RDC : « les plus âgés ne veulent pas m’aider sans exiger des attouchements sexuels », Abigaël Nlemvo

Photo/ Actualité.cd
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La campagne des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre (VBG) a débuté depuis onze jours. Elle vise à encourager tous les acteurs à s’impliquer dans la réduction et la prévention de la violence à l’égard des femmes et des filles ainsi que la protection de leurs droits. Le desk femme d'Actualité.cd a rencontré Abigaël Nlemvo, une adolescente qui relate ses premiers moments en tant qu'enfant de la rue dans la capitale kinoise.

Il est 11 heures passées sur la place des artistes du rond-point Victoire (Commune de Kalamu). Dans ce milieu où résonnent musique, klaxons et cris des receveurs, on peut compter une quinzaine d’enfants de la rue (shégués). Un petit groupe s'empoigne...l'élément de discorde n’est pas dévoilé, mais très vite l’équipe réussit à apaiser les mastas sans une intervention des passants. (…) Jupe noire, tricot blanc clairsemé de taches brunes, des babouches, quatre tresses et une peau noire d’ébène, Abigaël, assise sur un banc est la seule jeune fille présente sur le lieu.  « C’est une nouvelle venue. Ça se voit qu’elle ne connaît pas encore le milieu. Cela va faire au moins trois jours que je la vois au même endroit », renseigne l’un des photographes qui propose ses services au même endroit. 

  S’habituer à la vie de la rue

« J’ai 15 ans. Je m’appelle Abigaël Nlemvo. Cela fait au moins 5 jours, depuis que je dors à cet endroit ».

Et de poursuivre, « mon père biologique est à Brazzaville (République du Congo). Je vivais à Kinshasa dans la commune de Makala (voisine de Kalamu) avec ma mère. Elle a trouvé un nouveau papa et a eu deux autres enfants. Ma mère ne travaille pas. Elle quittait la maison très tôt pour rentrer tardivement. (…) La semaine dernière, ils se sont disputés. J’étais dans la maison, papa a commencé à me donner des coups à l’aide d’un malaxeur. Aucune réaction de ma mère.  Il a aussi voulu blesser sa maman avec une lame de rasoir. Le lendemain, il a renvoyé ma mère de la maison et a commencé à me faire des avances. Il disait que ma peau était belle, que je dépassais de loin ma mère en beauté. Il voulait me traîner dans son lit et j’ai refusé. C’est ainsi qu’il m’a aussi mise à la porte, mes deux jeunes frères sont restés ».

Sur la place des artistes, elle a été accueillie par un autre photographe. Abigaël passe sa nuit chez cet homme. Elle se réserve les détails (…). « Le lendemain, il m’a ramenée ici », dit-elle. Les quatre dernières nuits, elle les a passées au stand de vaccination contre le Covid-19.     

Abigaël apprend à s’habituer à sa nouvelle vie dans la rue. « Ici, pour manger, il faut avoir de l’argent. Les plus âgés (hommes shégués expérimentés), ne veulent pas m’aider sans exiger des attouchements sexuels dans la nuit. Moi, je ne veux pas de cela. Quand la nuit tombe, je dors sur cette pelouse artificielle, sous la protection des gardes. Je passe ma journée assise sur le banc, à quémander auprès des passants. Si je réunis au moins 1000 Francs congolais, je peux acheter un jus et un pain. C’est mon repas de la journée. Le matin, je prends ma douche à la station d’essence en face ».

Le nouvel enfer

Vivre désormais dans la rue, être confrontée à ceux qui ont déjà conquis la place des artistes, est aussi une nouvelle vie de violences pour cette adolescente. Dès l’âge de 7 ans, elle a appris à vivre dans un domicile où les violences domestiques étaient « régulières ». 

« Ce jour-là a certainement était celui où je suis partie de la maison de mon parâtre, parce que maman n’y était plus. Mais tous les jours, mon nouveau papa et ma mère n’arrêtaient pas de se battre. Leurs disputes portaient sur la nourriture, une réponse de ma mère ou parce que le papa était en colère. Il leur arrivait d’utiliser des objets tranchants, de se blesser parce qu’ils étaient en colère l’un contre l’autre. Parfois, maman rejetait la faute sur moi. Elle me disait d’aller faire ma vie, de dire que j’étais orpheline des deux parents », poursuit la jeune fille, exhibant une cicatrice de brûlure, allant de sa main droite à l’avant-bras. « Ma mère faisait la cuisine, ils ont commencé à se disputer. La marmite qui contenait une bouillie de maïs au feu, s’est renversée sur ma main, je protégeais mes jeunes frères ».  

Dans la rue, Abigaël n’a été jusque-là approchée par aucun service de l’Etat ou une ONG quelconque. Elle espère trouver une personne capable de l’aider à poursuivre ses études, interrompues en sixième année primaire dans une école de Makala et se dit prête à travailler même en tant qu’aide-ménagère pour trouver des moyens de survie.

Prisca Lokale