RDC : «la femme a une place immense dans la rumba», Monique Mbeka Phoba

Photo/ Droits tiers
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Monique Mbeka Phoba est documentariste, réalisatrice, productrice et scénariste. Le 26 mai dernier à Bruxelles, elle a animé une masterclass sur les femmes dans la rumba congolaise. Dans cet entretien accordé au Desk Femme, elle revient sur cet évènement et son expérience autour de la musique.  

Bonjour Madame Monique Mbeka Phoba et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours et vos activités ?

Monique Mbeka Phoba : J'ai commencé à faire des films en 1991, l'année dernière, j'ai fêté mes 30 ans de carrière. Mes documentaires portaient souvent sur l'histoire de ma famille ou des circonstances politiques et sportives bien précises. Un rêve d'Indépendance, produit en 1998, parle de l'assistant médical de Bernard Mabiala, qui était mon grand-père maternel et appartenait à cette fameuse caste d'évolués. Sorcière la vie !  produit en 2004, parle d'un de ses meilleurs amis, assistant médical comme lui, Raphaël Dieka, qui, à sa retraite, a accepté de devenir juge coutumier. Revue en Vrac, co-réalisé avec Fred Mongu, en 1991, évoque les premiers temps de la démocratisation politique au Congo, quand Mobutu a accepté la fin du régime du parti unique, en 1990. En 2008, j'ai fait mon dernier documentaire, en co réalisation avec Guy Kabeya Muya, « Entre la Coupe et l'élection », qui évoque la 1ère équipe d'Afrique noire à aller à une coupe du monde de football, en 1974, nos fameux Léopards. Depuis 2013, je me suis éloignée du documentaire pour réaliser mon premier long-métrage de fiction.

Récemment à Bruxelles, vous avez initié une masterclass sur les femmes dans la rumba congolaise. Quelle en était la motivation ?

Monique Mbeka Phoba : née et élevée dans la diaspora congolaise, la rumba a constitué un des ciments culturels dont j'ai pu disposer toute ma vie. Même loin du Congo, le Congolais ou la Congolaise écoute sa rumba. Et même sans en parler nécessairement, ils le transmettent à leurs enfants. J'ai donc toujours écouté de la rumba, d'abord parce que c'était la musique des parents, mais plus tard, tout simplement parce que je me suis rendue compte qu'elle faisait partie de moi. Je suis née dans les années 60 et j'ai eu des coups de foudre pour les chansons de plusieurs générations de chanteuses. Le temps a passé, j'ai vieilli, je m'intéresse à beaucoup d'autres musiques que la rumba. Mais, quand je vais voir des concerts de rumba de temps en temps, je ressens comme un manque : on n'entend quasi jamais les chansons de ces femmes merveilleuses qui m'avaient fait rêver : Lucie Eyenga, Abeti, Mpongo Love, etc... Je me disais que ça viendrait un jour et ça ne venait pas. Et le jour où la rumba a été proclamée comme faisant partie du patrimoine immatériel de l'humanité par l'Unesco, j'ai su que je devais faire quelque chose. C'est ainsi que j'ai pu proposer une activité centrée sur les femmes dans la rumba au Bozar de Bruxelles, dont le festival récurrent sur les cultures d'Afrique le festival Afropolitan, avait décidé de se vouer au thème de la femme. Donc, les planètes se sont alignées et mon but a pu être atteint.

Pouvez-vous revenir sur l’ambiance à cette activité ?

Monique Mbeka Phoba : je pense que toutes les personnes qui ont été au concert, vous parleront d'un moment magique. On a vécu des émotions d'une intensité rare, les gens autour de moi vibraient de bonheur. On était tous sur des nuages : moi qui organisais, les chanteuses et les musiciens, le public qui était très actif, qui dansait, qui lançaient des youyous, qui applaudissait pendant les chansons. L'activité a duré 3 heures et on n'a pas vu le temps filer. Je suis fière de nous, du travail que moi et mon équipe avons pu accomplir et infiniment reconnaissante d'avoir été aidée, à de nombreux niveaux par des personnes, qui connaissent parfaitement la rumba et qui ont accepté de m'ouvrir des portes. 

