Comprendre la crise institutionnelle dans l’Équateur, les explications de Trésor Kibangula

Photo ACTUALITE.CD

C’est un scénario qui s’est joué dans plusieurs provinces du pays depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi : des députés évincent le gouverneur ; le ministre de l’Intérieur intervient dans un sens ou dans l’autre ; la Cour constitutionnelle saisie, tranche : soit elle confirme la décision de l’assemblée provinciale soit elle réhabilite le gouverneur déchu. Après l’Ituri, le Kongo-Central, le Sankuru, le Haut-Lomami, le Kasaï, le Kasaï Oriental entre autres, le nouvel épisode se déroule dans la province de l’Équateur. Là-bas, la tension entre le gouverneur réhabilité Dieudonné Boloko Bolumbu dit « Bobo » et l’assemblée provinciale a atteint son point culminant. Comment comprendre cette crise institutionnelle dans l’Équateur ?

Bonjour,

Je suis Trésor Kibangula, analyste politique au sein du Groupe d’étude sur le Congo, centre de recherche de l’Université de New York. Vous écoutez le 34ème numéro de Po Na GEC, notre capsule audio qui tente d’éclairer les questions d’actualité en RDC. Nous sommes le vendredi 8 octobre 2021.

Récapitulons. Le 6 juillet, à Mbandaka, 13 députés provinciaux sur 20 présents votent une motion de défiance contre le gouverneur « Bobo » pour détournement de fonds publics et incompétence. À Kinshasa, cette mise à l’écart est vécue comme un affront. D’autant que le chef de l’exécutif provincial déchu, pro-Joseph Kabila au départ, a rejoint, comme la grande majorité de ses pairs, l’Union sacrée de la nation, coalition politique autour du président Félix Tshisekedi. Le 8 juillet, Daniel Aselo Okito, vice-Premier ministre chargé de l’Intérieur, rappelle alors à Kinshasa « Bobo » et Claude Buka, le président de l’assemblée provinciale pour consultations. Le lendemain, à Mbandaka, Peter Lopose, rapporteur de l’assemblée provinciale, annonce que la déchéance du gouverneur a été annulée par le vice-Premier ministre. Puis, le 18 août, après plus d’un mois de confusion et de tension, la Cour constitutionnelle saisie par le gouverneur tranche en faveur de ce dernier : « Bobo » est réhabilité.

Mais, la crise institutionnelle est loin de se terminer. Et pour ne rien arranger, le 24 août, un message officiel du vice-Premier ministre interdit au président de l’assemblée provinciale d’engager son institution. Claude Buka n’en a cure. Peu importe d’ailleurs si un bureau d’âge a été mis en place pour remplacer le sien. Le 30 septembre, il se présente à l’assemblée provinciale pour ouvrir la nouvelle session ordinaire, mais il est empêché par la police d’accéder à l’hémicycle. Des échauffourées éclatent entre ses partisans et les forces de l’ordre. Bilan : des blessés et un mort, selon la société civile locale. Le vice-Premier ministre est désormais ciblé par une question orale avec débat sur ce dossier à l’Assemblée nationale.

Comment en est-on arrivé là ? « Nous avons un gros souci avec les assemblées provinciales qui dénotent du manque de culture politique des élus en provinces », nous répond un proche collaborateur du chef de l’État. En clair, des députés provinciaux sont pointés. On leur reproche de mener du chantage et du racket. Grands électeurs pour l’élection de gouverneurs de province et détenteurs de la motion de censure, certains, si ce n’est pas la plupart, n’hésitent pas à monnayer leur vote. Ainsi, suivant les rapports de force politique ou économique, la majorité bascule d’un camp à l’autre en un clin d'œil. Ce qui entraîne une instabilité déconcertante remarquée au sommet de plusieurs exécutifs provinciaux. Face à cette situation, au lendemain de la rupture entre Kabila et Tshisekedi fin décembre, Gilbert Kankonde, alors ministre de l’Intérieur, avait d’ailleurs demandé aux assemblées provinciales le « report immédiat de toute initiative parlementaire susceptible de conduire à une motion de censure ou de défiance contre des gouverneurs des provinces ».

Constat : les pouvoirs provinciaux sont en panne. Ils étaient censés réduire la concentration des pouvoirs à Kinshasa, mais le jeu politique actuel démontre que le pouvoir central et les pouvoirs provinciaux demeurent entremêlés. Aussi le transfert des compétences exclusives aux provinces n’est-il pas toujours effectif ; la retenue à la source des 40 % des recettes provinciales inopérante... Autant de problèmes qui nécessitent sans doute de repenser la décentralisation, ou du moins les modalités de sa mise en œuvre.

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