A en croire certaines études, l’Afrique constituerait un potentiel d’envergure dans la répartition mondiale des réserves en ressources naturelles encore inexploitées. La part de ce continent en réserves mondiales de minerais est assez impressionnante. Les études géologiques pertinentes semblent faire état de ce que l’Afrique disposerait à titre illustratif de 40% des réserves mondiales aurifères, 80 et 90% des réserves mondiales prouvées de chrome et de platine.
Ces chiffres qui attisent bien de convoitises, démontrent amplement que l’Afrique sera encore au cœur de la dynamique géopolitique mondiale des ressources minières et énergétiques de la part des Etats et des grandes multinationales, en vue d’une main mise sur ces minerais stratégiques. Dans ce jeu des acteurs internationaux pour l’exploitation des ressources minérales africaines, les entreprises de sous-traitance ne seront pas en reste, car à la faveur des récentes réformes minières à l’œuvre sur le continent, les législations nationales semblent avoir fait la part belle à ces entreprises dans la chaine de valeur de l’industrie extractive en vue de la fourniture des intrants. En vertu des obligations de préférence nationale contenues dans l’essentiel des codes miniers sur le continent, les entreprises de sous-traitance se sont vues accorder une certaine priorité dans le sillage de l’exploitation des minerais.
La République Démocratique du Congo (RDC), en est un exemple très évocateur en ce sens. En effet, certaines études révèlent clairement que les mines représentent près de 25 % du produit intérieur brut (PIB), soit la première place dans l'économie de la RD Congo ; ce qui laisse entrevoir une place importante pour les entreprises de sous-traitance dans le contexte minier dans ce pays. Ce constat est en droite ligne des dispositions pertinentes de l’Article 6 de la loi n° 17/001 du 08 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé en RDC qui énoncent clairement que : « L’activité de sous-traitance est réservée aux entreprises à capitaux congolais promues par les congolais, quelle que soit leur forme juridique, dont le siège social est situé sur le territoire national […] ». Cette disposition qui doit être lue avec celle du code minier de 2018 dans ce pays, met en lisse la sous-traitance dans la compétition qui oppose les acteurs du secteur minier en RDC.
Ces textes s’ils semblent salutaires d’un point de vue purement théorique et téléologique, il faut admettre qu’ils laissent la place à un questionnement empirique celui de la problématique du financement des entreprises de sous-traitance dans le secteur extractif africain et son impact dans la concrétisation des ambitions de préférence nationale.
Cette note d’opinion sans prétendre à l’exhaustivité, ambitionne simplement de faire la lumière sur la précarité financière des entreprises de sous-traitance comme une entorse à l’effectivité des politiques africaines en matière de préférence nationale (I), et de proposer un éventail de piste de solution pour favoriser l’efficacité du recours à la sous-traitance dans le contexte minier africain (II).
I-La précarité financière des entreprises de sous-traitance comme une entorse à l’effectivité des politiques africaines en matière de préférence nationale
L’idéal qui traverse la vision minière africaine de 2009 ainsi que la majorité des législations minières africaines relativement à la préférence nationale en faveur de la sous-traitance, est de permettre au maximum une grande immersion de celle-ci dans la chaine de valeur de l’industrie extractive. L’article 3 alinéa 9 de la loi de 2017 régissant la sous-traitance en RDC précitée, défini la sous-traitance comme : l’« […] activité ou opération effectuée par une entreprise dite sous-traitante, pour le compte d’une entreprise dite entreprise principale et qui concourt à la réalisation de l’activité principale de cette entreprise, ou à l’exécution d’une ou de plusieurs prestations d’un contrat de l’entreprise principale. ». L’alinéa 1 article 6 de la même loi abonde dans le même sens pour préciser que : « L’activité de sous-traitance est réservée aux entreprises à capitaux congolais promues par les congolais, quelle que soit leur forme juridique, dont le siège social est situé sur le territoire national […]». De ces textes, il ressort clairement que le législateur de 2017 en RDC a tenu à accorder une place privilégiée à la sous-traitance dans le secteur privé. Ce constat pertinent est confirmé par la loi de 2018 portant code minier en RDC qui au point sept de son exposé des motifs accorde « l’exclusivité de l’activité de la sous-traitance dans le secteur de mines et carrières aux seules sociétés dont la majorité du capital est détenue par des congolais ». Le législateur congolais de 2018, vient confirmer la volonté inscrite dans la loi de 2017 ci-dessus, tendant à mettre au centre des activités minières les entreprises de sous-traitance de droit congolais. La finalité de ces normes vise « domestiquer », la fourniture des intrants dans le secteur privé en général et minier en particulier en RDC et à limiter au mieux les rapatriements des avoirs à l'étranger ; toute chose qui profitera certainement à l'État et aux Congolais qui investiront dans la filière. D’un point de vue purement finaliste, l’ambition visé par ces textes est noble ; mais de façon pratique on pourrait constater une difficulté pérenne dans sa concrétisation effective : la précarité du financement des entreprises de sous-traitance.
