L’Afrique, c’est le berceau de l’humanité, c’est aussi l’avenir du monde avec 3 milliards d’habitants d’ici 2100. Ce continent connaît à ce jour, des mutations d’ordre politique, économique, culturel, social, intellectuel, environnemental et générationnel. Les grandes puissances dominantes se sont toujours battues pour garder leur influence et contrôle sur les changements qui s’opèrent sur le continent.
La France, les États-Unis, la Grande Bretagne, la Russie, la Belgique et récemment la montée fulgurante de la Chine et de l’Inde ont développé des rapports de domination en Afrique. Ces derniers se sont recomposés selon les différentes temporalités : la traite, l’esclavage, la colonisation, la post-colonisation. Ces États ne lâchent pas l’Afrique et les africains.
En effet, la France dont il est question dans cette tribune se situe au croisement de son avenir face à son rapport à l’international. Sa débâcle dans l’Indopacifique, son rejet marqué dans le Sahel ou encore sa tergiversation en Afrique centrale poussent la France à se remobiliser et à s’interroger sur de nouvelles initiatives pour réinventer ou réorienter sa relation avec l’Afrique. Celles-ci s’éloignent de schémas classiques de diplomatie qui veulent que cette relation se consolide ou se réinvente avec les acteurs institutionnels tels que le chef d'État, les organisations de la société civile, les gouvernements, les institutions régionales ou continentales et aujourd’hui, avec les mouvements citoyens. Ici, la France a choisi des individus.
Cette fois-ci, la France met au cœur de cette relation une autre catégorie d’acteurs, la jeunesse diversifiée du continent hors institutions. Les entrepreneurs, les activistes, les artistes, les intellectuels, les chercheurs et les diasporas sont invités à participer au sommet de Montpellier. D’aucuns s’interrogent si la France est-elle sincère dans sa démarche ? D’autres par contre, analysent l’urgence qui s'impose à la France à se réinventer et avec quels acteurs comme questionnement.
Il est difficile d'apprécier la sincérité de la France dans cette initiative à échanger avec la jeunesse afin de réinventer sa relation avec le continent et les africains. Un seul fait peut en témoigner : les différents discours du Président Français Emmanuel Macron chaque fois qu’il aborde les rapports franco-africains. Le détonateur de ces discours est celui tenu le 28 novembre 2017 à l’Université Ki-Zerbo devant les étudiants burkinabè à Ouagadougou. Si certains jeunes ont vu dans le discours du Président Macron une volonté de marquer la rupture avec le passé; d’autres estiment que ce dernier cherche à anticiper avec une stratégie visant à s’adapter aux mutations qui s’opèrent sur le continent.
Depuis 2010, les jeunes africains dans leur pluralité sont à la quête du changement. Ils veulent être acteurs de leur futur en écrivant leur propre histoire. Ce qui renvoie à la prise de conscience par des initiatives dans différents secteurs de la vie tels que l’entreprenariat, l’engagement citoyen, l’artisanat, etc. Ces derniers l’ont fait efficacement sans attendre des prescriptions et des mots d’ordre venus de la métropole ou des pays occidentaux.
Ces jeunes se sont distingués par leur lutte par de dénonciations et positions prises ces dernières années contre l’impérialisme ou le néo-colonialisme dans lequel certains pays occidentaux ont maintenu les élites politiques africaines depuis les indépendances. Cela leur a permis de s’orienter et de tourner le regard vers les autres espaces géographiques notamment vers les autres pays du Sud notamment la Chine et l’Inde. En outre, il sied de reconnaître l’afflux de plus en plus fort des étudiants africains vers la Chine et l’Inde pour apprendre et s’intégrer au monde depuis ces pays-là. Ce choix de la jeunesse africaine d’aller étudier dans ces pays de l’Asie se justifie par diverses raisons entre autres les facilités d’obtention de visa, les relations commerciales entre les deux continents et le traitement à la limite du racisme que font subir les services migratoires des pays européens envers les ressortissants du sud. Le refus par police aéroportuaire belge d’autoriser l’accès à son territoire de l’étudiant congolais Junior Masudi Wasso qui a choqué le monde est un exemple patent en dépit du fait que ce dernier ait reçu son visa et son inscription à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Cela vient renforcer cette méfiance de la jeunesse africaine à s’orienter vers l’Europe. Cette jeunesse est en perpétuelle quête de la dignité et du respect contre les humiliations qui ont tant duré. On peut même ricaner lorsqu’on réalise que la délégation congolaise invitée à participer à ce sommet n’a pas obtenu le visa pour se rendre à Montpellier. M’enfin, quelle humiliation ?
