RDC-environnement : «nous devons clairement définir ce que nous apportons dans la lutte contre le changement climatique et poser nos conditions », Dignité Bwiza

Photo/ Droits tiers
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Spécialiste en droit de l’environnement, Dignité Bwiza Visser a mis en place un cabinet qui se propose d’apporter une expertise technique environnementale à tous les acteurs présents sur le sol congolais. Dans cet entretien qu'elle a accordé au Desk Femme d'Actualité.cd, elle revient sur les grands axes de son travail. 

Bonjour Madame Bwiza Dignité. Vous êtes avocate, spécialisée en droit de l'environnement. Qu’est ce qui a motivé vos choix vers ce domaine ? 

Dignité Bwiza Visser : Bonjour Desk Femme.  Il n’y a aucune raison spécifique qui m’a poussé à faire des études doctorales en droit international environnemental. Je pense que l’intérêt envers l’environnement, je l’ai hérité de ma mère qui avait la main verte.Il y avait des plantes partout dans la maison où j'ai grandi et les samedis tous les enfants aidaient ma mère et le jardinier à entretenir le jardin. Quelle que soit la situation économique ou sécuritaire, ma mère trouvait toujours le temps et les ressources pour entretenir les plantes dans la maison et aux alentours. Je crois que cela est inconsciemment à la base de mon intérêt pour l’environnement. 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours dans le secteur de l’environnement ? 

Dignité Bwiza Visser : jusqu’en décembre 2018, ma carrière professionnelle était axée sur le droit pénal international et le droit humanitaire. J’ai passé onze ans à travailler avec des ONGs internationales et le système des Nations unies, en RD Congo et au niveau international. Les cinq (5) dernières années de cette phase, je les ai passées comme avocate dans des équipes de défense à la Cour Pénale internationale à La Haye aux Pays-Bas. En 2019, j’ai pris la résolution de réorienter ma carrière professionnelle à temps plein vers la protection de l’environnement en RD Congo. Au mois de février, j’ai ouvert Heshimia Mazingira, un bureau d’études spécialisé dans les questions environnementales.

En langue Swahili, Heshimia signifie « respect » et Mazingira  signifie « environnement ». Le nom du bureau signifie donc « respectons l’environnement », un appel adressé à chacun de nous – quel que soit notre secteur de travail ou les ressources qui sont à notre disposition – à respecter l’environnement. Nos bureaux sont installés dans 5 Provinces de la RD Congo (Ituri, Nord-Kivu, Haut-Katanga, Lualaba et Kinshasa). Heshimia Mazingira offre 3 types de services dans le secteur environnemental : (1) la rédaction d’études environnementales [EES, PGES, PAR, Plan d’urgence, etc.], (2) la gestion des déchets domestiques et industriel non-toxiques, (3) les activités environnementales connexes pour les entreprises et l’Etat congolais (reboisement, remise en état environnemental des sites, etc.).

Je gère le bureau d’études Heshimia Mazingira, tout en proposant mes services d’avocat spécialisé en droit de l’environnement aux entreprises qui ont besoin d’expertise à travers le cabinet d’avocat Bwiza&Associates. Le cabinet dispense aussi des formations  sur le droit environnemental congolais.

Enfin, depuis 2020, j’ai entrepris d’écrire et de publier des livres à caractère scientifique dans le secteur de l’environnement. Ainsi en décembre 2020 j’ai publié le « Dictionnaire essentiel des infractions environnementales en RD Congo ». En août 2021 j’ai publié le « Guide environnemental des entreprises opérant en RD Congo ». En novembre 2022, j’ai publié « Procédure pénale environnementale en RD Congo ». Plus d’informations sur ces livres sont disponibles sur le site internet www.bwiza.cd   

Vous avez travaillé avec des ONG des Nations Unies en tant qu’expert juriste sur les questions liées à l’environnement. Pouvez-vous revenir sur ce chapitre de votre carrière ? 

Dignité Bwiza Visser : les services que proposent le bureau d’études Heshimia Mazingira et le cabinet Bwiza&Associates sont ouverts à tous sans limites.  Certaines provinces ont recours à notre expertise pour des consultances environnementales diverses. Des entreprises du secteur privé ont aussi recours à nous pour leur mise en conformité environnementale. Des ONGs internationales et les Nations Unies font aussi recours à nos services. En 2022 par exemple, nous avons apporté notre expertise à l’ONUDC (Office des Nations unies contre le crime et la drogue) pour la rédaction de la politique nationale de la RD Congo sur la lutte contre la criminalité faunique et forestière. 

