Alors que le monde s’active à éradiquer la maladie du sommeil d’ici l’an 2030, la République Démocratique du Congo (RDC) fait encore face à certains défis pouvant gâcher son succès. Intervenant en sa qualité de chercheur à la Conférence internationale des journalistes scientifiques francophones qui s’est tenue du 10 au 16 octobre dernier à Dakar (Sénégal), le docteur Digas Ngolo Tete, Clinical Project Manager HAT chez DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative) a révélé que la RDC fait face plusieurs défis, entre autres, celui de la formation des acteurs du terrain. Car, a-t-il fait remarquer à ACTUALITE.CD, la plupart d’acteurs congolais « qui connaissaient la maladie sont à l’âge de retraite ». Entretien.
Les maladies négligées, y compris la maladie du sommeil, est-ce un problème en RDC ?
Les maladies tropicales négligées sont un problème en RDC car elles affectent plusieurs personnes. Les plus courantes sont la maladie du sommeil, l’onchocercose, la lèpre, la schistosomiase, l’ulcère de Buruli, les Géo helminthiases, la Téniase. Pour ce qui est de la maladie du sommeil, elle touche plusieurs provinces de la RDC, à l’exception des provinces du Nord et Sud Kivu et l’Ituri. Elle est causée par des parasites du genre Trypanosoma et transmise par les mouches tsé-tsé infectées. Si l’âge n'est pas un facteur favorisant la maladie du sommeil, le niveau socio-économique peut plutôt être l’un des facteurs favorisants, car le vecteur qui transmet la maladie du sommeil est une mouche tsé - tsé, qui vit dans des endroits sombres, marécageux, forêts, rivières. Et plusieurs personnes contractent la maladie en allant travailler dans ces endroits. Donc, les fermiers, les mamans qui cherchent l'eau dans des sources et/ou rivières, des personnes qui font la chasse, l’agriculture, dans ce contexte ce sont des personnes exposées à la maladie du sommeil.
Il s’agit d’une maladie qui évolue en deux stades ou phases. Le premier stade appelé aussi phase "hémo-lymphatique", est une phase où le parasite (le trypanosome) se multiplie dans le sang et la lymphe provoquant des symptômes et des signes cliniques non spécifiques à la maladie, c’est-à-dire des signes que nous pouvons trouver dans d'autres maladies tels que : les fièvres, des céphalées très intenses, manque d'appétit, ...Et au fil de temps, le parasite franchit ou traverse la barrière hémato-encéphalique pour infecter le système nerveux central, c'est la deuxième phase appelée "méningo-encéphalique", qui provoque divers troubles neurologiques, notamment des troubles du sommeil (d'où le nom de la maladie du sommeil), une progression vers le coma et, finalement, la mort. C'est ainsi qu’il y a intérêt de se faire dépister et traiter à temps pour éviter la mort.
Mais pourquoi le Nord et Sud Kivu ainsi que l’Ituri sont-ils épargnés ?
Ces provinces de notre pays n'ont pas cette maladie, juste à cause de leurs situations climatiques. Les conditions climatiques n'étant pas favorables pour la mouche tsé – tsé, elle vit là où il fait chaud. Mais cela n'exclut pas qu'il y ait des personnes malades dans ces provinces faisant la maladie du sommeil. Ce sont des personnes qui ont résidé dans une période donnée dans des endroits où se vit la maladie du sommeil, c’est-à-dire qu’elles y ont peut-être contracté la maladie.
Où en est-on avec la lutte contre la maladie du sommeil en RDC ?
En RDC, il y a des programmes qui s’occupent de certaines maladies tropicales négligées et chaque programme a un plan d’action qui permet d’exécuter la lutte.
Pour la maladie du sommeil, il s’agit d’un cas difficile à diagnostiquer car les personnels de santé de certaines provinces ne sont pas formés pour diagnostiquer et traiter. Mais actuellement, il y a trois options : diagnostiquer les personnes (au niveau des villages : dépistage actif avec les équipes mobiles et les mini équipes ; au niveau des centres de santé et hôpitaux ; dépistage passif) ; le traitement (avec les médicaments disponibles selon qu’il s’agisse du 1er et/ou 2ème stade) ; la lutte anti vectorielle avec l’utilisation des pièges dans des endroits de contact mouche-homme).
Les grandes avancées, les grands défis dans la lutte contre la maladie du sommeil ?
Il y a eu des avancées dans la maladie du sommeil : actuellement nous utilisons Fexinidazole, premier médicament en comprimé (prise orale) et qui est le fruit de plusieurs années de recherche. Ce médicament peut même être pris à domicile dans les conditions déterminées par le médecin traitant. Il y a actuellement le test de dépistage rapide THA (Trypanosomiase Humaine Africaine), qui dans moins de cinq minutes, le personnel de santé peut orienter les suspects sérologiques pour des examens parasitologiques. Nous à la DNDi, avec nos différents partenaires, nous avons pu développer le NECT qui est une combinaison thérapeutique qui soigne la maladie du sommeil et le Fexinidazole, premier traitement oral. Mais les défis sont énormes : il faudrait éliminer la maladie du sommeil d’ici l’an 2030 ; il faudrait former les acteurs sur le terrain car ceux qui connaissaient la maladie du sommeil sont à l’âge de la retraite ; il faut des moyens financiers qui sont pour l’instant très limités. Pour ce qui est de la recherche médicale n'est pas seulement menée par nous les Congolais, mais nous sommes au-devant de la recherche parce que notre pays a besoin d'éliminer cette maladie car le 3/4 des cas enregistrés au monde viennent de la RDC.
Qui doit faire quoi pour que les maladies négligées, et spécialement la maladie du sommeil, soient écartées de la liste des causes des décès au Congo ?
L’élimination de la maladie du sommeil comme les autres maladies tropicales négligées est une affaire qui nous concerne tous : les décideurs, notamment le gouvernement à travers le ministère de la santé. Il faudrait avoir les moyens pour bien mener la lutte. Les partenaires techniques et financiers doivent accompagnés les programmes. Les personnels de santé, notamment ceux des zones de santé, des hôpitaux généraux et des centres de santé doivent intégrer les activités des maladies tropicales négligées dans leurs plans d’action opérationnel et de les suivre. Aussi, les populations vivant dans des zones affectées doivent accepter et accompagner les équipes mobiles lors des itinérances pour lutter contre les résistances ou le refus d’être examiné.
Propos recueillis par Claude Sengenya