Po Na GEC 39
Avez-vous écouté Lettre à ya Tshitshi du rappeur Bob Elvis, et, surtout, Nini tosali te du groupe MPR ? Les clips de ces deux titres sont visionnés en boucle sur YouTube et WhatsApp depuis leur sortie le 5 novembre. Leur point commun : des paroles très engagées. Le premier s'attaque frontalement au pouvoir en place, le second décrit le désarroi de la jeunesse congolaise qui peine à s’en sortir, peu importe les régimes politiques qui, finalement, se suivent et se ressemblent, selon les interprètes. Des textes qui ne sont pas du goût de la Commission nationale de censure des chansons et des spectacles. Cette structure a décidé, le 9 novembre, d’interdire leur diffusion, provoquant un tollé général. L’occasion d’interroger la raison d’être d’une telle structure aujourd’hui.
Bonjour,
Je suis Trésor Kibangula, analyste politique au sein du Groupe d’étude sur le Congo, centre de recherche de l’Université de New York. Vous écoutez le 39e numéro de Po Na GEC, notre capsule audio qui analyse les questions d’actualité en RDC. Nous sommes le vendredi 12 novembre 2021.
On le sait : à part la commission nationale de censure ainsi qu’une poignée de partisans du régime sur les réseaux sociaux, personne n’a assumé, publiquement, cette décision de censure. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, a rapidement indiqué que la mesure « n’éman[ait] pas du gouvernement ». Sans risque de fâcher les autorités sur le sujet, la Délégation de l’Union européenne en RDC a déclaré « [s’associer] à l’indignation suscitée ». D’autres ambassades ainsi que le Bureau conjoint des droits humains des Nations unies ont suivi cette initiative. La censure de ces deux titres, était-elle la décision d’un haut-fonctionnaire zélé, n’ayant pas obtenu en amont l’aval du ministère de la Justice, dont dépend sa structure ? Pas si sûr. De fait, les clameurs des Congolais ont poussé à la levée de la mesure vingt-quatre heures plus tard.
Cette interdiction de diffuser - même à titre conservatoire - a été contre-productive pour l’image du pouvoir en place, perçu à travers cet acte comme celui qui tient à faire taire toute voix discordante, à bâillonner toute critique à son égard. Peu importe si la commission de censure s’abrite derrière les textes légaux et réglementaires l’autorisant à agir de la sorte lorsqu’une chanson est mise à la disposition du public, avant son accord préalable.
Alors, la RDC a-t-elle encore besoin aujourd’hui de ce type de gardien de la morale publique, juge du bien et du mal, de ce qu’on a le droit de dire ou pas dans les chansons, de faire ou pas sur scène ?
Certains pensent que oui. Face à des paroles trop érotiques et des images obscènes de certains clips, les censeurs doivent préserver les oreilles et les yeux chastes des Congolais, et ne pas laisser libre cours à la dépravation des mœurs. Ils disent qu’il y a aussi la culture congolaise à préserver. Cet ensemble de constructions sociales et valeurs façonnées notamment par les traditions locales mais aussi par l’éducation chrétienne. Ce n’est pas pour rien que des représentants des confessions religieuses siègent à la commission nationale de censure telle qu’instituée en 1996.
D’autres, en revanche, considèrent que le temps des censeurs est révolu. On ne peut plus empêcher a priori une œuvre artistique d’être publiée avant un quelconque tampon préalable. Quitte au système judiciaire de contrôler a posteriori des contenus des chansons qui auraient violé la loi. Ce serait sans doute une manière beaucoup plus saine d’encadrer la liberté d’expression dans ce domaine. D’autant qu’il existe déjà, en RDC, des structures publiques dont les attributions semblent avoir repris et ajusté celles de la commission de censure. C’est le cas par exemple du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), « organe spécialisé destiné à réguler les médias », mis en place en 2011, qui est censé contrôler - pas censurer - a priori et a posteriori notamment l’objet et le contenu des spots, des clips, des films et documentaires.
En tout cas, en public et en privé, certains membres du gouvernement admettent que la censure n’était pas justifiée. Le décret de 1996 mettant en place la commission de censure est, disent-ils, une « réglementation ancienne ». Que faut-il alors pour le modifier afin de trouver l’équilibre nécessaire entre liberté d’expression artistique et respect des valeurs culturelles, à défaut de le supprimer ?
En attendant la réponse des gouvernants, rejoignez notre fil WhatsApp en envoyant « GEC » au +243 894 110 542 pour recevoir Po Na GEC chaque vendredi sur votre téléphone. À bientôt !