Quel est votre avis sur le respect du droit de l'environnement, la santé et la sécurité environnementale en RDC et comment améliorer cela ? 

Dignité Bwiza Visser : à ce jour, la question de la protection de l’environnement et du respect du droit y relatif en RD Congo est complexe.  En commençant par les aspects positifs, il est important de noter  ces deux points principaux : 

Premièrement : depuis les 3 dernières années, les questions environnementales deviennent de plus en plus des questions d’actualité, d’intérêt et d’urgence nationale en RD Congo.  Il y a lieu de se féliciter de cela puisque pendant des années les questions environnementales n’étaient pas considérées comme telles. L’intérêt national grandissant envers ce secteur aboutira certainement à des solutions durables.   Deuxièmement : bien que timide, il y a une croissance du nombre d’entreprises et ONGs congolaises qui s’investissent dans le secteur de l’environnement. Ceci est un point positif puisque plus il y aura d’intervenants congolais  dans le secteur de l’environnement, plus nous aurons la  possibilité de déterminer les problèmes environnementaux auxquels  la RD Congo fait face et trouver ensemble une solution appropriée à notre contexte. En termes de faiblesses, les 3 principaux obstacles à la protection de l’environnement en RD Congo sont :

1.    L’absence d’un diagnostic clair et complet de la situation environnementale de la RD Congo. Les problèmes environnementaux auxquels la RD Congo fait face ne sont pas définis de manière complète et sous tous les angles. Certes, durant les dernières années, quelques ONGs locales et internationales ont publié des rapports épars et limités dans l’espace et dans le temps. mais ceux-ci sont par moment controversés et sont loin de refléter la situation complète qui prévaut sur le terrain, les obstacles ou les besoins réels dudit secteur. 

2.    Manque de statistiques nationales environnementales : nous n’avons pas encore un aperçu national  et complet des problèmes, forces et faiblesses du secteur environnemental en RD Congo. Il nous manque des statistiques nationales environnementales mises à jour, qui nous serviront de repère pour évaluer chaque année si nous avons avancé, si nous avons régressé ou si nous sommes restés au même niveau. En parlant du droit environnemental, savez-vous qu’aujourd’hui il est impossible d’indiquer avec certitude combien de crimes environnementaux ont été commis chaque année, combien de personnes ont été arrêtées, condamnées ou libérées dans des dossiers de crime environnemental ? Avec cet exemple, comment pouvons-nous améliorer la situation si nous ne savons pas ce qui ne va pas et à quel point cela ne marche pas ?

3.    Le dernier obstacle important selon moi est la connaissance limitée des questions environnementales par les acteurs congolais. La réalité est que même au niveau international, les questions environnementales sont relativement nouvelles et peu connues. Alors que certains pays ont su communiquer très rapidement et arriver à éduquer leurs populations sur les questions environnementales. La RD Congo a très peu investi dans la sensibilisation de sa population sur les questions environnementales. Or, ce n’est que la connaissance et l’information complète qui  aboutira à une vraie lutte contre le changement climatique.  

La RDC se propose comme pays solution face aux défis climatiques auxquels le monde est confronté actuellement. Dans le domaine du droit environnemental, comment la RDC peut-elle encadrer les initiatives qui s’offrent à elle ? 

Dignité Bwiza Visser : la place de la RD Congo dans la lutte contre le changement climatique est de notoriété globale à cause de son capital environnemental (ressources minières, forêts, eaux, potentiel énergétique solaire, etc.). La RD Congo est en effet l’un des pays solution face aux défis climatiques.  Cependant, cette position requiert énormément de travail à effectuer en interne pour définir  exactement notre place et notre rôle dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Nous devons clairement définir ce que nous apportons dans la lutte contre le changement climatique (en chiffres,  estimer le coût, la durée, etc.) et poser nos conditions. 

