RDC : Les leaders du Grand Nord-Kivu se présentent aux élections aux côtés de Félix Tshisekedi, mais l'insécurité demeure un problème majeur pour le président sortant

Campagne à l'éctorale à Goma
Campagne à l'éctorale à Goma

Comme ailleurs au pays, la campagne électorale pour les élections de décembre prochain a bel et bien démarré ce dimanche 19 novembre dans le Grand-Nord-Kivu (Beni, Butembo et Lubero). Dans la ville de Butembo, le décor de la campagne électorale est bien planté: des affiches portant effigies des candidats sont visibles sur la place publique, affichée sur des maisons ou placées sur des poteaux et autres supports publicitaires, des candidats, leurs groupes de sympathisants ou leurs équipes de campagne ont envahi des mutuelles des jeunes qui se réunissent chaque dimanche matin dans des quartiers, et d'autres encore être présents dans des églises pour parler des motivations de leur engagement en politique. Contrairement aux expériences électorales, ils sont nombreux les compétiteurs : pour le territoire de Beni, 465 députés nationaux et 539 candidats députés provinciaux pour les 8 sièges à chaque niveau, pour la ville de Beni, 110 candidats députés nationaux et 151 candidats députés provinciaux pour les deux sièges à chaque niveau, pour la ville de Butembo 183 candidats députés nationaux et 289 candidats députés provinciaux pour les 4 sièges à chaque niveau, et pour le territoire de Lubero 465 candidats députés nationaux et 619 candidats députés provinciaux pour 9 sièges à chaque niveau. 

Un Grand-Nord de Félix Tshisekedi ?

Point particulier pour Butembo, Lubero et Beni: contrairement aux deux derniers cycles électoraux de 2011 et 2018, ces entités réputées comme bastion de l'opposition (en 2011 acquis à Vital Kamerhe et Étienne Tshisekedi, en 2018 acquis à Martin Fayulu)  vont en 2023 aux élections pendant que tous ses grands leaders sont rangés derrière Félix Tshisekedi. C'est le cas des ministres Mbusa Nyamwisi, Julien Paluku, Nzangi Muhindo, Catherine Furaha et leurs acolytes influents, des députés Mbindule Mitono, Jérôme Lusenge ainsi que des mandataires Julienne Mughole et des anciens ministres comme Vahamwiti Mukesyayira, etc. 

"C'est impressionnant que des anciens frères ennemis qui s'affrontaient sur terrain sont aujourd'hui tous dans un même camp, l'union sacrée, leur bon côté de l'histoire", commente un analyste politique local.

"Ça réduit le risque de tensions pendant la campagne dans ces entités politiquement motivées", ajoute-t-il.

Mais d'autres analystes dans le Grand Nord nuancent que ces acteurs ne pourront que parler un même langage seulement pour la présidentielle, chacun étant déterminé à renfler des sièges des députés nationaux et provinciaux pour continuer à peser à Kinshasa.

"Ils sont tous à l'union sacrée, ce qui est bon pour la présidentielle, mais chacun a sa formation politique ou son regroupement politique qui les oblige à s'affronter sur le terrain des législatives", fait remarquer un candidat député provincial de Lubero. 

Certes, ces acteurs sont influents et ont commencé à battre campagne pour Félix Tshisekedi. Mais rien ne garantit qu'ils sauront emballer, sans explication, le public à soutenir Félix Tshisekedi.  En 2011 comme en 2018, Julien Paluku s'est massivement fait élire à Lubero sans réussir à renfler des voix notamment en 2011 pour Joseph Kabila (devancé à Lubero par Étienne Tshisekedi et à Butembo par Vital Kamerhe), et en 2018 pour Emmanuel Shadari (devancé par Martin Fayulu).

"Généralement en Afrique les élections sont plus sociologiques que idéologiques. On peut bien voter son leader sans voter le candidat président qu'il soutient.

Législatives et présidentielle, les motivations ne sont pas les mêmes: ce qui dicte plus le choix à la présidentielle, c'est la question de sécurité, c'est capital même pour cette échéance", explique Jacques Mukosasenge, acteur politique à Lubero.

Et sur ce point, Félix Tshisekedi semble mal parti. Le Grand Nord est aujourd'hui coincé entre deux guerres aux conséquences fâcheuses sur l'économie et le vécu quotidien des habitants : les ADF tuent à Beni, à l'extrême Nord, bloquant l'accès en Ituri, et les M23 sont actifs à Rutshuru, à l'extrême Sud, bloquant l'accès à Goma. 

