), et j’avais dit au colonel (venu le rencontrer à la mission, ndlr) que même les animaux ne portent pas des survêtements », a-t-il indiqué.

Père Sylvano est celui qui alerta le monde des dégâts commis à Mambasa, non seulement à travers son téléphone satellitaire qu’il avait réussi à cacher, mais aussi à travers ses articles ou ses confidences aux diplomates, enquêteurs onusiens ou à la nonciature.

« Un jour, les rebelles sont revenus, à la recherche, d’après eux, de la phonie que je garderais car ils disaient que la radio Vatican donnait des informations avec une précision qu’ils soupçonnaient que j’en étais l’informateur », raconte-t-il. Mais Sylvano n’aura vécu que douze jours à Mambasa, car le 24 octobre, il décide de se rendre à Kampala (Ouganda) via Bunia, à la recherche de l’aide pour nourrir les déplacés et d’autres habitants qui n’avaient plus rien. « Malheureusement, à mon départ, les mai-mai (de Mbusa Nyamwisi, ndlr) ont reconquis Mambasa et le colonel Freddy Ngalimo (du RCD-N) que j’ai informé de mon déplacement et qui m’a fait un laissez-passer a cru que je fuyais après avoir coordonné l’attaque des mai-mai », révèle-t-il.

Le sauveur de Mambasa

Et le prêtre reviendra à Mambasa le 8 novembre, pendant que la cité et ses environs étaient contrôlés par les mai-mai (qu’il hésite de qualifier des APC de Mbusa Nyamwisi, ndlr) qui avaient réussi à repousser les hommes de l’Armée de libération du Congo (qu’il hésite de qualifier des militaires du RCD-N) à Epulu. Mambasa accueillait deux groupes de déplacés : ceux fouillant les violences ethniques entre Héma et Lendu à Bunia, et ceux de l’opération « Effacer le tableau ».

« Je suis revenu pendant que la ville était déjà libérée par des mai-mai et nous avons repris l’assistance aux déplacés. Nous allions acheter du haricot, du riz et de l’huile à Butembo-Beni pour nourrir les déplacés », indique-t-il. « Les ONGs n’étaient pas rapides dans leur intervention. Elles devraient remettre des jetons, faire des rapports, alors que les gens mourraient (de faim, ndlr) », s’indigne-t-il.

Mais son intervention n’aura été que d’une courte durée. Car durant le même mois de novembre, les troupes du RCD-N vont reconquérir Mambasa avec l’appui des éléments venus de l’axe Isiro (des militaires du MLC, ndlr).

« Un soir, un prêtre présent à Isiro m’alerta de la venue des hommes de Bemba pour reconquérir Mambasa et que selon lui, ces militaires étaient convaincus que c’était moi qui aurais coordonné l’attaque des mai-mai (qui avait fait perdre à leur allié Mambasa, ndlr). Je décide de me retirer jusqu’à Mayuwano (35 km de Mambasa, sur l’axe Beni). Et effectivement, ces militaires conduits par Ramsès 8, Roi des imbéciles, ont récupéré Mambasa », rapporte-t-il, affirmant s’être du coup replié à Beni et n’être revenu à Mambasa que plus tard, en février 2003.

Mon élève violée par cinq militaires, la femme d’un pasteur par 19

Des hommes de Freddy Ngomino alias Mopao, le père Sylvano n’aurait connu que des cas de pillages inquiétants jusqu’à ce qu’il rencontre des victimes de violence sexuelle lorsqu’il accompagnait une employée de Médecins sans frontières (MSF) venue enquêter et évaluer les besoins dans le rang des déplacés réfugiés à Mangina, près de Beni (Nord-Kivu).

