Genocost : Quand les dirigeants désacralisent et banalisent le génocide congolais

Génocide
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Tribune du Déshonneur

De l’honneur à nos victimes et survivants …

1. Le 2 août 2023, le Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, a commémoré le génocide congolais, pour la première fois, à la Place des évolués, placardée pour la circonstance « Place de commémoration des victimes du Genocost ».  Le pays tout entier, particulièrement la capitale Kinshasa, avait retenu son souffle en parcourant des archives illustrant l’ampleur et la gravité des crimes que nombreux congolais, même parmi les officiels, ne connaissaient qu’à travers des brefs récits de différents discours du Dr. Denis Mukwege ou à l’occasion des plaidoyers des organisations non-gouvernementales sur la question. Ecouter les témoignages des victimes rescapées et trépassées des crimes abominables commis sur le territoire du Congo a mis en lumière la fréquence de victimité, énoncée à partir du cas Elikya[1] : une jeune fille violée et obligée d’assister au viol de sa mère à 8 ans devant toute la famille, puis violée publiquement et collectivement plusieurs fois durant sa fuite de son village pillé et incendié vers la ville de Bukavu.  Plusieurs Elikya sont restées inconnues.  Mais toutes assurément devraient être fières de cette première commémoration du Genocost par le Président de la République accompagnée de tous les officiels.  La solennité était particulière.  L’émotion était à son comble, perceptible sur les visages, dans un silence lugubre et étranger à une ville, Kinshasa, coutumière des chants et de la danse associée à la sape.

 2. Après cette commémoration, la Place des évolués « Place du Genocost » devrait être transformée en mémorial et devenir un lieu véritablement sacré, symbole de résilience, réconfort et espoir pour les innombrables victimes.  Plus que tout, l’on espérait que suivrait une consécration d’une journée officielle de commémoration du Genocost, le 2 août de chaque année par exemple.

3. L’on aurait voulu qu’un mémorial soit érigé au cœur de Kinshasa ou un autre endroit symbolique comme Kisangani.  Faute de conscience, sérieux et responsabilité, mais surtout par manque de politique mémorielle, cela n’a pu être le cas jusqu’à présent.  Comme le choix a été jeté sur la Place des évolués « Place du Genocost », celle-ci aurait dû être spécialement aménagée de sorte à refléter l’image d’un pays constamment endeuillé et noyé dans l’impunité sous le prétexte fallacieux de paix.  Six (6) millions de morts pour certains et 12 millions pour d’autres, en réalité, l’on a arrêté de compter.  Faut-il un nombre précis de victimes trépassées et de survivants pour que la justice soit rendue !

… au déshonneur : de la place du Genocost à la place de la bière et du chanvre

4. Quelques temps après cette commémoration, la Place des évoluées « Place du Genocost » a été transformée en « Marché de Noël », puis en « Village de la CAN » où des stands ont été aménagés pour diffuser des matchs de la Coupe d’Afrique des Nations autour de la bière et du chanvre.  A ce jour, ce sont des Nganda et marchands de toute sorte qui pullulent le coin.  Honte !

 5. Les officiels congolais présentent l’image de deuil ici et là.  Ils n’arrêtent pas de fustiger « l’injustice » de la communauté internationale peu encline à mettre au-devant de la scène le génocide congolais.  Ils se plaignent de l’attention portée, notamment, sur le génocide rwandais et la manière dont les officiels de ce pays manipulent ce drame pour avancer leur agenda international vis-à-vis notamment de la partie Est du Congo.

