Depuis Beni, des anciennes otages des ADF en appellent au Pape François 

Une ex otage des ADF et son bébé eu avec un combattant
Une ex otage des ADF et son bébé eu avec un combattant

A Beni, d’anciennes otages, transformées en esclaves sexuelles par les rebelles d’Allied Democratic Forces (ADF), sont trop souvent discriminées, alors qu’elles sont traumatisées par les violences qu’elles ont subies et délaissées par le gouvernement. Elles en appellent au Pape François pour les aider à s’intégrer dans leurs communautés qui les rejettent.  Ce mercredi après-midi, le Souverain pontife va recevoir des victimes de l’Est du pays. ACTUALITÉ.CD a choisi de faire entendre les voix de celles qui n’ont pas pu être du voyage.

Florence, visage émacié, son bébé dans les bras, peine à sourire. « Voici l’enfant que j’ai eu en brousse avec l’ADF, il va bientôt totaliser une année. Mais il est malade pour le moment et je n’ai pas l’argent pour lui acheter de médicament ». C’est dans une pièce du bureau de l’Etat avec des portes fermées qu’elle a accepté de nous parler. Sa maison se trouve non loin de là, mais elle a refusé de nous accueillir dans sa parcelle pour éviter d’attirer la curiosité des voisins. Florence est un nom d’emprunt, elle préfère cacher sa véritable identité pour ne pas subir de nouvelles discriminations. 

Cette ancienne otage des rebelles ADF revit en boucle le traumatisme de ses 5 ans de captivité : « J’ai été  enlevée dans notre palmeraie. Ce jour-là, nous étions en train de préparer les noix de palme qu’on allait acheminer au moulin », murmure-t-elle, tourmentée à l’idée de revenir sur son histoire tragique. « J’étais avec ma famille dont mes deux petits frères et mes parents. Pendant que j’allaitais mon bébé, l’ADF nous avait surpris. Toute ma famille avait réussi à s’échapper sauf moi parce que j’avais un nourrisson. En cours de route, j’avais reconnu le cadavre de ma tante qui venait d’être massacrée ».

Florence se rappelle amèrement du jour de son enlèvement, elle n’avait que 20 ans : « On avait parcouru un long chemin jusqu’à dormir un jour en route. C’est le lendemain que nous étions arrivés à destination, et c’est Saka Baluku, leur chef qui m’avait accueilli. Après 5 mois passés en brousse, mon bébé est mort, il vomissait et avait de la diarrhée, il n’avait pas résisté au froid en brousse ». 

Pour Florence, les drames se sont enchaînés. Pendant ses cinq années de captivité, de 2018 à novembre 2022, elle a été réduite en esclave sexuelle :  « Les ADF m’avait donné  un autre mari du nom de Paluku Umari ». Par pudeur, elle n’en dira pas plus sur son calvaire. « J’avais beaucoup souffert en brousse avant d’être libérée lors des bombardements de l’armée ougandaise et les militaires FARDC qui portaient le passant bleu », se contente-t-elle d’expliquer. La jeune femme a passé plusieurs jours en Ouganda, elle a été interrogée par les services de renseignement de Kampala, intéressés par les informations en sa possession. Une fois l’interrogatoire fini, elle avait été renvoyée du côté congolais de la frontière et abandonnée à son triste sort. 

Aujourd’hui, sans aucune aide psychologique, Florence doit faire face seule à ses traumatismes, le tout aggravé par une précarité à peine soutenable. « Même si je tombe malade, je ne sais pas comment me soigner », explique-t-elle encore.  « Je suis revenue en brousse sans les habits, et pour dormir à la maison, c’est toute une gymnastique. Mes frères passent la nuit au salon et ils me laissent une chambrette ». 

Florence veut exercer une activité génératrice de revenu pour s’occuper malgré tout de l’enfant qu’elle a eu avec un combattant ADF : « Si le Pape peut m’aider, qu’il me donne un petit capital pour que je débute une petite activité comme la vente de tomates ou des oignons afin que mes enfants survivent ». 

Non loin de là, dans la commune voisine d’Oicha, Kanyere aussi ne bénéficie pas de l’assistance du gouvernement congolais. Femme au foyer, elle avait été enlevée alors qu’elle était enceinte. Son état ne l’a pas protégée de ses agresseurs qui l’ont réduite elle aussi en esclave.  A son retour,  son mari l’a abandonné : « il est parti en disant ne pas pouvoir avoir une femme qui a vécu avec les ADF et depuis qu’il est parti, personne ne sait où il est ».  Grâce à une ONG locale, elle passe sa journée dans un atelier de couture. « J’ai besoin d’un coup de main pour m’épanouir. Que ceux qui sont allés rencontrer le pape en notre nom lui disent que nous avons besoin de la paix, que cette guerre des ADF prenne fin pour qu’on soit en mesure de fréquenter nos champs. Nous souffrons beaucoup et on mange difficilement », explique Kanyere.

Il existe des dizaines de femmes, comme Florence et Kanyere, qui vivent avec ce traumatisme et cette précarité et il n’y a que l’ONG  Collectif d’action des femmes pour les vulnérables, qui fait quelque chose pour ces victimes oubliées du conflit. Au jour le jour, cette organisation tente de soulager la souffrance de ces femmes, mais ses moyens sont limités. « Le gouvernement ne les assiste pas. Veiller à la réinsertion des femmes enlevées par les groupes armés est une question qui n’est pas encore prise en charge », dénonce Solange Kasololo, chargée de sensibilisation de l’ONG Collectif d’action des femmes pour les vulnérables. 

Me Pépin Kavota, président de la société civile de Beni, confirme : « Ces ex-otages n’ont  jamais été assistés par le gouvernement ». Pour le numéro 1 des forces vives de la ville, une assistance est nécessaire à double titre, pour lutter contre le traumatisme mais aussi aider à la « déradicalisation ». Il estime que certains otages, cédant à la pression, avaient été radicalisés par les ADF. « Ils ont vu comment les gens sont en train d’être égorgés comme des bêtes »

Yassin Kombi