Par KABENGELA ILUNGA Jean-Marie
Avocat et Doyen Hon. du Conseil de l’Ordre du Barreau de Kinshasa/Matete et Conseil près la Cour Pénale Internationale.
N° ONA : 1145
L’histoire récente de la justice constitutionnelle en Afrique fait parler de deux juridictions constitutionnelles, la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo et le Conseil constitutionnel sénégalais.
Mais par une sorte d’ingratitude ou de mépris de mauvais goût à l’endroit de la première, l’opinion publique, particulièrement congolaise, a trouvé le temps et les termes pour faire des éloges à l’endroit du second alors qu’autant que celui-ci, le juge constitutionnel congolais a fait ce qu’en Afrique on ne peut attendre d’une juridiction à la fois technique et politique. Et on ne l’a pas vu assez.
En effet, si l’on devrait louer le courage du juge constitutionnel sénégalais pour avoir, au moyen de sa décision n° 1/C/2024 du 15 février 2024, déclaré non conforme à la Constitution de la République du Sénégal, la loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31de la Constitution, adoptée sous le n° 4/2024 par l’Assemblée nationale en sa séance du 05 février 2024 et avoir annulé le décret n° 2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, mais qui, admettons-le, a validé que Ousmane Sonko soit écarté de la course à la présidentielle, l’on devrait autant saluer le travail de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo qui, à l’inverse du Conseil constitutionnel sénégalais, a validé toutes les candidatures à la présidentielle y compris celles des personnes qui s’avéreraient être des candidats sérieux pour le Président sortant Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo en dépit du fait que ces candidats étaient eux aussi en conflit avec la loi et dans des démêlées judiciaires. Fort du principe de la présomption d’innocence, la Cour avait validé toutes les candidatures contre l’avis d’une bonne partie de l’opinion publique congolaise.
Observateur avisé de la vie politique de nos institutions, je considère que si la Cour constitutionnelle ne se préoccupait pas de la protection des droits et libertés fondamentaux proclamés dans la Constitution, autant sous le régime passé la candidature de Jean-Pierre Bemba a été écartée de la course à la présidentielle à la faveur d’une décision qui a assimilé la subornation des témoins à la corruption, autant les candidatures de Moïse Katumbi et de Augustin Matata Ponyo seraient écartées. Il s’agit là d’une expression éloquente de l’intérêt que la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo a manifesté pour l’inclusivité du processus électoral dans ce pays.
C’est donc à l’honneur de la Cour constitutionnelle actuelle, soucieuse de la protection des droits fondamentaux garantis par la Constitution, notamment des droits à une égale protection des lois et à la présomption d’innocence que toutes les candidatures à la présidentielle ont été validées.
En outre, au-delà de la validation des candidatures et bien avant, par un arrêt de principe célèbre[1], le juge constitutionnel congolais n’a pas hésité dans sa vocation de protection des droits et libertés fondamentaux, de censurer pour inconstitutionnalité un arrêt du Conseil d’Etat. C’est une première que la communauté scientifique aurait pu saluer en considérant le raisonnement tenu à cette occasion par le juge constitutionnel.
En fin, plus récent est l’arrêt RCE 016/PR-CR du 09 janvier dernier[2] où le juge constitutionnel congolais a fixé un nouveau cadre du pouvoir d’investigation du juge électoral en matière de contentieux des résultats électoraux, juge qui n’est plus tenu ni aux termes des décisions de la Centrale électorale portant publication des résultats provisoires des élections, ni aux termes des requêtes en contestation des résultats, moins encore à la prospérité ou non desdites requêtes.
A l’occasion de cet arrêt, le juge constitutionnel congolais a fait un travail technique énorme en commençant par rétablir ce qu’il est convenu d’appeler la vérité des urnes, requalifiant tant les suffrages valablement exprimés : 17.773.943 en lieu et place de 18.018.916 arrêtés par la CENI, taux de participation : 42, 65% en lieu et place de 43,23% arrêté par la CENI, nombre des votants : 17.800.195 en lieu et place de 18.045.348 arrêtés par la CENI ainsi le nombre des bulletins déclarés nuls ou blancs :
26.252 en lieu et place de 26.432 arrêtés par la CENI.
Au sujet de l’étendue du pouvoir d’investigation du juge électoral, la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo a jugé que comme juge électoral, elle doit vérifier l’authenticité et la sincérité du scrutin en s’assurant que les irrégularités dénoncées sont avérées et susceptibles d’influer sur les résultats électoraux si bien qu’elle peut rectifier les résultats s’ils sont entachés d’erreur matérielle ou de fraude avérée, même en dehors de tout contentieux ou en cas d’un recours déclaré infondé.[3] Par ailleurs, saisie sous R. Const 2139 par le Premier Ministre de la République Démocratique du Congo en interprétation de l’article 110 alinéas 2 et 3 de la Constitution, la Cour constitutionnelle n’a pas hésité à donner la bonne interprétation de la disposition constitutionnelle alors que cette interprétation mettait le requérant Premier Ministre en situation d’incompatibilité entre ses fonctions de premier Ministre et son mandat de Député national nouvellement élu, cela étant valable pour les autres membres du Gouvernement élus Députés nationaux.
Il ressort de l’analyse des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo en matière de contrôle de constitutionnalité et de contentieux des élections, que cette se montre très préoccupée par la sauvegarde de l’intangibilité constitutionnelle ainsi que la protection des droits et libertés fondamentaux proclamés non seulement par la Constitution, mais également par tous les textes juridiques formant le bloc de constitutionnalité de la République Démocratique du Congo.
Ainsi, s’il y a lieu de saluer l’indépendance dont a fait montre le juge constitutionnel sénégalais, l’on devrait jeter plus de fleurs au juge constitutionnel congolais pour l’indépendance dont il fait preuve dans l’appréciation des objets de ses saisines, indépendance sans laquelle tous les efforts de bonne gouvernance seront voués à l’échec.
[1] C. Const., arrêt R.Const. 1800 du 22 juillet 2022, greffe de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique du Congo
[2] C. Const., arrêt RCE 016/PR-CR du 09 janvier 2024 publié au Journal officiel de la République Démocratique du Congo, numéro spécial, 65ème année, première partie du 13 janvier 2024
[3] Idem, col. 9