L'actualité en République démocratique du Congo reste dominée notamment par la signature, le vendredi 25 avril à Washington, d'un accord de principes par la ministre des Affaires étrangères, et son homologue rwandais en présence du Secrétaire d'Etat américain. Les parties ont convenu que la RDC et le Rwanda élaborent, d'ici au 02 mai, un projet d'accord de paix. Pour décrypter cette Déclaration de principes, ACTUALITÉ.CD a interviewé Martin ZIAKWAU, docteur en Relations internationales et chercheur sur les dynamiques sécuritaires dans l'Est de la RDC.
ACTUALITÉ.CD: Pourquoi affirmez-vous que la signature de cet accord de principes suscite plus d'inquiétudes qu'elle ne rassure?
MZ : Permettez-moi de briser quelque peu le voile de ma discrétion pour vous faire part de mes réflexions, nourries non seulement par mes connaissances scientifiques, bien que modestes, sur la problématique sécuritaire dans l'Est de notre pays, mais aussi par mon expérience personnelle fondée sur des éléments empiriques sur la problématique sécuritaire dans l’Est du pays.
Je n'ai point de couleur politique, ma démarche étant guidée uniquement par le désir sincère d'attirer l’attention des experts et des décideurs politiques, dont je ne doute pas de l’acuité analytique, sur des éléments susceptibles de favoriser une meilleure défense des intérêts de la République.
Cela dit, il est essentiel de préciser que l'accord de principe constitue un engagement par lequel deux parties, ou plus, établissent les fondements d'un contrat futur. Il revêt lui-même la nature d'un contrat s'il en réunit les éléments essentiels. C'est un préambule, une promesse entre deux parties, articulée autour des éléments clés d’un futur accord.
La Déclaration de principes que nous examinons en ce moment éclaire ainsi les assises de l'accord actuellement en négociation entre la RDC et le Rwanda. Il est d'autant plus significatif qu'il y est stipulé que "la signature de ce document (Déclaration de principes) confirme l'engagement politique des Participants énoncé dans les présentes".
Si ces bases s'avèrent fragiles, il n'y a guère de miracle à espérer par la suite. Il est grand temps de tirer la sonnette d'alarme, d'apporter un soutien ferme aux négociateurs congolais, afin d'assurer une préservation optimale des intérêts de notre République.
Pour des raisons de méthodologie, je vous propose de décortiquer ce sujet point par point afin de mieux cerner les inquiétudes qu'il suscite.
ACTUALITÉ.CD: Nous pouvons commencer par le contexte ... Qu'en dites-vous ?
MZ : Nous sommes confrontés à une agression manifeste de la RDC par le Rwanda, une réalité soigneusement documentée par le Groupe d'experts des Nations Unies. En février dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté, à l'unanimité — y compris l'aval des États-Unis d'Amérique — la Résolution 2773, qui exige le retrait inconditionnel des troupes rwandaises déployées en RDC, en flagrant mépris de l'intégrité territoriale de notre pays. En scrutant cette Déclaration de principes, il apparaît que ce contexte crucial est malheureusement éludé.
C'est assez significatif pour être souligné.
ACTUALITÉ.CD: Le premier point de cette Déclaration se rapporte à la "Souveraineté, intégrité territoriale et gouvernance". C'est plutôt une bonne chose pour la RDC ...
MZ : Au-delà des principes, se cachent des subtilités qu'il convient de relever afin d'en cerner pleinement la portée. Comme mentionné précédemment, le point de départ n'est pas la reconnaissance de l'agression de la RDC par le Rwanda, un élément qui, loin d'être anodin, mérite une attention particulière.
Après un rappel des fondements du droit international, un détail attire notre attention : "Les Participants reconnaissent le droit souverain de chaque Participant de gouverner et d'administrer son propre territoire d'une manière qui ne porte pas atteinte à la souveraineté ou à l'intégrité territoriale de l'autre Participant." L'allusion est ici faite notamment aux FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), que Kigali perçoit comme une menace existentielle. Cela signifie que, pour le Rwanda, c'est l'incapacité de la RDC à administrer l'ensemble de son territoire — en particulier dans l'Est — qui donne libre cours à l'activisme et à la prolifération des groupes armés tels que les FDLR.
