Depuis un temps, la Fondation américaine Bridgeway mène dans l’Est du Congo ainsi qu’en Ouganda, une campagne visant à démobiliser les combattants des Forces démocratiques alliées (ADF), groupe islamiste le plus meurtrier de l’Est du Congo. Des sites de défection établis, des programmes radiophoniques communautaires, des tracts largués à travers l’hélicoptère dans des camps des ADF et d'autres méthodes sont utilisés pour informer les combattants des ADF qui souhaitent se rendre qu'ils peuvent le faire. D’après Laren Poole, chargé des opérations de Bridgeway Foundation, encourager les combattants ADF à la reddition est un élément important d'une stratégie globale visant à réduire la capacité d’action du groupe aujourd’hui affilié à l’Etat islamique. Entretien
ACTUALITE.CD : Depuis un certain temps, la Fondation Bridgeway mène une campagne visant à obtenir la reddition des combattants des Forces démocratiques alliées (ADF) dans l’Est du Congo. Pourquoi cette initiative ?
La Fondation Bridgeway se consacre à l'élimination et à la prévention des atrocités de masse, et les ADF - qui font désormais partie du groupe terroriste État islamique - sont le groupe armé le plus meurtrier de l'est du Congo. Alors que les dirigeants de l'ADF se consacrent à leur campagne de violence contre les civils congolais, de nombreux combattants de l'ADF sont kidnappés ou amenés par la ruse à rejoindre le groupe. Beaucoup sont des enfants, enlevés dans leurs villages et souvent témoins du meurtre des membres de leurs propres familles. D'autres se voient promettre un emploi et sont attirés dans la forêt. Ces victimes sont alors forcées de devenir des combattants involontaires, car si elles refusent, elles seront elles-mêmes tuées. Nous pensons que s'ils en ont l'occasion, ces combattants involontaires se rendront, ce qui diminuera le nombre de combattants dans le groupe et réduira la capacité des ADF à mener leur campagne de violence.
Concrètement, en quoi consiste cette campagne de démobilisation?
La Fondation Bridgeway, en collaboration avec les autorités et la société civile locale, a établi des sites de défection sûrs dans toute la zone d'opération des ADF, où les combattants ADF qui souhaitent se rendre peuvent le faire en toute sécurité. Des programmes radiophoniques communautaires, des tracts largués dans des camps des ADF et d'autres méthodes sont utilisés pour informer les combattants qui souhaitent se rendre qu'ils peuvent le faire, et à quel endroit. Ces sites de défection sûrs collaborent avec les autorités pour traiter les combattants des ADF qui se rendent et les otages qui s'échappent, en les examinant et en les inscrivant dans le processus administratif. À l'issue de cette procédure, ils sont mis en contact avec leur famille et rapatriés chez eux. Dans certains cas, ils bénéficient d'un soutien psychosocial et de cours de déradicalisation, afin de les préparer à retourner à la vie civile dans leurs communautés d'origine. Nombre d'entre eux ont subi d'horribles traumatismes et doivent faire l'objet de soins délicats pour qu'une vie normale leur soit à nouveau possible.
Et comment se déroule la campagne sur terrain aujourd’hui?
Quinze sites de défection sûrs, desservant des communautés dans toute la zone d'opérations des ADF dans l'est du Congo, accueillent un nombre record de transfuges et les aident à se réinstaller dans leurs communautés. Lorsqu'ils se rendent, les combattants et les otages en fuite sont identifiés, examinés et inscrits au programme de la Fondation Bridgeway. Ceux qui ont besoin de soins médicaux les reçoivent, la procédure administrative appropriée est suivie en coordination avec les autorités locales, et ils bénéficient d'un traitement psychosocial, d'un soutien à la déradicalisation et d'une formation aux moyens de subsistance. Bien que la durée de ce programme varie selon les individus, l'objectif ultime est que les combattants et les otages qui se rendent puissent retourner dans leurs familles et mener une vie saine et productive. Pour ce faire, les familles sont identifiées et contactées, et les évadés sont réunis avec leurs proches. Dans la mesure du possible, ils bénéficient d'une formation qui leur permet de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Les communautés locales qui ont permis de franchir toutes les étapes de ce processus doivent être félicitées pour leur bravoure, leur dévouement et leur générosité.
Le mouvement ADF s'est enraciné dans la région et ses combattants sont en cours d'endoctrinement. Est-ce possible de les convaincre à se rendre?
L'ADF tente d'endoctriner idéologiquement ses membres, même ceux qui ont été kidnappés ou amenés par la ruse à devenir des combattants. Mais beaucoup de ceux qui ont accepté l'idéologie du groupe ont été démoralisés par la vie difficile et dangereuse d'un combattant, vivant dans des camps dans la brousse, contraints à la violence et fréquemment attaqués par les forces de sécurité. S'ils ont le choix entre la poursuite de leur vie au sein du groupe et une chance de réintégrer la vie civile, nombre d'entre eux choisiront de se rendre. Mais ils ont besoin d'une voie pour le faire, et ils doivent connaître cette voie. Il est donc essentiel de mettre en place des mécanismes et des procédures leur permettant de se rendre en toute sécurité, et d'informer les combattants qui sont encore dans le groupe de l'existence de ces mécanismes et procédures.
Votre approche intervient à un moment où la RDC peinait à vaincre militairement les ADF depuis 8 ans. Pensez-vous que la seule option militaire ou «le tout militaire» a montré ses limites?
