RDC : entretien avec Maghene Deba, le réalisateur du film « Femme au sommet »

Photo/droits tiers
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Ce film dresse le profil d’une Présidente de la République Démocratique du Congo. Il présente aussi les défis à relever dans un pays où aucune candidate à la présidentielle n’a réussi à briguer un mandat ou à réaliser ne fût-ce que 1% de votants dans trois processus électoraux. 

  Bonjour Monsieur Maghene Deba et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de votre parcours? 

Maghene Deba : Je suis journaliste freelance. Entre autres, je collabore avec le bureau Kinshasa de l’agence de presse américaine Feature Story News et je publie chez Œil d’Afrique. Depuis plus de dix ans que je suis journaliste, j’ai travaillé à Goma, Lubumbashi et Kinshasa. Parfois, il m’a été confié des responsabilités comme rédacteur en chef, directeur des programmes et même directeur à l’intérim chez Hope Channel TV à Goma. Présentement, le gros de mon temps, je le consacre à Maghene Médias, ma maison de production créée en 2020, l’année où j’ai aussi produit et réalisé mon tout premier documentaire. (https://youtu.be/YukmIscMelw). C’est sous le label Maghene Médias que j’ai initié “RDC : femme au sommet” qui a été co-financé avec Jack Grafix. 

Vous êtes le réalisateur de ce film sur le leadership féminin. Qu'est-ce qui a motivé cette réalisation ? 

Maghene Deba : Je crois en la femme. C’est ma motivation primaire. Lorsque naît l’idée du documentaire, je cherche une réponse aux échecs criants des femmes aux élections et surtout aux présidentielles. Pour moi, une fois qu'on a compris cela, on peut envisager une perspective avec des victoires ultérieures pour les femmes. Des cinq femmes qui ont brigué la présidence, pas une seule n’a réalisé 1%.  C’est très simpliste de dire que la femme n’est pas élue à cause de nos coutumes ou parce que notre société est en retard. J'ai voulu aller au-delà de ce qui se raconte avec des expériences, des analyses d’experts ou encore des observateurs pour aborder les questions de fond. Je pense que c’est le résultat que nous avons obtenu. Une ancienne candidate à la présidence admet avoir manqué les ressources pour sa campagne, dans le film des gens déplorent que les candidates ne s’entourent pas d’équipes compétitives, par exemple. Rien de tout cela n’est une fatalité. Si de tels obstacles se dressent sur la route des devancières, ce sera une leçon pour les prochaines candidates. Je voulais des réponses parce que, bien sûr, moins d’1% des votes pour les femmes quand elles sont 55% de la population, ça interpelle et il vaut mieux ne pas aborder la question de manière superficielle. C’est ce que les intervenants ont fait.

Sur base de quels critères vous avez opéré le choix des protagonistes ? 

Maghene Deba :  nous voulions un casting diversifié. En termes de génération, il y a Nzuzi wa Mbombo, Marie-Ange Mushobekwa et Anny Modi, ce sont trois âges. Jeanine Mabunda est une ancienne présidente de l’Assemblée et Yvette Tembo est jeune cadre à l’UDPS, Julienne Lusenge est une figure de la lutte pour l’égalité des sexes dans la société civile et Kelly Nkute est journaliste. C’est de la diversité d’opinions. Il y a aussi dans le film deux femmes maraîchères, un expert électoral, un professeur de sociologie et deux diplomates.

Quels sont les moments clés du film ? 

Maghene Deba :  j’ai envie de dire que le moment clé intervient quand nous tournons la première interview avec l’avocate Dignité Bwiza Visser. C’était le dimanche 1er août 2021, je ne risque pas d’oublier, ça a été le point de non-retour mais dans le bon sens. Lorsque Marie-Josée Ifoku avait donné son accord pour l’interview, ça a été une joie immense. Une ancienne candidate à la présidence qui s’apprêtait à livrer son témoignage, c’était enthousiasmant. Il y a eu aussi des voyages que nous avons effectués dans le Kongo-Central, le Katanga et le Kivu. Même si parfois, nous rentrions bredouille, mais ça reste des moments-clés du projet.

Pensez-vous qu’un jour le pays sera dirigé par l’une des femmes de votre documentaire?

Maghene Deba :  dans ce film “RDC : femme au sommet”, il y a  aussi des hommes. Le casting du film ne procédait pas du raisonnement selon lequel les femmes retenues sont des femmes présidentiables, nécessairement. Comme je l’ai expliqué plus haut, il était question de recueillir les avis utiles par rapport au sujet, d’une maraîchère ou d’un religieux. Tout de même, je crois que le pays a des femmes avec les capacités requises pour le diriger. Nombreuses ne sont pas dans le film, d’autres y sont. Nous aurions aimé les avoir toutes mais qui sommes-nous pour avoir tout ce monde aux agendas complexes? Personnellement, à compétences égales, je choisirais une femme au sommet de l’Etat. Mais d’abord, il faudrait que les femmes en 2023 ou plus tard, interprètent utilement les échecs de leurs prédécesseurs pour mieux procéder. C’est possible. Dans notre société, l’ascension politico-sociale était une dérivation héréditaire. Aujourd’hui, on a des ministres, des chefs des corps venus de nulle part. Il en est de même pour la femme. Trois femmes viennent d’être élues gouverneurs de provinces. C’est très encourageant.

Le film est-il déjà disponible pour le grand public ? Comment se le procurer ?

Maghene Deba :  le 29 Avril, nous avons lancé le film à Kinshasa, la première d’une longue série de projections en salle, dans les écoles, Universités, ... Jusqu’au mois d’août, nous allons organiser ces projections à l’intention des étudiants, des activistes, des leaders communautaires, des décideurs politiques, dans la capitale et en provinces. Ceci demande des moyens. Après avoir intégralement financé cette production, nous espérons que des sponsors et des mécènes qui soutiennent la cause de la femme vont se manifester pour nous accompagner. A partir du mois d’août, le film sera disponible à la vente, en ligne d’abord sur commande, ensuite, physiquement sur clé USB.

Un dernier mot ?

Maghene Deba : je suis très satisfait de l’aboutissement de ce projet. Et ce sentiment est unanime au sein de l’équipe, Maghene Médias, Jack Grafix et Ucofem. Oui, le défi pour la distribution du film au pays et à l’étranger est énorme. Mais nous irons au bout de ce qu’on a commencé. Notre ouvrage mérite cet effort supplémentaire et l’affirmation de la place de la femme aux côtés de l’homme est une lutte humaniste qui vaut engagement et sacrifices.

Propos recueillis par Prisca Lokale