Cette évocation légitimerait une énième tentative du Rwanda de réactualiser ses prétentions sur un Congo dont l'agression serait ainsi justifiée tacitement sous l'argumentaire de la lutte contre les FDLR. Cet engagement que je scrute est à croiser avec l'engagement national 2 de la RDC et l'engagement régional 2 souscrits aux termes de l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la Région.
ACTUALITÉ.CD: Pensez-vous que le Rwanda ferait le lit d'une nouvelle agression?
MZ : Dans le cadre d'une réflexion stratégique, il est de la plus haute importance de rechercher d'éventuelles brèches aux conséquences graves, plutôt que de se complaire dans des éléments de confort. C'est en prenant pleinement conscience de son état d'insécurité que l'on s'efforce, avec une minutie redoublée, de garantir sa propre sécurité. La vigilance face aux menaces latentes devient ainsi le fondement même d'une protection efficace.
ACTUALITÉ.CD: le deuxième point porte sur les préoccupations en matière de sécurité. Y a-t-il des inquiétudes ?
MZ : Il convient de souligner l'interdépendance sécuritaire qui lie la RDC au Rwanda. Cette relation, complexe et ambivalente, peut revêtir des aspects tant positifs que négatifs. À ce jour, elle s'avère principalement défavorable, en raison de l'exploitation, par Kigali, de la vulnérabilité de l'autorité étatique dans l'Est du pays. Cette dynamique a conduit à l'émergence d'une multitude de groupes armés, tant locaux qu'étrangers. Selon un Rapport de 2023 du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRCS), il était dénombré 252 groupes armés, parmi lesquels figurent 14 entités étrangères.
Dans ce contexte, l'accord de principes de Washington préconise l'examen de la mise en place d'un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire visant à lutter efficacement contre les groupes armés non étatiques et les organisations criminelles qui menacent les préoccupations légitimes en matière de sécurité des deux nations.
En somme, le Rwanda pose les bases d'opérations militaires conjointes avec les Forces Armées de la RDC (FARDC) contre les FDLR. Parmi les raisons qui alimentent l'engagement rwandais dans l'Est congolais, on note la réticence du gouvernement congolais à autoriser ces opérations, alors qu'il les avait accordées à l'Ouganda et au Burundi dont les troupes seraient encore sur le territoire congolais. Cette hésitation s'explique par des réactions populaires, nourries par une expérience amère. En 2009, les opérations militaires conjointes menées contre les FDLR ont laissé des souvenirs douloureux.
ACTUALITÉ.CD: Au troisième point sur l'intégration régionale, les USA promettent des investissements importants ...
MZ : C’est sans doute le sommet des préoccupations. Car c'est ici qu'il y a les éléments de réponse à la proposition de deal formulée par le Gouvernement pour la paix. Il me semble que l'administration américaine retournerait contre la RDC cette suggestion. Ce, en ouvrant une fenêtre d'opportunités favorisant davantage le Rwanda.
ACTUALITÉ.CD: Pourquoi paraissez-vous si pessimiste ?
MZ : Non, il n’y a là aucune trace de pessimisme. Je m’efforce simplement d’analyser en profondeur les termes de cet accord de principes. Le lancement, ou l’expansion, d’investissements significatifs, facilitée par le Gouvernement américain et le secteur privé des États-Unis, est en réalité conditionné par l’instauration d’un cadre d’intégration économique par étapes entre la RDC et le Rwanda. Il ne s’agira pas d’un cadre déjà existant, mais d’une nouvelle architecture à édifier, en s’appuyant sur des structures existantes telles que la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE) et le Marché Commun de l'Afrique de l'Est et Australe (COMESA).
Dès lors, un espace intégré émergera, dépouillé de toute connotation étatique, sans fixation sur l’origine des ressources naturelles à exploiter. En d’autres termes, il n’y aura ni territoire congolais ni territoire rwandais. Les investisseurs américains bénéficieront ainsi d’une liberté d'implantation totale, où bon leur semblera.
Cependant, dans ce processus d’intégration, le Rwanda pourrait capter une part plus importante des investissements, profitant de son avance en matière d’attractivité pour les capitaux étrangers, grâce à des atouts tels que la sécurité juridique, la qualité de l’administration, et la lutte contre la corruption.
La question qui se pose alors est de savoir si la RDC tant d'en haut que d'en bas est prête à vite tourner la page sur les souffrances des victimes des violences armées dans l’Est du pays, afin de s’engager dans un accord de principes dépourvu de garanties préalables concernant la sécurité de l’État. Nous comptons beaucoup sur nos négociateurs à cet effet.