Par ailleurs, l’engagement de cette jeunesse est resté très fort pour barrer le chemin aux dictateurs africains qui s’amusent à modifier la constitution ou à truquer les élections et fabriquer les résultats des urnes contre la volonté des peuples africains. Force est de constater la position de la France qui se met à soutenir certains chefs d'États contestés pour sauvegarder ses intérêts portés par les entreprises françaises très présentes sur le continent. C’est à la fois en République Démocratique du Congo (RDC), au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Gabon, au Congo Brazza, en Guinée, au Tchad, en Algérie, au Sénégal, etc. La jeunesse africaine est en colère contre la France ou contre les dirigeants français, disons-le ouvertement.
J’ai encore en mémoire cette phrase assassine du ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian après la proclamation des résultats des élections contestées de 2018 en RDC. Il les avait jugés d’un « compromis à l'africaine » plutôt que des élections. Alors que Monsieur le Drian disait peu avant que ces résultats ne sont pas conformes aux résultats que « l'on avait pu constater çà et là ». Quel était mon fort étonnement de constater le revirement français lorsque le ministre qualifiait ces élections « d’une vraie alternance et d’une élection démocratique » lors de son voyage à Kinshasa en mai 2029. Ces propos du ministre français traduisent une chose : ce sont seuls les intérêts français qui guident les relations dans toutes ses dimensions de la France avec la RDC et d’autres pays du continent et par ailleurs du monde.
Il importe de noter que la France se comporte en État stratège et scrute minutieusement les bouleversements qui se produisent ou non en Afrique se trouvant parfois dans la difficulté de les empêcher. C’est entre autres le passage naturel des élites postcoloniales qu’elle a adoubé et corrompu. Celles-ci, vu la force de la nature et de l’invisible, sont en train de vieillir ou de mourir, laissant la place à une autre catégorie des dirigeants décomplexés vis-à-vis des occidentaux et des orientaux. Le cas emblématique à souligner est le fait que la junte militaire au Mali se tourne vers la Russie en dépit des efforts menés par la France et la communauté internationale pour préserver l’unité du Mali depuis 2013. Un autre facteur qui marque ces changements c’est la perte de vitesses de la France dans l’ordre mondial dans lequel la géopolitique mondiale s’impose à la France. Il faut également souligner l’émergence des acteurs indépendants et attachés au continent à l’occurrence les mouvements citoyens indépendants, les intellectuels et les artistes résolument engagés à mener le changement sans tendre la main à la métropole ou au modèle épistémique occidental.
Tous ces changements obligent la France à s’orienter vers les acteurs qui vont sans doute décider de l’avenir du Continent.
Il apparaît sans conteste que la France veut se lancer dans une vraie démarche de réparation avec le continent mais là encore, les actes posés récemment par les autorités françaises contredisent cette volonté affichée. Le soutien ferme et ouvert de la France à la junte Tchadienne après le décès du Président Idriss Déby est tout autant condamnable. Par ailleurs, que disent les jeunes congolais engagés pour la restauration de la paix, ceux de Goma, de Bukavu, de Kisangani, d’Uvira, de Bunia, de Beni, de Butembo, de Rutshuru, de Lubero ou encore de Nyamilima qui sont nés durant la guerre d’agression rwandaise dirigée par Paul Kagamé à qui la France déroule le tapis rouge et le place en partenaire crédible et fiable de la région de Grands-Lacs ? Que dit le Prix Nobel de la paix, le Docteur Denis Mukwege défenseur acharné de la justice transitionnelle lorsqu’il constate que la France a donné un chèque à blanc au régime de Kigali ? La France, un pays des droits de l’homme ! Les victimes congolaises ne comptent-elles pas ?