"Nous sommes aujourd'hui coincé au milieu. On ne sait plus quoi faire. Nos business sont affectés, parce qu'on souffre pour rejoindre Bunia ou Goma", regrette d'Alzon dont deux voitures ont été brûlées par des ADF sur l'axe Butembo-Bunia et qui peine depuis à nourrir sa famille. 

"Le président Félix nous avait promis la paix et la sécurité, mais cinq ans après son entrée en fonction, la situation s'est détériorée qu'elle ne l'était", regrette-t-il.

A Beni, suite à la guerre des ADF, des habitants ont abandonné leurs champs de cacao ou ont fermé leur commerce. Alors qu'ils espéraient voir la situation se stabiliser depuis le lancement des opérations conjointes FARDC-UPDF, ils sont surpris de voir resurgir les attaques à cette veille des élections. 

L'insécurité, une épine dans le pied de Félix Tshisekedi

Jacques Mukosasenge note que l'insécurité est une épine dans le pied du candidat Félix Tshisekedi.

"Absolument. La difficulté pour Félix Tshisekedi c'est de bien expliquer aux populations pourquoi ça n'a pas marché", note-t-il.

"Ça veut dire que la tâche reste toujours compliquée pour Félix malgré son quinquennat et le bilan dont il se vante. La situation sécuritaire reste toujours problématique, même si à Beni il y a quelques résultats grâce à la mutualisation entre les forces congolaises et ougandaises", analyse Maombi Mukomya, enseignant de journalisme à l'Université de l'Assomption au Congo (UAC-Butembo). Pour lui, l'échec de résorber l'insécurité pourrait conduire les électeurs à voter pour l'opposition. 

"La guerre du M23 un autre problème. Et toutes les conséquences économiques, sociales et psychologiques qui s'en suivent ne plaident pas en faveur du régime. Ces éléments de contexte montrent que le régime doit travailler dur durant cette campagne pour espérer profiter de la dispersion de l'opposition et gagner des voix. C'est sûr qu'individuellement les leaders locaux derrière Félix vont lui apporter quelque chose, mais ça ne sera pas facile. Peut être en territoire de Lubero. Mais à Butembo et Beni, ils doivent avoir conscients que ces terrains là sont pro opposition", ajoute-t-il. 

Mais au delà de l'insécurité, Félix Tshisekedi n'a rien construit en termes d'infrastructures dans les villes de Beni et Butembo, contrairement à son prédécesseur Joseph Kabila qui avait réussi à doter ces deux villes de leurs premiers boulevards asphaltés. Les quelques bénéfices encaissés pendant le règne de Félix Tshisekedi : sur les cinq ministres du Nord-Kivu présents au gouvernement, quatre sont originaires du Grand Nord-Kivu (Mbusa Nyamwisi, Julien Paluku, Nzangi Muhindo et Catherine Furaha), la mécanisation de deux universités privées, notamment l'Université catholique du Graben (UCG) et l'Université adventiste de Lukanga (UNILUK), quelques écoles et centre de santé construits en territoire de Beni et Lubero dans le cadre du programme de 145 territoires, une zone économique spéciale en phase d'implantation près de Butembo, et l'adhésion du pays à l'EAC avec comme conséquence la suppression des visas d'entrées dans les pays d'Afrique de l'Est. Des actions qui ne profitent en grande partie qu'à un groupe d'opérateurs économiques mais non aux citoyens lambda qui ont plus besoin de la sécurité pour accéder à leurs champs et des routes de désertes agricoles pour évacuer leurs productions. 

La sympathie pourra-t-elle sauver Félix ?

Toutefois, face à une opposition dispersée, l'analyste Jackson Bwahasa pense que Félix Tshisekedi pourra s'en sortir.

"En 2018, on était fatigué de Kabila. Félix est arrivé mais il n'a pas fait grand chose en matière de sécurité ou  de pacification. Mais il peut s'en sortir. On a une opposition dispersée et certains pensent que s'il n'a rien fait, c'est parce qu'il était lié par les accords qui l'ont conduit au pouvoir. On n'est prêt à lui renouveler confiance pour voir ce qu'il fera en président libre. Son unique problème, il a trop promis en matière de pacification. S'il y a un opposant qui tient un discours crédible de ce côté là, il peut déstabiliser Félix Tshisekedi", explique-t-il. 

Ces questions seront donc au cœur des débats dans ces entités qui attentent recevoir les candidats à la présidentielle. Denis Mukwege y est annoncé ce 27 novembre, alors que Félix Tshisekedi lui y prévoit ses meetings à la première semaine de décembre.

Claude Sengenya