« Bon courage », c’est le nouvel album d’Amira Kiziamina, artiste franco-congolais, très connu sous le pseudonyme de Kalash Criminel, sorti le 23 février dernier. À travers différents titres, « le grand crimi », fidèle à son style, n’a pas raté l’occasion d’aborder la situation politique de son pays natal, la République démocratique du Congo (RDC), dont la partie orientale est sous l’agression du Rwanda, sous couvert des rebelles du M23.
Dans un style quelque peu agressif et « sauvage » qui le caractérise depuis près de 10 ans de carrière, le natif de Kinshasa évoque également la situation géopolitique en Afrique et dans le monde. Kalash Criminel n’épargne pas le « cynisme » occidental exacerbé par la poursuite injuste de ses intérêts à travers ces conflits.
Souffrances et guerre au Congo
La situation dans l’Est de la RDC revient à plusieurs reprises dans différents titres. « À l’Est, à Goma, il y a la guerre, et toi tu veux qu’on danse ? » s’interroge-t-il dans Recrutement de Ben Laden, un des morceaux phares de cet opus de 17 titres. Cette question met en évidence combien la guerre de l’Est le préoccupe. Il s’insurge contre l’attitude indifférente de certains de ses compatriotes qui ne déploient pas assez d’engagement pour dénoncer les atrocités que subissent les populations des régions du Kivu.
Le rappeur de Sevran envoie un message fort au président rwandais : « Je n’ai pas le temps de dialoguer », dit-il dans Sauvagerie radio, un des titres de l’album. Cette prise de position reflète l’attitude de beaucoup de Congolais, qui ne croient pas en la sincérité de Paul Kagame après le non-respect des accords issus des processus de Luanda et de Nairobi, visant à désamorcer la crise et la violence entre les deux pays voisins.
« Congo Kinshasa, on va souffrir jusqu’à quand ? », s’interroge-t-il dans Le monde est petit et Dieu est grand. Ce questionnement fait sans doute allusion aussi à la situation socio-économique du pays, marquée par la hausse du prix des biens de première nécessité et la dépréciation du franc congolais, monnaie locale, face au dollar américain. C’est également une interpellation pour les dirigeants, dont le président Félix Tshisekedi, qui a prêté serment le 20 janvier dernier pour un deuxième mandat.
Ce qui a tué mon pays, c’est la mort de Lumumba et l’arrivée de l’AFDL
La guerre et la souffrance au Congo sont consubstantielles à l’histoire politique et géopolitique du pays. « Ce qui a tué mon pays, c’est la mort de Lumumba et l’arrivée de l’AFDL », chante-t-il dans Le Flow de Mobutu sur la prod Trap. Lumumba, premier chef du gouvernement congolais, a été assassiné le 17 janvier 1961. Il est reconnu comme l’un des pères de l’indépendance, sinon le fer de lance de cette lutte. Son assassinat a plongé le pays dans un chaos dont les répercussions se font ressentir plusieurs années plus tard. L’arrivée de l’AFDL, avec à sa tête Laurent-Désiré Kabila en 1997 pour chasser le président Mobutu, a occasionné l’infiltration à long terme de l’armée congolaise par l’armée rwandaise. Cette situation est considérée non seulement comme un frein au développement du pays, mais aussi comme une cause endogène de la guerre actuelle dans le Kivu. Ses conséquences seront aussi pérennes : « Les guerres s’arrêtent, mais les personnes mortes ne reviendront pas », regrette-t-il dans la chanson Cœur blanc comme Jul.
« L’Occident condamne la Russie, mais ne condamne pas le Rwanda »
Le rappeur pointe également la main noire de l’Occident, dont les États-Unis et l’Union européenne (UE), dans le conflit de l’Est de la RDC. « L’Occident condamne la Russie, mais ne condamne pas le Rwanda », dénonce-t-il dans le morceau Ngannou, en featuring avec Bobby Shmurda. C’est une façon pour lui de dénoncer l’omerta des pays occidentaux qui ne posent aucun acte pour mettre fin aux tueries, se limitant aux simples déclarations verbales de condamnation du Rwanda. La signature d’un protocole d’accord entre l’UE et le Rwanda sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières, ou encore la réception à Kigali d’une délégation de l’UE dirigée par Cosmin Dobran, directeur de la paix, des partenariats et de la gestion des crises au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) par James Kabarebe, ministre rwandais de coopération régionale, ont été perçues comme un appui criant de l’UE au Rwanda par les dirigeants et le peuple congolais.
Cet appui accentue les « combats » pour le « coltan », le « diamant », les minerais du Congo et des enfants qui y travaillent, explique-t-il encore dans Le Flow de Mobutu sur la prod trap, visiblement l’une des chansons à succès de cet album. Les produits miniers de l’Afrique ont tellement profité aux Européens, dénonce Kalash Criminel, que « sans l’Afrique, leurs seules richesses seraient le fromage et le vin », précise-t-il dans le titre Encore les problèmes, en featuring avec Freeze Corleone. Le rappeur cagoulé reste formel dans le titre Yémen, en feat avec Josman : « Allez dire à l’Occident que l’Afrique n’est pas à vendre ».
Dans Recrutement de Ben Laden, il affirme que « l’ONU a du sang sur les mains », pour pointer l’inefficacité des forces onusiennes et leur incapacité d’imposer la paix à l’Est du Congo, malgré plus de deux décennies de déploiement. L’État congolais et le Conseil de sécurité de l’ONU sont d’ailleurs tombés d’accord pour le départ de la Monusco dès cette année 2024.
Les pays occidentaux sont-ils de bons alliés pour le Congo et pour l’Afrique ? Encore une question qui attire l’attention quand on sait que l’artiste conseille : « Choisis bien tes alliés, sinon tu finiras assassiné chez toi comme Laurent-Désiré Kabila » (Le Flow de Mobutu sur la prod Trap).
Bon courage est le cinquième album d’Amira Kiziamina, qui est fils de Kiziamina Kibila, un homme d'église (pasteur) et acteur politique congolais. L’artiste considère déjà son album comme le meilleur de l’année.
Avant, il a sorti Fosse aux lions (2018), Sélection naturelle (2020), SVR, un album en commun avec Kaaris (2022). Toutefois, il avait déjà conquis le monde du rap avec les mixtapes Oyoki (2017) et RAS (2016). Toujours cagoulé pour se démarquer des autres, l’artiste se déclare « engagé » et dénonce les injustices et les déséquilibres sociaux à travers le monde. Il se fait porte-parole des personnes atteintes d’albinisme, dont il fait partie, et de toute autre personne marginalisée.
Bruno Nsaka