Au regard de ces situations sus évoquées, peu de jeunes se trouvent optimistes quant aux nouvelles démarches de la France dans sa relation avec l’Afrique. Ils voudront bien être agréablement surpris de voir la France s'engager résolument à réinventer ses relations avec l’Afrique qui soient d’égal à égal . Il faut des rapports égalitaires entre la France et l’Afrique. La domination et l’exploitation tant pratiquées depuis de décennies ont montré leurs limites au regard des faits avancés ci-haut. La France doit absolument tirer les leçons de son échec et de son rejet. Ce n’est pas un acte de solidarité ou de charité, c’est un besoin pour la France d’abord.
La France n’a pas de choix que d’approcher les nouveaux acteurs qui émergent sur le continent. Cette réinvention est urgente pour la France et ses intérêts en Afrique. Ses alliés, c’est-à-dire les élites prédatrices et corrompues pour reprendre les qualificatifs de Frantz Fanon réactualisés par Achille Mbembe, qui ont donné accès aux entreprises françaises aux ressources naturelles africaines sans véritable contrepartie sont en train de passer et d’être bousculées par le temps. Certaines d’entre elles perdent en légitimité alors que d'autres perdent en légalité.
Il est sans doute que la montée en puissance des nouveaux acteurs connectés, panafricains et instruits inquiète énormément la France et les occidentaux en général.
La France se doit d’engager des rapports égalitaires dans lesquels les intérêts des uns et des autres sont valorisés. Une relation qui casse les barrières existantes, celles d’exploitation et de marginalisation et ouvre les dynamiques de convivialité entre les peuples africains et français représentés par leur jeunesse respective. Sans cela, ce sommet sera perçu comme le prolongement masqué de la françafrique tant décriée par les jeunes africains en quête d’une indépendance totale pour bâtir leur propre avenir.
De mon point de vue, les jeunes qui participent à ce sommet seront clairs et précis dans leur langage, dans leur discours et dans leurs comportements vis-à-vis de la France et ses dirigeants. Aborder les sujets estampillés « tabous » afin de rééquilibrer les rapports et construire les nouvelles imaginations fécondes comme le dit si bien Achille Mbembé, l’un des organisateurs centraux de ce sommet.
Les actes concrets qui seront pris après le sommet (comme un cadre discutant), témoigneront du fort choix de la France à tourner le dos aux pratiques de domination; de manipulation et d’exploitation qui ont caractérisé ces rapports contestés. Le contraire sera juste considéré comme une nouvelle approche de création de nouvelles élites extraverties en vue de marquer la continuité dans ces rapports.
Enfin, la vraie jeunesse africaine dynamique et engagée ne va plus tolérer plus la domination de n’importe quelle puissance mondiale, du Nord tout comme celle du Sud. L’Afrique est une puissance ignorée par ses actuels dirigeants.
Les nouveaux acteurs présentés ci-dessus l’ont compris et agissent avec un but commun, celui d'accomplir une mission d'intérêt collectif pour le progrès social, la croissance économique et l’ancrage démocratique en Afrique. Des changements nécessaires pour marquer la puissance de l’Afrique et jouer son rôle historique de berceau de l’humanité.
Si la France ne peut pas travailler avec l’Afrique pour son décollage, qu’elle la laisse debout pour marcher et pas toujours la tirer vers l’arrière.
Par Bienvenu Matumo, militant de Lucha