Histoire de la Rumba congolaise comme justification de la candidature à l’UNESCO
C’est la ligne droite vers l’inscription de la Rumba congolaise sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’Humanité (sous l’égide de l’UNESCO) !
Annoncée dès 2012, lors du IXe Sommet de la Francophonie à Kinshasa, dans le cadre du Colloque « Vues d’Afrique », cette inscription de la rumba congolaise a trainé faute d’une prise en charge officielle efficace. C’est finalement deux ans après ce colloque, grâce aux initiatives audacieuses héritées du Ministre feu BANZA Mukalayi et de ses successeurs Mutiri (en fait ministre du Tourisme faisant l’intérim de celui de la Culture) et Madiya, que les lignes ont commencé à bouger : création de la commission/ Rumba , classement de la Rumba sur la liste du Patrimoine culturel national, connexion avec les experts et les officiels du Congo- Brazza ( pour des raisons historiques mais aussi pour augmenter les chances de la candidature à l’inscription sur la liste mondiale), travaux techniques et scientifiques approfondis pour la justification du dossier, selon les critères de l’UNESCO…
L’une des approches de la justification a été l’histoire de la Rumba. Cette histoire est à la fois lointaine et proche, avec des faits complexes dans un cas comme dans l’autre. L’histoire ancienne est celle liée à la traite négrière de nos ancêtres vendus et déportés dans les Amériques au 15e-16e siècle, avec des rencontres de traditions culturelles diverses, éprouvantes, intenses soit avec les Amérindiens, soit avec les maitres européens, soit avec les autres esclaves des autres contrées, africaines ou pas. D’où des synthétismes d’ordre rituel et religieux ; d’où des osmoses de rythmes musicaux. Dont la Rumba. L’histoire récente est celle de la colonisation européenne en Afrique, début 20e siècle, notamment en Afrique centrale, avec l’urbanisation et ses enjeux de multiculturalité : par exemple arrivée des marins américains et européens sur les côtes africaines avec des disques « Vinyl » ( « palaka » en lingala), ouverture à Kinshasa et à Brazzaville des maisons de vente et de duplication de disques d’origines diverses : « pachanga », « charanga », « tango » sud-américains, « jazz » et « blue’s » nord-américains, chansonnette française, etc. Mais aussi, apport des chants et danses des terroirs inspirés par la mobilité sur le fleuve : du folklore agbayu, kebo, engonza…
Comme l’a décrit Pr. GOMA-Thethet, musicologue mais aussi Co-président de la Commission/Rumba à Brazzaville : « A l’image du fleuve Congo qui a puisé ses eaux de celles de tous ses affluents, la Rumba congolaise a elle aussi, puisé à diverses matrices (…) ; et a bénéficié des apports exogènes. Bien qu’ayant puisé à diverses sources, la Rumba congolaise a acquis son originalité, sa spécificité comme la musique et la danse du Pool Malebo. Elle a enrichi plusieurs musiques en Afrique et ailleurs … »
Critères de l’UNESCO pour la candidature à l’inscription
Rappelons à présent les critères exigés par l’UNESCO pour l’inscription sur la liste représentative du Patrimoine culturel et immatériel de l’humanité, aux termes de la Convention de 2003 (qui se veut protectrice et promotrice du patrimoine culturel immatériel, parce que « volatile », intangible et exposé à la marge et à l’oubli de la mémoire collective).
1e critère: l’élément candidaté devra être un élément d’exception, à valeur intrinsèque d’esthétique et d’éthique ; mais aussi à valeur extrinsèque, à valeur ajoutée de transmission des savoirs de génération à génération, avec des traditions et une créativité inépuisables. C’est le cas de la Rumba congolaise ;
2e critère : l’élément doit être une émanation du génie et de l’inspiration des communautés dont dépend l’élément, avec vocation et thématique de cohésion sociale. La Rumba n’est-elle pas « populaire » (au sens de représentativité et d’icône ; au sens d’expansions et d’adhésions à l’infini des fans toutes tendances et toutes générations confondues, au sens des thèmes variés abordés ?
