De l’inventaire des groupes armés actifs dans l’Est de la RDC, aux préparatifs des IX Jeux de la Francophonie, en passant par les déclarations de Paul Kagame au Benin, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l'actualité. Annie Matundu Mbambi passe en revue chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Annie Matundu et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de vos activités ?
Annie Matundu : Je viens de terminer ma mandature après 15 ans à la tête de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF) section RDC. Cela a eu lieu après les élections organisées au cours de la troisième assemblée générale. C'est Madame Lisette Mavungu qui m'a succédé. WILPF RDC est la toute première branche de cette organisation en Afrique. Je suis actuellement membre du Conseil d’administration et j’ai été élue Représentante régionale au niveau du continent. Je coordonne les 20 sections créées.
252 groupes armés locaux et 14 étrangers présents et actifs dans cinq provinces de l’Est, tel est le résultat de l’inventaire réalisé par le P-DDRCS. Que faut-il, selon vous, pour réussir ce projet de désarmement ?
Annie Matundu : je suis contente de constater que ce programme devient opérationnel. Le nombre des groupes armés en RDC ne cesse d’augmenter. Les récentes statistiques délivrées par le Baromètre sécuritaire du Kivu, parlaient de 122 groupes armés qui opéraient dans les provinces du Nord et Sud-Kivu, de l’Ituri et du Tanganyika. Je crois à présent qu’il faut que les opérations de paix des Nations Unies qui sont partenaires des institutions nationales et qui mettent en œuvre des initiatives de démobilisation, désarmement et réintégration par la conception des programmes adaptés au contexte pour les membres des groupes armés, devraient travailler en collaboration avec le P-DDRCS. Il faut retirer les armes des mains des miliciens en les aidant à se réintégrer en tant que civils dans la société. Les processus de DDR visent à soutenir les anciens combattants et les personnes associées aux groupes armés afin qu'ils puissent participer activement au processus de paix. C'est l'unique alternative qui leur permet de se joindre aux services de l'Etat. On ne dit pas qu'il faut les intégrer dans l'armée régulière mais il faut régulariser leur statut et assurer un lien étroit entre le DDR et la réforme du secteur de la sécurité.
En visite au Bénin, Paul Kagame a affirmé, pour justifier la crise actuelle, que des terres appartenant au Rwanda auraient été données à la RDC pendant la colonisation. Au Sénégal, lors de la conférence organisée à l'occasion de la journée nationale des héros du Rwanda, un ministre rwandais a tenu le même discours. Comment analysez-vous ces propos ?
Annie Matundu : je considère cela comme des polémiques. D'ailleurs, certains médias les ont également qualifiés de polémique. Si ces propos étaient tenus par une femme, je crois que le jugement aurait été assez fort, car Paul Kagame continue d’envenimer la situation au moment où des efforts de paix sont déployés à plusieurs niveaux. Le Chef de l’Etat, le ministre de la Communication et même les explications du Professeur Ndaywel ont été très claires, y compris l'intervention du Roi des Belges. L'histoire ne trompe pas. Paul Kagame devrait se rapprocher des historiens qui maîtrisent l'histoire de la RDC pour qu'il sache situer ses propos très polémiques.
Le gouvernement Congolais a répondu en appelant Kagame au respect de la feuille de route de Nairobi ainsi qu’à cesser son soutien au M23. Trouvez-vous cette réponse suffisante ?
Annie Matundu : nous aimerions que les femmes soient intégrées dans le processus de Nairobi. Nous avons tant revendiquer la prise en considération de l'inclusion des femmes. Si la guerre est l'industrie des hommes, que la paix soit l'industrie des femmes, dit-on. Il faut que les femmes soient réellement intégrées dans tout ce processus de Nairobi pour qu'elles puissent apporter des besoins spécifiques. En temps de guerre ou de conflit, l'histoire renseigne que les négociations sur la paix ont été principalement des processus inclusifs impliquant les acteurs politiques et militaires de lutte tandis que les femmes ont été ignorées. Et donc, le processus de Nairobi devrait impliquer des femmes pour qu'elles apportent aussi leur expertise dans les conflits qui se passent dans l'est de la RDC.
A Rutshuru, certains habitants sont retournés dans leurs milieux pour fuir la famine qui frappe les camps de déplacés. En plus d’assurer la sécurité de ces camps, que faut-il pour éradiquer la famine ?
Annie Matundu : un constat général se dégage de cette situation, certaines familles congolaises sont exilées dans leur propre pays. A cause de la guerre, la population se trouve obligée de quitter ses lieux d'habitation. J'encourage le gouvernement et les associations humanitaires à faire une planification pour pourvoir à leurs besoins élémentaires. Nous ne pouvons que soutenir ce retour des populations de Rutshuru.
Le premier ministre a signé deux décrets portant suspension de la perception de la TVA jusqu'au 31 décembre 2023 sur les produits de première nécessité ainsi qu’à l'importation et à la vente de certains biens dans les domaines de la cimenterie et de l'immobilier. Pour s'assurer de la mise en œuvre de ces décisions, que recommandez-vous ?