L'ADF est un groupe terroriste violent et les forces de sécurité seront toujours un élément essentiel pour limiter sa capacité à nuire aux civils. Depuis qu'ils ont rejoint l'État islamique, il est également de plus en plus difficile de voir comment une solution négociée pourrait être possible, car l'idéologie du groupe estime que tous les gouvernements sont illégitimes. Par conséquent, nous pensons que permettre aux membres de se rendre peut affaiblir le groupe en diminuant ses effectifs, en érodant son moral et en isolant ses dirigeants. Nous, nous pensons que l'encouragement à la reddition peut s'agir d'un élément important d'une stratégie globale visant à réduire sa capacité militaire.
Qu’est-ce qui motive l’implication de Bridgeway Foundation dans la lutte contre le torrerorisme en RDC?
La Fondation Bridgeway se consacre à l'élimination et à la prévention des atrocités de masse, et l'ADF est le groupe armé le plus meurtrier de l'est du Congo. Nous disposons d'une équipe dévouée et d'un réseau crucial de partenaires, qui travaillent tous sans relâche à la recherche des ADF, à la documentation de leurs abus, à la formulation de programmes visant à réduire leur violence et à contribuer aux efforts de pacification de l'est du Congo. Les habitants de Beni, Irumu et Mambasa souffrent énormément depuis bien trop longtemps, et nous sommes déterminés à contribuer à l'instauration de la paix afin que le peuple congolais puisse construire l'avenir qu'il mérite.
Et de quelle expérience disposez-vous pour mener à bon port cette campagne de démobilisation des ADF?
Avant de se concentrer sur les ADF, la Fondation Bridgeway a joué un rôle important dans la lutte contre l'Armée de Résistance du Seigneur de Joseph Kony en Ouganda, en RDC, en République centrafricaine et au Sud-Soudan. Au cours de ce projet, notre équipe a élaboré et mis en œuvre des campagnes de sensibilisation, des messages de défection et d'autres mécanismes qui ont encouragé plus de 800 combattants de la LRA à se rendre. Près de 800 civils ont été tués par la LRA l'année précédente. Bien que Joseph Kony soit toujours en liberté, ces efforts ont contribué à réduire considérablement les effectifs de la LRA, ce qui a permis de réduire de manière significative le degré de violence que la LRA a pu infliger aux communautés locales dans les quatre pays.
Les communautés locales, pour la plupart victimes des atrocités des ADF, ont-elles un rôle important à jouer pour la réussite de cette campagne ? Que doivent-elles faire?
Cette campagne ne peut fonctionner sans la participation des communautés locales. Sans les communautés locales, les combattants qui ne souhaitent plus faire partie des ADF ne peuvent pas se rendre et continueront à se battre avec le groupe. Les combattants de l'ADF ne peuvent pas se rendre si les communautés locales ne sont pas prêtes à les accueillir, à coopérer avec les autorités pour les traiter et à réintégrer les anciens combattants de l'ADF et les otages qui retournent dans leurs foyers et leurs familles. Heureusement, de nombreux membres des communautés locales ont accompli un travail remarquable en établissant ces itinéraires de défection, en s'occupant des évadés et en les ramenant à leurs familles. Ils ont consacré beaucoup de temps et d'efforts à la mise en place de cette campagne et ont fait preuve de bravoure et de dévouement pour ramener la paix dans la région. Il est également crucial d'éduquer les communautés locales sur les réalités de l'ADF en tant qu'organisation terroriste islamiste, de lutter contre la diffusion de fausses informations et de théories du complot et de s'assurer que les communautés locales et les forces de sécurité comprennent la nature de la menace de l'ADF. Si l'ADF attaque les communautés locales, elle dispose également de réseaux d'espions et de collaborateurs, que certains ne savent même pas qu'ils travaillent pour l'ADF. La sensibilisation du public est la première étape pour empêcher les ADF d'exploiter les idées fausses du public, et c'est un élément crucial pour empêcher les ADF de reconstruire leur capacité de violence.
Existe-t-il une coordination avec les gouvernements ougandais et congolais, ou avec leurs armées qui mènent des opérations conjointes contre les ADF dans l’est du Congo?
Les gouvernements congolais et ougandais ont tous deux soutenu les efforts de la Fondation Bridgeway au cours de cette campagne, mais la Fondation Bridgeway n'est impliquée dans aucune opération militaire menée par l'un ou l'autre pays. Les efforts de la Fondation Bridgeway pour encourager les combattants de l'ADF à se rendre permettent de retirer les combattants de l'ADF du champ de bataille sans violence, ce qui, nous l'espérons, réduira la capacité de l'ADF à poursuivre sa campagne de violence. Cela contribuera à prévenir les attaques contre les communautés locales et facilitera la tâche des armées congolaise et ougandaise dans leur lutte contre les ADF. Les deux gouvernements ont approuvé notre campagne et offert leur coopération pour la rendre possible.
Depuis le lancement de la campagne, y a-t-il une lueur d'espoir?
Depuis le début de la campagne, plus de 350 combattants et otages ont réussi à échapper aux ADF. Des dizaines d'entre eux sont rentrés chez eux et ont retrouvé leurs familles. Des dizaines de personnes ont bénéficié d'un traitement psychosocial et d'un soutien à la déradicalisation pour s'assurer qu'elles pourront mener une vie saine et productive lorsqu'elles rentreront chez elles. Bien que nous espérions poursuivre notre campagne et augmenter ce nombre, il représente à lui seul plus de 14 % de l'effectif total de l'ADF. Cela signifie que 14% des ADF ne sont plus sur le champ de bataille, ne mènent plus d'attaques contre les communautés locales et ne sont plus des opposants aux armées ougandaise et congolaise. Bien que nous ne nous fassions pas d'illusions sur le fait que les ADF resteront une menace mortelle, nous pensons que les premiers succès de la campagne peuvent être renforcés et étendus. En continuant à travailler dur, nous pensons que la paix peut s'installer dans les communautés locales de Beni, Irumu et Mambasa, qui en sont privées depuis si longtemps.
Propos recueillis par Claude Sengenya