 6. Les efforts déployés par les officiels congolais sont pourtant minimes.  Les sociétés civiles et savantes congolaises sont heureuses de fournir leur accompagnement, toutefois, les officiels congolais agissent moins pour valoriser le drame congolais mais se plaignent beaucoup du Rwanda, comme s’ils étaient devenus une « association des pleurnichards du Congo (APC) ».  Ils se plaignent du Rwanda et cela agace à tout bout.  Car, tous ceux qui s’invitent au deuil à Kinshasa se retrouvent curieusement dans une ambiance de festivité, digne d’un pays dont les athlètes ont remporté toutes médailles des jeux olympiques.  Que se disent-ils ?  C’est qui est évident est qu’une fois à Kigali, les partenaires étrangers auprès desquels le Congo sollicite des actions décisives contre le Rwanda ainsi que la valorisation du génocide congolais préfèrent Kigali à Kinshasa.  En dehors des flatteries et étiquettes diplomatiques cyniques sans ampleur auprès des officiels congolais, ils nouent des partenariats essentiels et solides avec Kigali.  Pour eux, l’officiel congolais est irresponsable, inconscient, émotif et désordonné.  Un être humain à qui il ne reste que de marcher à quatre pattes.  Sidération !

Se ressaisir 

7. Que peuvent faire le Président de la République et tous ses officiels pour, peut-être, être pris au sérieux en rapport avec le Genocost ?

 A.   Montrer que le Congo est réellement en deuil, à travers la consécration d’une journée officielle de commémoration des victimes du Genocost et l’érection d’un mémorial à la hauteur du nombre, de la fréquence et de la gravité des crimes commis au Congo par, notamment, les armées ougandaises, rwandaises et les groupes armés.  La consécration de cette journée officielle coûterait un papier ainsi qu’une signature du Président de la République, une action qui incombe entièrement aux officiels congolais.  Pourquoi ne l’ont-ils pas fait jusque-là ?

B. Prendre une série des sanctions, même symboliques, contre le Rwanda.  Ceci n’est pas trivial, car, pourquoi demander aux autres pays de faire quelque chose que le Congo ne parvient pas à faire ? Pour appuyer cette démarche, les officiels congolais devraient mettre en place une équipe d’experts chargée d’élaborer pour chaque pays auquel le Congo demande des sanctions contre le Rwanda des propositions concrètes de sanctions.  Cela aiderait ces pays à examiner les propositions congolaises en lieu et place de commencer à réfléchir sur d’éventuelles sanctions contre le Rwanda.

C.   Donner une valeur normative à l’état des lieux de la présence des FDLR au Congo.  Les FDLR constituent l’alibi que Kigali emploie pour légitimer l’agression contre le Congo.  Les rapports de certains services (congolais et des Nations Unies) indiquent que les FDLR n’existent plus ou ne présentent plus de menace quelconque contre le Rwanda.  Pour raffermir cette position et enlever cet alibi à Kigali, les futurs instruments de droit international employés par, notamment, le Mécanisme de Suivi et le ministère des Affaires étrangères devraient, dans leurs préambules, indiquer cet état des lieux.  En procédant de la sorte, toutes les parties à ces instruments seront désormais liées par l’état des choses qui y est présenté.

8. En dehors des actions conjoncturelles ci-haut décrites, la promotion d’une culture et politique mémorielle mérite une attention particulière.  Une véritable politique mémorielle devrait inclure les aspects de sécurité, justice (transitionnelle), diplomatie et économie.

*    Kilele Muzaliwa est Docteur en Droit de Yokohama National University (Japon) et diplômé de l’Ecole        Nationale d’Administration (Ena Rdc). Il est Administrateur civil senior de la RDC et Professeur associé à        l’Université de Goma.  Son domaine d’expertise comprend le droit (international) économique et      numérique, Politiques publiques, Intelligence économique et Stratégies de développement comparées.

Email : [email protected]

*    Trésor Muhindo Makunya est Docteur en Droit de Pretoria University (Afrique du Sud) et Professeur         associé de Droit public à l’Université de Goma.  Il est expert en Droit constitutionnel comparé.

Email : [email protected]

 


 

[1] Elikya est un nom d’emprunt.  Le contexte du drame qu’elle a vécu est présenté de sorte à ne divulguer aucun élément de l’identité de la victime.