Pierre Nsumbu : « seule une bonne gouvernance peut redonner les lettres de noblesse à notre système éducatif » (Tribune)

Photo actualite.cd
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Le mal dénoncé doit dépasser le cadre politique. Tu veux tuer un pays, tue son système éducatif, a déclaré un quidam. Et un des présidents américains de renchérir : « Dites-moi quel système éducatif vous organisez, je vous dirai quel pays vous avez ». C'est autant donc dire que l'enseignement congolais est depuis plusieurs années une vaste comédie, un fonds de commerce. C'est le fruit de la mégestion de la res publica. Le Congolais est chosifié, clochardisé. Les acteurs pédagogiques à tous les niveaux n'y échappent.

J'ai beau décliné une longue carrière dans ce qui devrait être le plus beau métier, 29 ans, j'ai cessé il y a longtemps  de croire à  l'Examen d'Etat, sinon à sa validité et son objectivité. En effet, la fraude généralisée et bien organisée est la règle, le sérieux et l'exception. Le contraste est saisissant : plus le niveau d'étude baisse, plus les candidats obtiennent leurs parchemins avec des pourcentages mirobolants. Même la Covid-19 qui a presque paralysé cette année scolaire n'a eu aucun effet sur les résultats. Au contraire !

Je donne ma main à  couper, ce ne sont nullement les classes télévisées qui auraient remédié aux conséquences de cette Vilaine pandémie. Seuls les politiciens et leurs partenaires complices peuvent continuer à  user, entre autres, d'une telle justification face à  ces réussites. La vérité est que le sabotage du système éducatif congolais n'a d'égal que l'ingéniosité à mettre en place un système de fraude bien huilé avec comme toile de fond l'usage des réseaux sociaux (SMS, WhatsApp, Facebook, etc.).

Voilà qui explique que de nos jours un élève peut partir de la troisième l'année avant en sixième l'année suivante et obtenir son diplôme avec grand fruit. Un jeune homme qui a interrompu sa scolarité en deuxième secondaire (8ème) peut prendre son inscription dans n'importe quelle option d'une classe finale et réussir sans peine. C'est que la réussite n'a rien à  avoir avec un passage normal des classes,  mais elle est tributaire d'une sainte fraude autour des réseaux mafieux entretenus et soutenus à tous les niveaux.

Steve Mbikayi se trompe lorsqu'il croit trouver la solution dans le retour à l'ancien système du type traditionnel. Non. Les évaluations certificatives, comme les autres, sont une vérification des connaissances. La vraie question est de savoir que faire pour que les enfants apprennent correctement. Il est injuste de mettre à l'épreuve un enfant qui n'a rien appris, sinon qui a appris à  corrompre, à acheter de faux bulletins, etc.

Regardez les épreuves orales, la pratique professionnelle et la dissertation. Ce n'est nullement le choix multiple. Les enfants sont bombardés de points comme des antibiotiques. Les membres des jurys de ces épreuves seront-ils différents de ceux qui corrigeraient les épreuves traditionnelles ? Il y a essentiellement un problème d'homme !

Plus qu'une conviction, la crise scolaire ne peut être dissociée de la crise politique. Seule une bonne gouvernance peut redonner les lettres de noblesse à  notre système éducatif. Quelle qualité de l'enseignement peut-on obtenir d'un pays où la dernière sortie  en retraite des enseignants est intervenue en 1984 ? Que peut-on attendre de ceux qui résistent encore avec une carrière de plus de 60 ans et donc âgés de plus de quatre-vingt ans ? Que dire du nombre largement insuffisant de salles des classes et des équipements, bibliothèques, laboratoires, etc. Que dire des salaires de misère ? On n'organise pas une école sans moyens. L'organisation matérielle, financière, pédagogique et administrative repose le matelas financier. L'argent à gérer avec orthodoxie ne peut venir sans bonne gouvernance politique. Il ne devrait pas venir de la politique des mains tendues vers les institutions de Bretton Wood « Banque Mondiale, FMI » ou autre UNESCO, UNICEF.

Bien organiser notre système éducatif est à la fois un impératif et une urgence, une priorité des priorités. Il faut arrêter l'hémorragie par des réformes courageuses et dans un élan de changement radical des mentalités. Il passe  par une formation du personnel enseignant sur tous les plans : physique, mental, psychologique, humain, moral et même spirituel, bref par son humanisation. Le politicien, le personnel enseignant, le technicien,  le personnel soignant, le conducteur, l'homme d'affaires, etc de demain passe par cet enseignement. Il y va de l'avenir de ce pays.

Je termine mon partage pour dire que tout peut être politisé,  sauf l'enseignement. Ce dernier devrait être l'affaire de tous. Trève de démagogie, de triomphalisme, de fanatisme et d'autosatisfaction. Ce n'est point une victoire des uns sur les autres, d'un clan politique sur l'autre. L'école tout comme la santé n’a pas de couleurs politiques, ethniques, tribales, raciales, etc. Ou les enfants sont formés  ou ils ne le sont pas. Le thermomètre de notre système éducatif ne réside pas forcément sans les capacités du gouvernement d'organiser les épreuves certificatives en temps et contexte difficiles, mais la capacité de nos lauréats de faire preuve de savoir-faire et de savoir-vivre.

Mettons-nous tous au travail, politiciens à la ligne de front, avec la ferme volonté de laisser notre pays en crise multiforme entre les  bonnes mains. C'est le grand défi à relever.

Pierre Nsumbu Muntukalavo, député national et ancien sous-proved de Matadi