« Alors que servait d’interprète, l’une des victimes est entrée pour nous parler de son cas, et m’a dit être mon élève à Mambasa. Elle nous témoigna de son viol : "Ils étaient cinq militaires, l’un violé pendant que les quatre autres me tenaient, et cela à tour de rôle », révèle le prêtre qui a dit devant la Cour avoir été choqué par l’acte subi par son élève qui n’avait que 12 ans au moment des faits. L’autre témoignage poignant du prêtre est son récit d’un cas de viol de l’épouse d’un pasteur de Mambasa qui avait été abusé par 19 hommes, en présence de son mari. « Le pasteur m’avait dit : Père, je ne pourrais jamais les pardonner. Ils ont violé ma femme. Ils étaient 19 », révèle-t-il.

Un rapport de la Monuc, la mission des Nations Unies au Congo à l’époque, évoque au moins 170 exécutions sommaires, 69 cas de viols dont 27 enfants, un pillage systématique ainsi que des cas de travaux forcés. Avant la comparution du père Sylvano, des victimes ont également témoigné avoir subi des cas de travaux forcés qui les ont tellement affectées.

« On était réquisitionné pour leur ériger des camps, puiser de l’eau ou leur préparer de la nourriture. On nous poussait d’aller attraper les bêtes d’autrui, des chèvres, des poules qu’on leur préparait. Pour nous échapper, nous étions obligées de nous enfermer toute la journée dans des maisons ou de passer la nuit dans des toilettes. Malgré l’odeur, c’était un lieu sûr pour ne pas être récupéré et soumis aux travaux forcés », a témoigné Pisco Paluku qui était enseignant et commerçant à Mambasa.

Bemba et Ndima, pas Lumbala

Alors que les victimes identifiaient à la barre leurs bourreaux comme étant des militaires de Roger Lumbala, le père Sylvano a, lui, donné un témoignage inverse qui incrimine plutôt Jean-Pierre Bemba, ancien patron du MLC (Mouvement de libération du Congo) et aujourd’hui vice-premier ministre et soutien de taille du président congolais Félix Tshisekedi.

« Quand ils étaient encore à Bafwasende (avant la première conquête de Mambasa, ndlr), on nous parlait de Lumbala et de sa république de Bafwasende, et nous ne prenions pas cela au sérieux parce qu’il n’avait pas de poids ni politique, ni militaire », entame le prêtre qui ajoute que durant le moment passé avec eux à Mambasa, il n’avait « jamais entendu qu’ils (les soldats, ndlr) se réclamaient de Lumbala ».

Père Sylvano qui avait devant les juges d’instruction noté qu’ils étaient des militaires de Lumbala et Bemba a fait un virement avec d’insistance qu’Effacer le tableau était une opération des militaires de Jean-Pierre Bemba et dont l’action était coordonnée par Constant Ndima depuis Isiro. A la question de la Cour qui l’a interrogé sur le rôle de Lumbala, père Sylvano a fait remarquer qu’« il n’avait pas de l’impact dans la violence ».

Les avocats de parties civiles lui ont opposé un communiqué de presse publié le 4 novembre 2002 par sa congrégation des prêtres du sacré cœur de Jésus qui attribue la reconquête de Bafwasende et Mambasa aux hommes de RCD-N de Roger Lumbala, appuyé par ceux du MLC de Jean-Pierre Bemba, le prêtre catholique a réagi qu’il n’était pour rien dans ce communiqué publié alors qu’il se trouvait à Kampala.  Pour lui, les deux commandants locaux de l’opération "Effacer le tableau" Freddy Ngalimo alias Mopao et Ramses Widi Divioka alias Roi des imbéciles se réclamaient tous de l’ALC (Armée de libération du Congo, connue comme branche armée du MLC de Jean-Pierre Bemba). Pour son voyage à Kampala (Ouganda) fin octobre 2002, il affirme avoir reçu une autorisation de sortie signée par Freddy Ngalimo alias Mopao comme commandant de l’ALC. En réaction, la Cour a projeté un autre document signé par Constant Ndima à l’époque, alors commandant de la branche armée, et qui portait un sceau intégrant comme mention « Rassemblement congolais pour la démocratie-National (RCD-N)-Armée de libération du Congo », certes confus mais qui atteste l’alliance entre le RCD-N et le MLC. A la préoccupation du parquet qui voulait savoir pourquoi, lui en tant que grands informateurs des médias, diplomates, humanitaires et de l’église n’avait pas cherché à comprendre les acteurs impliqués, au prêtre de réagir : « oui, j’étais dans la tourmente… On attendait parler de Lumbala, mais il n’avait pas d'impact dans la violence ». Pour lui, Jean-Pierre Bemba était bien au courant de la violence. Il dit avoir entendu d’un diplomate onusien que lors des accords de cessez-le-feu de Gbadolite signés entre le RCD-N de Roger Lumbala, le RCD-KML de Mbusa Nyamwisi et le MLC de Jean-Pierre Bemba, ce dernier a accepté de signer par peur que ses crimes de Mambasa ne soient dévoilés.

