RDC: Crise humanitaire persistante, mobilisation des fonds, prise en charge des déplacés… Interview exclusive avec Joyce Cleopa Msuya, Sous SG de l’ONU 

Joyce Cleopa Msuya, Sous SG ONU aux affaires humanitaires et coordonnatrice adjointe des secours d’urgence
Joyce Cleopa Msuya, Sous SG ONU aux affaires humanitaires et coordonnatrice adjointe des secours d’urgence

La sous-secrétaire de l’ONU aux affaires humanitaires et coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, Joyce Cleopa Msuya a séjourné durant une semaine en République démocratique du Congo. Le pays est confronté à une grave crise humanitaire depuis des décennies à cause des guerres incessantes, principalement dans sa partie orientale. Mme Msuya a évalué les actions humanitaires sur le terrain et a promis de mener un plaidoyer en faveur de l’aide aux nécessiteux. ACTUALITE.CD l’a interrogée en exclusivité. 

Interview

La RDC fait face à une crise humanitaire qui date des décennies, à la suite des guerres interminables. Quel est le grand problème (priorité) humanitaire aujourd'hui et que fait l'ONU pour aider les victimes ?

Merci beaucoup pour cette belle question. C’est vrai que la RDC a des défis dont la plupart sont causés par le changement climatique mais surtout l’insécurité dans l’Est qui pousse de nombreuses personnes à se déplacer de leurs milieux. Nous les Nations unies ainsi que d’autres partenaires, notre travail consiste à sauver les vies. Nous aidons par exemple les déplacés que j’ai vus provenir de Sake à Goma pour qu’ils aient où dormir. Nous sommes en RDC depuis plus de 20 ans, et en venant ici je pensais me rendre à l’Est du pays pour voir la situation de mes propres yeux, mais malheureusement cela n’a pas été possible.

Qu'est-ce qui explique la difficulté de mobilisation des fonds destinés à l'aide humanitaire en RDC. La crise a-t-elle tellement duré jusqu'à ne plus intéresser la communauté internationale ? Pourquoi l'inattention ?

Je voudrais dire qu’aux Nations Unies, les problèmes de la RDC ne sont pas oubliés. C’est pourquoi je suis ici et je suis venue avec le bailleur USAID depuis une semaine. Je voudrais dire que nous n’avons pas oublié, pourquoi ? Parce que la crise humanitaire en RDC est la troisième plus grande au monde après l'Afghanistan et l'Ethiopie parce qu’il y a actuellement 26 millions de personnes qui ont besoin d’assistance. Et nous en tant que communauté internationale et les ONGs, nous ne pouvons qu’assister 10 millions. C’est ainsi que vous pouvez penser que plus de 15 millions de personnes ne peuvent pas bénéficier de l’aide, et ça c’est seulement en chiffres. Autre chose, c’est en rapport avec le financement. Plusieurs pays au monde ont besoin de l’aide. Nous avons vu par exemple en Syrie et Turquie, les gens sont morts des suites du séisme. Je suis ici mais mon chef est allé en Syrie et il nous faut mobiliser les bailleurs pour avoir de l'argent. Il y a dix jours j’étais au Niger, au Sahel il y a des problèmes, Ukraine, Somalie dans le corne d’Afrique,… Je pense qu’au monde l’enveloppe pour l’assistance n’a pas changé mais le nombre des pays et des personnes nécessiteux est de loin supérieur. C’est ça le problème. Je suis contente de m’avoir accordé cette opportunité de parler, c’est aussi l’importance de montrer qu’en RDC il y a des problèmes, mais aussi quand je vais rentrer à New York, que je dise à mes collaborateurs qu’en RDC d’où je viens, les choses ne sont pas bonnes, nous devons continuer d’aider.

Dans l'Est il y a un phénomène qui semble être oublié: des guerres notamment celle des ADF occasionnent des malades mentaux dans les rangs des rescapés d'attaques, et les structures de prise en charge neuropsychiatrique manquent de tout, obligeant les victimes à financer leurs soins. Que peut faire l'ONU pour ces genres de cas ?