Annie Matundu : si cette décision est bien suivie, la population en sera vraiment bénéficiaire. Les études de planification économique renseignent qu'une suspension de la TVA ne profite pas qu'aux consommateurs. Souvent cette réduction reste dans la poche du distributeur et non dans le panier de la ménagère. Il faut qu'un travail de suivi soit réalisé, surtout au niveau du ministère de l'économie pour savoir si réellement la suspension de la TVA profite à la population. (...) Si l'Etat veut réellement aider la population, l'une des voies importantes sera d'augmenter les salaires des agents de l'Etat. Je crois que de cette façon, on pourra voir qu'avec la suspension de la TVA, la population bénéficie aussi. Le ministre de l'économie devrait veiller à sa mise en œuvre.
Un nouveau cas de féminicide a été signalé à Goma cette semaine. L’année dernière, le réseau interprovincial des Femmes défenseures des droits des femmes avait indiqué que plus d’une dizaine des femmes ont été tuées par leurs partenaires conjugaux au Nord et au Sud-Kivu de janvier à novembre. Quelle riposte face à ce fléau ?
Annie Matundu : le taux de féminicide en RDC tend à s'augmenter. Pourtant, l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies en ce qui concerne les violences basées sur le genre avait recommandé à chaque pays d'établir un mécanisme de surveillance des cas de féminicide ou l'Observatoire relatif aux meurtres des femmes et jeunes filles sur la base du genre. Nous devons accorder une attention particulière à ce sujet à travers la collecte des données au niveau national et local. Cela va nous permettre d'élaborer des politiques préventives. Je demanderai aux organisations des femmes de poursuivre la collecte des données. Des mesures coercitives ont été prises au niveau régional mais, en RDC, il n'existe ni loi, ni sanction sur l'éradication des meurtres des femmes et des filles par leurs partenaires.
En sport, dans le cadre des IX èmes Jeux de la Francophonie, les sportifs approchés par ACTUALITÉ.CD ont exprimé leur inquiétude de voir le pays se mobiliser en termes d’infrastructures et nullement en investissant dans la préparation de ses athlètes. Vos propositions à ce sujet ?
Annie Matundu : nous avons vu notre équipe nationale se faire éliminer dans la course pour la Coupe du monde à cause notamment de l'impréparation. L'arrivée de Monsieur François Kabulo à la tête de ce ministère suscite de l'espoir. Il faut un binôme préparation des infrastructures et préparation des athlètes. C'est la RDC qui accueille tous les acteurs internationaux et elle doit être à la hauteur de ces jeux. Je crois que le ministre des sports va s'y atteler. Il va falloir également tenir compte des femmes sportives lors de ces compétitions. Les équipes féminines ne devraient pas être oubliées tant dans la préparation que dans la participation.
Au niveau continental, le Rwanda a promis un soutien militaire au Bénin face aux djihadistes. Quel est votre avis sur cette proposition du Rwanda ?
Annie Matundu : le Bénin, le Togo, la Côte d'Ivoire ont déjà subi des attaques dans leurs régions frontalières, attaques attribuées aux jihadistes. C'est quand-même dommage de voir que le continent africain est voué à la guerre plutôt qu'au développement. J'aurais préféré entendre qu'il y ait une coopération économique et non militaire, parce que le Rwanda investit assez dans les coopérations militaires et rarement dans l'économie. Or, tout ce que nous dépensons en Afrique pour les armements devrait permettre de développer l'économie. Je crois que si le Rwanda continue sur cette lancée, ce pays risque d'être considéré comme un pays qui se charge de prendre des initiatives de guerre plutôt que des décisions de paix au niveau des frontières. Le Rwanda doit changer sa politique pour s'associer au développement de l'Afrique.
A 10 mois de la Présidentielle, une coalition d'opposition d'une centaine d'organisations politiques et de la société civile s'est formée à Dakar pour empêcher un éventuel troisième mandat au président Macky Sall. Que faudra-t-il pour aboutir à des élections apaisées ?
Annie Matundu : je pense que pour réussir la tenue des élections apaisées, les institutions publiques, la société civile, les partis politiques doivent exercer leurs fonctions en toute liberté, en respectant les lois qui s'imposent.
A l’international, dans le Kansas (Etats-Unis), Ralph Yarl, un adolescent noir, a reçu deux balles, dont une à la tête, après avoir sonné par erreur chez un homme blanc de 85 ans. Comment mettre fin aux fusillades régulières contre les Afro américains selon vous ?
Annie Matundu : ce cas interpelle à nouveau sur le respect des droits humains. Si la démocratie était réelle aux États-Unis, les droits de l'homme auraient pu être respectés. Nous avons encore en mémoire la mort de George Floyd suite à la brutalité policière aux USA. Il faudrait à présent se poser les bonnes questions pour réduire la violence armée dans le monde. C'est un problème important et préoccupant. Nous qui travaillons dans le secteur de la sécurité, nous élaborons des stratégies et réalisons des études pour démilitariser l'être humain.
Un dernier mot ?
Annie Matundu : nous voulons la paix pour notre peuple, la paix pour l'Afrique. Cette paix sera réelle dans la mesure où toutes les nations et tous les acteurs travaillent pour cette finalité. C'est la voie idéale pour que l'Afrique se développe. Il nous faut également un dialogue sincère pour régler tous les problèmes que nous connaissons. Merci beaucoup.
Propos recueillis par Prisca Lokale