3e critère : l’élément doit être reconnu et valorisé par la communauté scientifique. Depuis une trentaine d’années, si pas plus, la Rumba congolaise a cessé d’être seulement une affaire de dilettante pour devenir une question de spécialistes et d’universitaires, dans les deux Congo et ailleurs dans le monde ;
4e critère : l’élément doit bénéficier de l’appui des Etats parties de la Convention (2003) et requérants. La candidature de la Rumba a été officiellement introduite le 26 mars 2020 par les Ministres des deux Congo : MM. Lukundji (RDC) et Moyongo (Congo-Brazzaville) ;
5e critère : la candidature devra être étayée par des inventaires fiables en tant que « pièces à conviction ». Rappelons que la Rumba congolaise a été classée « patrimoine congolais » en 2015 à Kinshasa ; mais les deux Congo ont justifié des « pièces à conviction » fiables et viables, non seulement à partir des institutions de conservation et de promotion ( musées, associations des praticiens, chaines radio-tv, orchestres, Instituts d’arts), mais aussi à partir des témoignages de ceux que l’UNESCO appelle THV (Trésors Humains Vivants) que sont les conservateurs privés, les praticiens des anciennes générations, les « maitres » enseignants du tradi-moderne, etc.
L’enjeu actuel de la candidature
Rappelons également l’enjeu actuel de l’inscription : autant la RDC a pu faire inscrire en 1972, 5 sites du patrimoine naturel (un record !) ; mais jusqu’ à présent aucun élément du patrimoine culturel ni matériel ni immatériel. En Afrique centrale seuls 2 pays ont réussi dans l’immatériel : la République Centrafricaine avec les polyphonies pygmées et le Burundi avec les Tambourinaires. La candidature de la Rumba congolaise est donc une sorte de cheval de Troie (et de cheval de bataille !) pour d’autres inscriptions de prestige plus tard.
On peut se poser la question sur l’absence de l’Angola sur la liste des pays candidats alors que la Rumba dite congolaise a bénéficié des apports diverses (L’Angola de Oliveira ou de Sam Mangwana, le Cameroun de Manu Dibango, la Centrafrique de Boybanda ou la Rhodésie de Isaac Musekwa, ainsi que la Belgique de Gilbert Warnant)…
Pour le cas particulier de l’Angola (pressenti dès le départ des tractations comme pays co-signataire de la candidature), ce pays voisin et ami n’avait pas ratifié la Convention de 2003, une condition sine qua non. Cependant l’UNESCO permet de revenir à la charge même après un premier succès avec le nombre limité des Etats requérants ; et renforcer le front des candidats pour d’autres sessions ultérieures.
Perspectives
Deux étapes de validation de la candidature sont importantes a l’UNESCO : au niveau su Secrétariat Technique pour l’approbation du dossier technique et scientifique soumis. Nous avons formellement gagné cette étape, d’après ce Secrétariat Technique. Reste le niveau du jury « politique » et « diplomatique » du Conseil Exécutif. Verdict 3e trimestre 2021. Un déploiement stratégique et un lobbying politique et diplomatique deviennent urgents aussi bien sur place en Afrique centrale qu’auprès des ambassadeurs à l’UNESCO.
Question récurrente : qu’adviendra-t-il comme dividendes après l’inscription officielle de la Rumba congolaise ? Ce sera un label confirmé sur le génie créatif des Congolais, et donc une incitation au partenariat autrement professionnel des mécènes, des sponsors et des producteurs. L’inscription officielle est aussi une interpellation en direction de nos Etats congolais en vue d’une responsabilité plus affirmée en termes de politique culturelle, notamment en termes de promotion des industries créatives et en termes de professionnalisation des métiers de la musique. Sans compter que ce label, bien entretenu, bien promu, est en droit d’améliorer l’image de marque de nos pays, comme une manœuvre de « soft power » au cœur d’une diplomatie culturelle d’hégémonie compétitive à l’échelle géostratégique.
Pr. Yoka Lye
Président de la commission/Rumba pour la promotion internationale