La timidité de l’accès aux ressources financières comme entorse à la politique de préférence nationale dans le secteur minier en RDC
C’est un secret de polichinelle, que d’affirmer aujourd’hui que le manque de moyens financiers plombe l’espoir qu’on pouvait placer en la réussite des politiques publiques en matière de sous-traitance dans le secteur minier africain en général et de la RDC en particulier. Les experts du domaine minier en RDC s’accordent pour dire que la détention de la majorité du capital par les congolais, semble un vœux pieu, dans la mesure où il est rare de trouver des entreprises de sous-traitance qui soient véritablement financées majoritairement par des congolais. Selon certaines études, le capital des entreprises de sous-traitance est majoritairement détenu par des multinationales qui par le biais des prêtes noms arrivent toujours à évincer les nationaux congolais. En effet pour Muriel DEVEY MALU-MALU « […] la sous-traitance est principalement détenue par des sociétés de droit congolais, mais à capitaux majoritairement étrangers ou des filiales de multinationales, disposant de gros moyens financiers et d'expertises ». Il s’en suit que le problème de l’incapacité financière ou de l’accès difficile aux financements, constitue un blocus pour la réussite des entreprises de sous-traitance dans la filière minière en RDC. Cette difficulté est partagée dans tous les pays africains producteurs de minerais.
Pour soutenir ce constat à tout le moins alarmant, Maturin PETSOKO traitant des limites de mise en œuvre effective des politiques de local content en rapport avec les entreprises de sous-traitance dans la filière minière en Afrique, a pu affirmer avec vigueur que : « Le défaut des capacités techniques et financières des entreprises nationales ne permettent pas toujours de répondre aux besoins des sociétés minières. […]. La capacité des entreprises locales à fournir à des prix concurrentiels des biens et services conformes aux standards de qualité requise par les entreprises minières est loin d’être satisfaisante. ». C’est le même propos que semble tenir Juvénal MUNUBO lorsqu’il pose de façon sentencieuse que : « L’idée d’une participation plus active des Congolais à l’activité économique du pays est louable, mais la mise en œuvre sera très difficile ».
Le diagnostic posé sur la pratique minière en RDC, révèle dès lors à suffire, une carence accrue en financement des entreprises de sous-traitance. Celles-ci ne seront pas nécessairement à la hauteur des attentes placées dans les politiques qui ont présidé à l’adoption de la préférence nationale dans ce secteur d’activité.
Il est important si on veut compter sur la sous-traitance dans la filière minière en Afrique en général et en RDC en particulier, d’opérer une « chirurgie » profonde, à l’effet de revitaliser ces entreprises, par une promotion renforcée des mesures d’accompagnement progressives en termes de financement.
II- La nécessité du renforcement des mesures d’accompagnement des entreprises de sous-traitance dans la filière minière : une condition pour l’effectivité des obligations de préférence nationale
Il serait éminemment judicieux si on voulait favoriser la réussite des politiques de préférence nationale en Afrique en général et particulièrement en RDC, relativement à l’intervention de la sous-traitance, de renforcer les mesures tendant à faciliter l’accès au financement pour ces entreprises.
L’utilité du renforcement de l’accès des petites et moyennes entreprises au financement dans la filière minière
Dans l’optique de booster les entreprises de sous-traitance, pour leur permettre de répondre aux besoins du marché dans la chaine de valeur de l’industrie minière, il est impératif de renforcer les mesures tendant à faciliter l’accès de ces PME aux financement bancaires. Les Etats africains et l’Etat de la RDC, devraient promouvoir et encourager les initiatives tendant à mettre en place des mesures de trésorerie au bénéfice de ces entreprises sous certaines conditions bien déterminées. De telles mesures, participeraient pensons nous, à rendre effectif la compétitivité des entreprises de sous-traitance locales, face aux exigences constantes du secteur des mines. La faiblesse des capacités financières des acteurs locaux devrait être corrigée, à l’effet de stimuler au maximum les attentes placées en l’institution de la politique de local content. Les textes en matière de préférence nationale en Afrique devraient être assortis des mesures devant permettre aux entreprises de sous-traitance d’avoir des fonds de roulement consistants, pour répondre aux besoins ponctuels du secteur.
En effet, les projets miniers de grande envergure ayant des besoins importants d’approvisionnement en biens et services à tous les stades de leurs opérations, il est capital de développer et de favoriser la croissance des chaînes de sous-traitance locale ayant la capacité de se conformer aux standards exigés par les entreprises minières et de les approvisionner pendant toute la durée de leurs projets. Cette croissance de la sous-traitance ne peut être atteinte que si des politiques publiques de financement des PME dans la filière minière étaient consolidées au niveau des Etats producteurs de minerais à l’instar de la RDC. Selon avis d’expert, s’agissant de la RDC, il serait intéressant si on veut compter sur la réussite de la préférence nationale accordée aux entreprises de sous-traitance par la loi de 2017 suscitée de : « […] renforcer le financement et le champ d'action d'institutions comme le FPI, l'ANAPI, l'OPEC et toute entité publique chargé de subventionner les entreprises […] ». Il s’avère donc impératif de rejoindre l’avis d’observateurs avertis du domaine minier en RDC, qui formulaient le vœux de voir créer de lege feranda un véritable marché financier propice à soutenir le développement des entreprises de sous-traitance locales ou non dans ce pays. Un partenariat devrait être bâti entre les Etats africains producteurs de minerais et les entreprises de sous-traitance dans le sens d’une définition des politiques publiques devant impulser la réussite des obligations de préférence nationale dans le contexte africain
Au demeurant, il semble constant que la capacité des entreprises de sous-traitance en Afrique en général et en RDC en particulier, reste fragile du fait d’une insuffisance des moyens financiers. Si les Etats veulent favoriser l’apport de ces entreprises dans l’accroissement du tissu économique local, il serait judicieux de repenser au mieux les politiques actuelles visant à promouvoir le financement des structures locales ; toute chose devant sans doute avoir une incidence réelle sur la réussite et même la vitalité pourrait-on dire de la préférence nationale dans la filière minière africaine.
Me Cabral HOOGUEP
Avocat aux Barreaux du Rwanda et du Cameroun
Chercheur à l’Institut Québécois des Affaires Internationales
Email : hooguep@gmail.com