Vous avez cité les anciennes figures féminines de la rumba congolaise comme Mpongo Love, Tshala Muana, Mbilia bel… et dans la musique actuelle, quelles sont les nouvelles figures ?

Monique Mbeka Phoba : les nouvelles chanteuses les plus populaires sont maintenant issues de la musique chrétienne, c'est-à-dire du gospel. Même si elles peuvent s'inspirer de la rumba. Ce sont les plus grands succès de chanteuses dont on entend parler. Je suis moins qualifiée sur ce type de chansons, mais j'ai beaucoup apprécié Marie Misamu par exemple. Aujourd'hui, les styles de musique s'hybrident beaucoup et la rumba devient un arrière-plan, plus que le style principal. Dans ce nouveau style, j'ai une véritable adulation pour Céline Banza et Iyenga.

Quelle place la femme occupe-t-elle dans la Rumba selon vous ?

Monique Mbeka Phoba : la femme dans la rumba a une place immense. Non seulement à cause des chansons magnifiques que les chanteuses nous ont données, mais aussi à d'autres places : celles de muses (les plus belles chansons de la rumba sont souvent des prénoms féminins), celle des danseuses, celle des animatrices radio et de télé, qui ont propulsé certaines vedettes dans le succès, celle des marraines et des financières, celle des stratèges-conseillères en carrière, celle des fan-clubs de supportrices qui accompagnaient les orchestres pour leur faciliter la vie et dont parfois certaines membres se mariaient avec des musiciens ou des chanteurs, c'est le cas de la femme de Franco etc... etc... Et bien sûr, ce qui n'est pas la moindre place, celle d'être les épouses, les filles, les mères, les parentes(...) Ce qui est drôle, c'est que c'est un milieu très machiste, où les femmes ont beaucoup de peine à percer et sont souvent maltraitées, je pense particulièrement aux danseuses. Mais, en même temps, la rumba n'a presque que comme sujet unique la femme, au point que certains chanteurs se mettent dans une peau de femmes pour chanter leurs préoccupations les plus intimes : c'est comme une schizophrénie.

La rumba congolaise, inscrite officiellement au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l’UNESCO, une masterclass sur la présence des femmes, voudriez-vous suggérer des pistes à la RDC pour capitaliser cette reconnaissance ?

Monique Mbeka Phoba : je viens d'entrer dans le domaine de la production de concert et je n'y connais pas grand-chose. J'ai voulu juste faire acte de solidarité envers les chanteuses et les femmes qui ont aidé à cette reconnaissance de la rumba, parce que je n'accepterais pas qu'elles soient invisibilisées en un pareil moment !  J'ai fait le 26 mai une première masterclass performative, à priori, je dirais que  je ne suis pas légitime pour répondre à cette question.

Que pensez-vous de l'absence de reconnaissance pour les artistes femmes en RDC ? Que faut-il faire pour améliorer cette reconnaissance ?

Monique Mbeka Phoba : je pense qu'il est du ressort du ministère de la Culture de lancer des initiatives en ce sens ou de soutenir des initiatives allant dans ce sens.

Mise à part la masterclass, quels sont vos autres projets pour les femmes dans la rumba Congolaise ?

Monique Mbeka Phoba : à priori, je n'avais le projet que de faire une seule expérience, puis de retourner à mon métier de cinéaste. Mais, plusieurs personnes me font des propositions, sur lesquelles je dois encore me pencher. Je vais voir ce qu'il va en ressortir et je ne peux rien en dire pour le moment.

Un dernier mot ?

Monique Mbeka Phoba : j'espère que nous pourrons faire venir notre concept au Congo. J'aimerai vraiment beaucoup poursuivre la fête.

Propos recueillis par Prisca Lokale