Pourquoi Bintou Keïta « change le narratif » sur les FARDC

Bintou Keita, Cheffe de la Monusco et le gouverneur Constant Ndima

Pierre Boisselet, le coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, s’intéresse aujourd’hui à la communication de la Monusco à l’égard des FARDC.

Le territoire de Beni est le plus meurtrier du Kivu. Plus de 480 civils y ont été tués cette année, principalement lors de massacres perpétrés par les ADF, un groupe armé originaire d’Ouganda. À ce jour, l’état de siège n’y a rien changé : plus de 200 civils ont été tués à Beni depuis son instauration.
Pourtant, pendant sa visite sur ce territoire début septembre la cheffe de la Monusco s’est montrée très bienveillante à l’égard des autorités. Le 9, Bintou Keïta a affirmé que l’état de siège était un « outil très important de la lutte contre l’insécurité ». Et le lendemain, la Monusco et l’armée congolaise se sont félicitées de leur collaboration dans un communiqué conjoint, un format jamais vu dans l’histoire récente.

Alors, qu’est-ce qui explique cette communication positive à l’égard des FARDC ?
Nous sommes le vendredi 17 septembre et vous écoutez le 31e numéro de Po na GEC, la capsule audio du Groupe d’étude sur le Congo de l’Université de New-York, qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC. Je suis Pierre Boisselet, le coordonnateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, et cette semaine nous nous intéressons à la communication de la Monusco à l’égard des FARDC.

En effet, cela faisait très longtemps qu’un tel rapprochement public entre la Monusco et l’armée congolaise n’avait pas eu lieu. Sans doute depuis leur alliance pour combattre le Mouvement du 23-Mars (M23), en 2012. Après la victoire, la défiance s’était de nouveau installée entre les deux parties. L’ancien président, Joseph Kabila, avait même réclamé le départ des casques bleus à plusieurs reprises lors de son deuxième mandat.

La donne a changé avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, et avec celle de Bintou Keïta à Kinshasa. Tout au long des six premiers mois de son mandat, la cheffe de la Monusco a affiché une attitude très positive.

L’optimisme est certainement louable, et sans doute nécessaire pour contribuer à un changement. Mais il est peut-être plus discutable s’il aboutit à balayer des inquiétudes légitimes. L’état de siège fait ainsi l’objet de réserves croissantes de la société civile et des élus du Nord-Kivu et de l’Ituri, qui pointent l’incapacité de cette mesure à améliorer la situation.

Pour autant, ces derniers jours, Bintou Keïta a axé sa communication, sur « ce qui est en train d’être fait », évoquant même « des territoires qui sont en train d’être récupérés ».

 Elle a même appelé la « société civile » et les « leaders d’opinion » à la solidarité avec
« l’armée et la police », un discours qui rappelle celui du gouvernement lui-même, avec sa volonté de « changer le narratif » sur la RDC.

Lorsque c’est la cheffe de la Monusco qui le tient, cependant, il prend le risque de masquer le rôle de certains membres des FARDC dans l’insécurité à l’Est, ainsi que de faire apparaître la mission comme partisane, alors que le pays approche d’une nouvelle période électorale.

Alors, pourquoi cette stratégie de communication ? Il faut rappeler que le Conseil de sécurité a demandé avec insistance à la Monusco de mener « des offensives ciblées et énergiques » pour neutraliser les groupes armés. Les importantes manifestations auxquelles Bintou Keïta a dû faire face, à Beni, au mois d’avril, allaient dans le même sens : les casques bleus étaient accusés de passivité.
Il est donc logique que Bintou Keïta veuille faire plus sur le plan militaire d’ici. Mais le commandement de la force estime qu’il est quasiment impossible de mener davantage d’offensives sans une étroite coopération avec les FARDC. Sans planification conjointe des opérations, le risque de se retrouver associé à des violations des droits humains ou de tirs fratricides dans la dense forêt de Beni est perçu comme trop important.

Or une partie des FARDC est très réticente à coopérer avec la Monusco. Son état-major n’avait, par exemple, pas associé la mission à son offensive de grande envergure contre les ADF fin 2019.
Cette communication semble donc s’adresser en partie au gouvernement et aux FARDC eux-mêmes, en espérant qu’elle permette la reprise d’une étroite coopération.

Sur le terrain, la Monusco a fourni un appui aérien aux FARDC mi-août à Beni. C’était la deuxième fois cette année. Et depuis le 7 août, les deux forces escortent conjointement des convois sur la Route nationale 4, entre Beni et Komanda. Elles ont connu un grave raté le 1er septembre, avec une attaque du convoi qui a coûté la vie à 4 civils. Et la Monusco assure que d’autres opérations conjointes sont en cours de planification, sans donner de précisions. Souhaitons qu’elle conserve tout le recul nécessaire pour prendre en compte les causes profondes du conflit.

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