RDC: Qui sont les soutiens locaux du nouveau M23?

Le dossier de la rédaction
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Alors que les accusations d’incursions de militaires rwandais se multiplient, ACTUALITE.CD a tenté d’identifier les officiers congolais qui ont rejoint le M23, ses potentiels alliés parmi les groupes armés et de comprendre sa stratégie pour maintenir son emprise sur les territoires occupés.

Le 16 septembre 2013, Kalev Mutond, alors administrateur général de l’Agence nationale des renseignements (ANR) transmet une note au représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies et chef de la Monusco. “Nos services se font l’impérieux devoir de vous transmettre la liste de 78 commandants, assimilés et hommes de troupes du M23 sur un total estimé à plus ou moins 1700 personnes, non éligibles à l’intégration au sein des FARDC”, écrit l’ex-patron des renseignements. Sur cette liste, on retrouve la colonne vertébrale de toutes les rébellions soutenues par le Rwanda, avec en haut de la liste, Bosco Ntaganda, aujourd’hui détenu par la CPI et celui qui a été longtemps son adjoint, Sultani Makenga présenté comme “un ancien sergent de l’armée patriotique rwandaise APR, devenu très actif en RDC, d’abord au RCD puis au CNDP et actuellement chef de la rébellion dénommé M23”.

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M23- les commandants non éligibles au seins des FARDC by Infos Actualite.cd on Scribd

Avec la résurgence du mouvement, ACTUALITE.CD a tenté d’identifier ce qui restait du M23 de 2012 et ses nouveaux soutiens locaux. Sur le terrain, on retrouve très peu d’officiers figurant sur la liste noire de Kalev Mutond. 

L’un des premiers noms à avoir fait surface, le 14 juin, c’est Ernest Sebagenzi, présenté sur le média pro-M23 Goma24 comme un colonel déployé dans la plaine de Cyanzu. Sur la liste de Kalev Mutond, il n’était que lieutenant-colonel. Issu des rangs du RCD, c’est un ancien de la PNC déployé à Goma avant de rejoindre le M23 en 2012. Avec l’ancien secrétaire de Sultani Makenga, Imani Nzenze, un major bombardé colonel, ils sont présentés comme les artisans de la nouvelle offensive du M23, alors que l’armée rwandaise est déjà accusée d’être à la manœuvre dans ces opérations. Le même site publie d’ailleurs dans la même série de tweets une photo de deux militaires présentés comme du M23, devant le bureau de l’OCC à Bunagana. Ils tournent la tête pour cacher leur visage, mais arborent des uniformes complets de l’armée rwandaise qu’on a pu voir également au Mozambique.

En octobre 2022, c’est l’ancien colonel Bernard Byamungu Maheshe qui réapparaît à son tour dans une vidéo du M23 à Bunagana. Ex-RCD, ex-CNDP qui avait été arrêté le 18 avril 2012 dans les montagnes d’Itombwe par les hommes du colonel Mamadou Ndala. Comme les autres figures militaires du M23, il avait fait défection quelques semaines plus tôt de l’armée congolaise, à l’appel du général Bosco Ntaganda, dit Terminator, qui était sous la menace d’un mandat d’arrêt international délivré par la CPI pour des crimes commis en Ituri. Il avait été jugé et condamné à perpétuité le 30 mai 2012 par la cour militaire du Sud-Kivu. Mais il est gracié le 14 mars 2019 par le président Félix Tshisekedi, considéré comme bénéficiaire de la loi d’amnistie de 2014. En septembre 2022, il aurait fui Kinshasa et rejoint le M23.

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L’ex-colonel Bernard Byamungu Maheshe mis en avant dans une vidéo du M23  à Bunagana en octobre 2022.

D’autres officiers n’ont pas été mis en avant par le M23. Mais ils semblent toutefois jouer un rôle très important au sein du groupe armé. L’ex-lieutenant colonel Justin Gacheri Musanga, ex-CNDP, reste très actif au sein du M23, il figurait sur la liste de Kalev Mutond. Il est le fils de Erasto Ntibaturama, figure influente de l’ethnie hutue dans le nord du territoire de Masisi qui avait déjà aidé le CNDP et le M23 à recruter et à accroître son influence dans ce territoire qui est depuis une semaine devenu le théâtre d’affrontements entre le nouveau M23 et les FARDC. 

Au cours de la dernière offensive, le Colonel Gacheri et ses hommes auraient été particulièrement actifs dans les groupements de Kibumba et de Tongo où ils affrontaient et cherchaient à diviser d’autres groupes hutus, les FDLR et les Nyatura. Ils seraient aujourd’hui en train de participer à l’assaut mené autour de Kitchanga. 