En outre, il en découle un problème fondamental lié à la non-affirmation de la souveraineté de la RDC sur ses ressources naturelles. Il est également légitime de se demander si le Gouvernement a anticipé, dans sa proposition de deal concernant les minerais, les conditionnalités imposées par la législation américaine. Enfin, se pose la question de l’état des lieux des réformes structurelles en cours en RDC, indispensables pour assainir l’environnement des affaires et attirer les investissements notamment américains.
ACTUALITÉ.CD: Qu'en est-il du retour des personnes déplacées et réfugiés évoqué au point quatre? Ceci n'est pas assez complexe ...
MZ : Bien au contraire. C'est précisément l'une des causes profondes de la conflictualité et des conflits gangrénant l'Est du pays. Le véritable enjeu ne réside pas tant dans le retour des réfugiés, mais dans les implications qui en découlent. En effet, ces réfugiés sont censés réintégrer leurs espaces de vie, généralement délimités par des considérations communautaires. Or, certains groupes armés locaux leur contestent l'accès à ces terres, exacerbant ainsi les tensions. Assurer un retour sécurisé des réfugiés nécessite, préalablement, d'établir un compromis avec les communautés locales auxquelles s'identifient généralement des groupes armés locaux.
Il devient donc manifeste que la clé de la solution repose sur une dynamique entre le Gouvernement central et les entités locales. Si ces dernières ne s'approprient pas un schéma imposé unilatéralement par l'État, le risque de violences sur le terrain demeure élevé.
Cependant, cette dimension locale semble négligée dans l'accord de principes ; ce qui témoigne d'une préoccupation de l'administration américaine davantage tournée vers ses intérêts stratégiques que vers un véritable accompagnement de Kinshasa et Kigali vers une paix durable devant impérativement s'appuyer sur la prise en compte des perceptions locales des enjeux sécuritaires dans l'Est du pays.
ACTUALITÉ.CD: le point suivant se réfère à la Monusco et aux forces et mécanismes régionaux…
MZ : On évoque ici la possibilité, si nécessaire, de déployer une force d'interposition. C'est précisément cette idée qui a toujours suscité l'opposition du Gouvernement congolais, justifiant ainsi le retrait de la Force régionale de l'EAC. Le déploiement d'une telle force implique l'existence d'un conflit armé, nécessitant son intervention pour éviter la poursuite des combats, permettant à chaque partie belligérante de consolider ses positions en attendant la conclusion d'un accord de paix.
Peut-on envisager qu'une nouvelle guerre entre la RDC et le Rwanda se profilerait à l'horizon, malgré les investissements américains qui n'auraient pas réussi à en prévenir l'éclatement pour évoquer l'idée d’une force d'interposition ? Ou bien s'agit-il d'une tentative de règlement, sous ce format, du conflit armé entre l'armée congolaise et l'AFC/M23 ? Il est crucial d'examiner ces questions afin de dissiper toute ambiguïté et d'éclaircir la situation complexe qui prévaut.
ACTUALITÉ.CD: Entre-temps, Kinshasa et Kigali sont tenus de présenter un draft de l'accord de paix au plus tard le 02 mai ...
MZ : Il est envisageable que cela s'accompagne d'une Feuille de route, destinée à clarifier les responsabilités de chaque partie. Ce dispositif permettrait d'assurer une évaluation fluide et sans entrave de la mise en œuvre des engagements, tout en ouvrant la voie à la concrétisation des investissements américains.
C'est ainsi qu'il est crucial de prendre toute la mesure des engagements des uns et des autres.
ACTUALITÉ.CD: Que proposez-vous concrètement au Gouvernement? Que doit-il faire dans un tel contexte ?
MZ : En réalité, ma réflexion constitue une proposition visant à solliciter plus d'attention des négociateurs congolais sur certains points où se dissimulerait le diable, se nourrissant des détails. Étant donné le caractère crucial de l'accord en gestation, il serait prudent que le Gouvernement y insère une clause de ratification. Cette démarche permettrait d'impliquer le peuple, à travers ses élus, dans ce processus décisionnel fondamental pour l'avenir de la RDC en tant qu'Etat. Ce, peu importe les controverses qui entoureraient nos débats de politique intérieure, notamment en ce qui concerne les relations entre les parlementaires et les citoyens.
Propos recueillis par Clément Muamba