Je vous donne un exemple  concret : en février 2023, les pays européens ont pris la résolution d’interdire la vente de voitures neuves utilisant l’essence et le diesel dans l'Union européenne à partir de 2035. C’est à dire qu’à partir de 2035, les entreprises qui fabriquent des véhicules sur le territoire européen ne pourront plus produire que des véhicules électriques. 

Cette décision a été prise dans le  contexte de ce qui s’appelle « la transition écologique » qui consiste en des efforts à fournir par chaque pays pour réduire la pollution (l’émission de gaz à effet de serre). Les véhicules électriques sont censés produire 55% de pollution en moins que les véhicules qui utilisent l’essence et le diesel. C'est la raison pour laquelle cette décision a été prise. Le lithium et le cobalt sont essentiels dans la fabrication de véhicules électriques, et la RD Congo est riche de ces deux éléments. Ceci implique que la RD Congo jouera nécessairement un  rôle important dans l’atteinte de l’objectif mondial de transition écologique. 

Malheureusement, à ce jour la RD Congo ne communique pas sur le rôle qu’elle compte jouer dans la transition écologique, malgré ses grandes réserves en lithium et en cobalt. C’est là un exemple de la place de la R Congo comme pays solution dans la lutte contre le changement climatique et ce besoin de définir clairement comment notre pays apportera ces solutions. 

Au niveau des communautés de la RDC, quelles sont les dispositions à prendre pour qu’elles participent également à la protection de l’environnement ? 

Dignité Bwiza Visser : je dirais tout d’abord que les communautés locales congolaises ont par nature un rôle important dans la protection de l’environnement.  Quelles que soient les décisions et les lois qui seront prises à Kinshasa par les autorités nationales ou en province par les autorités provinciales, ce sont principalement les paysans/villageois, les pygmées et les chefs coutumiers du fin fond des provinces de la RD Congo qui vont les appliquer et rendre effective la protection de l’environnement.

Je suis de l’avis que pour permettre aux communautés locales congolaises de participer effectivement à la protection de l’environnement, il faudrait agir en deux phases. La première consiste à commencer par reconnaître ce qui est déjà en train d’être fait par les communautés locales congolaises pour la protection de l’environnement. Ensuite, il faudrait réviser les lois environnementales congolaises sur plusieurs aspects (entre autres adopter des lois appropriées au contexte congolais et donner plus de place, reconnaitre les us et coutumes congolais qui sont avantageux pour l’environnement et restaurer, renforcer le pouvoir des autorités coutumières dans la gestion de l’environnement). Il faudrait par ailleurs, allouer des fonds suffisants pour installer des mécanismes environnementaux dans tous les coins de la RD Congo, en commençant par les lieux les plus reculés (chefferies, territoires, etc).  

Quelles sont vos perspectives pour les 10 prochaines années en tant que responsable de Bwiza & Associates ? 

Dignité Bwiza Visser : malgré les nombreux obstacles actuels du secteur de l’environnement en RD Congo, je suis optimiste. La mission de Heshimia Mazingira est d'apporter une expertise technique environnementale à tous les acteurs présents sur le sol congolais. Nous avons commencé il y a 3 ans, nous allons continuer à le faire sur les 10 années à venir, et étendre nos services partout en RD Congo. Notre objectif au 30 novembre 2025 est d’apporter notre expertise technique à 20% (vingt pour cent) des acteurs présents sur le sol congolais. Cet objectif sera revu à son expiration, ce qui est sûr, c’est que nous sommes là pour rester.

La mission de Bwiza & Associates est de « traduire les termes juridiques complexes du droit congolais environnemental en termes simples, faciles et compressibles par tous, et de les transformer en des actions du quotidien pour chaque congolais». C’est ce que nous faisons depuis, et nous allons continuer pendant les 10 prochaines années. 

Un dernier mot ?

Dignité Bwiza Visser : je voudrais conclure sur ce fait, la protection de l’environnement en RD Congo est possible, nous allons y arriver, c’est une affaire de tous les congolais. Nous devons le faire à notre manière (parce que le contexte congolais est complexe), nous devons le faire tous ensemble (chaque congolais doit s’impliquer personnellement quel que soit ses moyens physiques, financiers et intellectuels). Et nous devons prendre le temps nécessaire (puisque la protection de l’environnement prend du temps). 

Propos recueillis par Prisca Lokale