Si vous regardez les défis ici au pays, la crise humanitaire dure depuis plus de 20 ans. Imaginez un enfant naître et grandir dans cette situation, il a 20 ans et plus, il est habitué à vivre de l’assistance dans un camp des déplacés. Dans la communauté humanitaire, il y a des ONGs qui apportent des conseils aux enfants, des denrées alimentaires aux femmes et aux enfants. Mais j’aimerais revenir en arrière. Actuellement nous avons 26 millions de personnes qui ont besoin d'aide. Nous, en tant que communauté des Nations unies et les ONGs, nous pouvons qu’aider 10 millions. Ce qui me rend triste est que nous ne pouvons pas aider tous, mais nous n’allons pas non plus nous décourager parce que nous avons des travailleurs. Par exemple OCHA, notre bureau [de Kinshasa, Ndlr] est l’un des plus grands avec 175 agents et la plupart se trouvent dans l’Est du pays. Et beaucoup se sacrifient pour le bien-être des autres, nous n’allons pas nous décourager.

Aujourd'hui Goma est le centre de gravitation des actions humanitaires du pays. La ville est coupée du reste de la province suite à l'avancée des rebelles du M23 ? Ne craignez-vous pas que cela affecte l'assistance en faveur des nécessiteux ?

Je regrette que durant mon séjour d’une semaine ici, je ne suis pas partie à Goma pour voir moi-même comment les gens sont blessés, pour que je recueille leurs désidératas afin que je transmette leur message à l’extérieur. Mais nos collègues sont à Goma, ils n’ont pas quitté la ville. Ils comptent sur d'autres pour partir la semaine prochaine si la sécurité le permet. Ce que je veux dire est que si les gens décident de faire ce travail, c’est parce qu’ils veulent aider les autres. Je regrette de ne pas aller à Goma, mais si Dieu le veut, je vais revenir.

Au moins 42 décès ont été signalés dans le site des déplacés de Kanyabayonga, selon la société civile locale suite aux mauvaises conditions de vie des déplacés fuyant  la guerre du M23, 10 autres déplacés ont trouvé la mort dans les sites de déplacés à Oicha, à cause de la rougeole, qu’est-ce que l’ONU prévoit pour améliorer les conditions de vie des déplacés dans le Nord-Kivu ?

Au Nord-Kivu, il n’y a pas que nous les Nations Unies, il y a aussi les ONGs internationales et nationales qui travaillent. Dans la communauté des Nations Unies, il y a des organisations sanitaires. Il y a l’OMS, nous avons UNFPA qui s’occupe du planning familial. Si j’y allais, j’allais vous dire qu’est-ce que nous avons fait exactement. L’une des choses que j’allais faire était de visiter un centre de prise en charge des cas de choléra. USAID a financé la construction d’un centre de prise en charge des cas de choléra et les déplacés. Nous allons continuer le travail, c’est pourquoi c’était important que je sois ici à Kinshasa pour apporter le message afin que nous trouvions plus de moyens pour aider les nécessiteux. J’ai échangé avec les autorités pour voir comment ouvrir la route pour permettre d’apporter de l’aide aux déplacés parce qu’ils sont vraiment nombreux.

A la suite de la guerre du M23, il y a peu, le président Rwandais a menacé de ne plus accueillir les réfugiés congolais qui lui causeraient, d'après lui, autant de problèmes. Que pense l'ONU ?

Cette question concerne le Rwanda, je pense qu’au nom des Nations Unies je ne saurai pas dire il parlait de quoi. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a dit « la paix est la fondation de nos activités humanitaires ». Ce que nous demandons c’est la paix et rien que la paix. Ce qui est dit par les dirigeants des pays, laissons aux politiques.

Interview réalisée par Patrick Maki