Un originaire du Rutshuru, le colonel Richard Bisamaza Kayonde, est aussi de retour dans le M23. Cet ancien du CNDP est très connu au Nord-Kivu pour avoir, pendant un temps, exercé l’intérim au commandement du premier secteur des Forces armées de la RDC (FARDC) à Beni et avoir fait défection en août 2013 pour rejoindre la rébellion sur le point d’être anéantie.

Peu de temps après son entrée sur le sol ougandais, début septembre 2013, selon Radio Okapi, Richard Bisamaza Kayonde avait été arrêté et détenu dans une prison à Kasese, district ougandais frontalier de la région de Beni. Malgré les demandes répétées de Kinshasa, son extradition n’a jamais eu lieu. On ne sait pas quand l’Ouganda a décidé de le libérer, Richard Bisamaza Kayonde a refusé de répondre aux questions d’ACTUALITE.CD sur ce point, mais il ne nie pas son retour au Congo. « En ce qui concerne ma présence au sein du M23, c’est mon choix. Je suis congolais et je suis là pour une cause noble », a-t-il déclaré.

Contrairement à 2012, il n’y a pas eu de grands ralliements d’unités FARDC au M23, ni dans les zones conquises, ni dans les régions limitrophes. Quelques officiers ont rallié la rébellion, parmi lesquels début novembre le commandant de la police à Kitshanga, Désiré Gakufe. “Mais la plupart des autres étaient sans poste et sans troupes, ils avaient été écartés des responsabilités”, explique une source proche du M23.

Ces anciens M23 et déserteurs de l’armée congolaise, on les voit souvent dans les centres des localités occupées. Pour un des rares activistes encore présents dans le territoire de Rutshuru, c’est délibéré. Le militant explique à ACTUALITE.CD que pour dissimuler  “les mercenaires ougandais et rwandais”, le nouveau M23 “préfère” les déployer sur les lignes de fronts et laisser la sécurité des agglomérations déjà conquises aux locaux. C’est aussi ce que pense Jules Mulumba, porte-parole du groupe armé CMC et communicateur de la plateforme des résistants pour la défense de la patrie, une coalition Mai-Mai qui se bat contre le M23 dans le territoire de Rutshuru. Pour lui, cela fait partie d’une stratégie d’ensemble de la rébellion et de ses parrains rwandais et ougandais pour faire durer l’occupation en lui donnant des visages congolais, mais ce n’est pas la seule. “Des groupes comme les nôtres résistent, alors ils cherchent à nous affaiblir en nous divisant, en nous soudoyant et en créant des résistants fictifs”, assure-t-il à ACTUALITE.CD. “Ils nous contactent par l’intermédiaire de leaders de communautés, de certains hauts cadres ou même d’officiers de notre armée pour nous proposer de l’argent pour rejoindre le M23. Car il y en a certains dans la classe politique, les institutions et l’armée, y compris au sein de ma communauté les Hutus, qui sont inféodés à Kigali et même à Kampala”.

Parmi les noms de groupes armés cités comme des alliés du M23, on retrouve les plus improbables à première vue. Des sources militaires congolaises et d’autres proches du M23 évoquent le nom du général autoproclamé Kakule Sikuli dit Lafontaine. Il était l’un des fondateurs du Pareco, l’un des premiers mouvements de résistance à se créer contre le CNDP au lendemain des élections de 2006. Par deux fois au moins, ce dernier avait annoncé sa reddition. Le 4 mai 2020, il annonçait avoir déposé les armes pour « répondre effectivement à l’appel du Chef de l’Etat, son excellence Félix Tshisekedi Tshilombo parce qu’il a au moins le souci de ramener la paix en République démocratique du Congo, particulièrement dans l’Est».

“Lafontaine a été soudoyé, il est allé régulièrement en Ouganda avec Bisamaza (ndlr : du M23), il y avait même des photos de lui qui ont circulé”, dénonce Jules Mulumba de la plateforme des résistants pour la défense de la patrie. “Lafontaine, c’était un vrai résistant. Le problème est que Kabila a récompensé les bourreaux de la République et a délaissé les vrais résistants”. Contacté par ACTUALITE.CD, Lafontaine se défend : “rencontrer ou parler à quelqu’un ne signifie forcément pas une alliance”. “Les gens cherchent à connaître ma position et c’est pourquoi ils m’accusent du n’importe quoi, tantôt d’être allié des FDLR, tantôt du M23, ce qui est impossible”.

Parmi les autres mouvements cités, on retrouve aussi le NDC-Rénové du chef de guerre Guidon Shimiray ou même d’un de ses anciens lieutenants Mapenzi, eux aussi longtemps considérés comme hostiles au Rwanda, mais qui depuis 2015, avaient lancé des offensives sur les positions des FDLR. En 2020, le Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC) avait évoqué dans un entretien sur RFI un soutien de Kigali aux opérations que menaient à l’époque les troupes du NDC renové contre ces rebelles hutus rwandais.

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Dossier de Claude Sengenya et Sonia Rolley