« Elle (la diplomate onusienne, ndlr) m’a dit que Bemba ne voulait pas signer mais lorsque nous lui avons dit que s’il ne signe pas, nous allons révéler ce que vous avez fait à Mambasa, il a signé », a-t-il révélé.

« J’ai donné le corps à mon fils, pas son esprit »

Le prêtre a également évoqué sa rencontre à Beni avec Jeannot Bemba Saolona, le père de Jean-Pierre Bemba, qui voulait tout savoir sur ce que son fils avait fait à Mambasa. « Je lui ai tout raconté pendant deux heures. Des filles violées et qui ont tout perdu, un pillage systématique. Il a été ému et ne savait quoi faire. Il s’est excusé et a déclaré : "J’ai donné le corps à mon fils (Jean-Pierre Bemba, ndlr), mais pas son esprit" ».

Visiblement, le père Sylvano Ruaro veut que les responsabilités de Constant Ndima et Jean-Pierre Bemba soit également engagées pour qu’ils répondent des actes menés par leurs soldats « indisciplinés et sûrs de leur impunité ». Mais le fait pour lui de récuser le rôle de Lumbala a surpris les victimes : l’une a suspecté sa collision avec les politiques, alors que Pisco Paluku lui, est resté sans mot.

« Moi-même je suis surpris. Tout s’est passé quand il était là et on avait l’âge qui pouvait nous aider à analyser les évènements. On était là, c’est bien séparé : il y avait une troupe venue de Bafwasende, appartenant à Roger Lumbala et qui avait lancé la première action contre Mambasa, et il y avait une deuxième troupe venue (de l’axe Isiro), elle est arrivée quand on était déjà partie (l’ensemble des populations), on ne l’avait pas vu et elle était dirigé par le Roi des imbéciles. C’est la troupe qui appartenait à monsieur Bemba et était venue appuyée celle de Lumbala », a fait remarquer la victime qui a perdu son oncle et ses biens. « Je ne sais pas ce qui l’a animé à changer sa position par rapport à un évènement que tout le monde a connu.  Peut-être son âge ? Il a suffisamment vieilli, est-ce que ce n’est pas une confusion entre Lumbala et Bemba ? Tout le monde parlait de Lumbala », fait remarquer la victime lors d’une déclaration à la presse.

A la fin de la journée, la Cour a lu les déclarations envoyées par l’autre prêtre, le père Francesco Laudati, qui n’est pas intervenu par visioconférence comme initialement prévu suite aux soucis de santé dus au poids de l’âge. Francesco Laudati qui dit avoir reçu des informations de père Sylvano qu’il présente comme l’« âme de Mambasa » note lui, que l’opération « Effacer le tableau » était menée par les troupes de Roger Lumbala et Jean-Pierre Bemba, et évoque même le rapport de force entre Constant Ndima et Roger Lumbala.

« Ndima répondait aux ordres de Lumbala. Ndima était au courant de la situation et dépendait de Lumbala », affirme-t-il dans les notes envoyées à la Cour.