Par OKUNDJI KASONGO Pat
L’aube vient juste de se lever en République démocratique du Congo, et je vois, sans bien le comprendre encore, un projet de texte de loi sur la toile. Je regarde à la télévision, et peu è peu se dessinent beaucoup de présences que je commence à reconnaître. Je constate en balayant l’ensemble de l’horizon que plusieurs personnalités politiques sont présentes. Et la première que je distingue c’est le professeur Noël TSHIANI MUADIAMVITA. Comme d’habitude, dans une attitude faussement désinvolte mais éminemment calculée, il nous présente un projet de texte de loi signé de sa main en bas du dernier paragraphe.
Se faisant accompagner d’un certain NSINGI PULULU député national du district de la funa, qui déclare avoir déposé cette proposition de loi au parlement en date du 08 juillet 2021, l’initiateur de cette loi, le professeur Dr Noël TSHIANI précise que son texte vise à protéger le pays contre l’infiltration étrangère,cause principale de l’insécurité qui décime les populations, de la prédation de ressources naturelles et de la déstabilisation des institutions politiques, par la limitation d’accès aux fonctions dites stratégiques aux seuls congolais nés de père et de mère. On se demande si tous les chefs d’États prédateurs africains n’ont été que des nationaux en moitié, c’est-à-dire nés soit d’un père étranger soit d’une mère étrangère.
Alors pourquoi ne l’a-t-il pas déposé au parlement lui-même? La réponse est qu’il n’est pas député et que l’article 130 de la constitution du pays et 122 du règlement intérieur de l’assemblée nationale reconnaissent aux seuls députés et sénateurs l’initiative des lois, concurremment avec le gouvernement.
Dans cet article, il sera question de porter un regard attentif sur la procédure d’élaboration des lois au parlement (1), sur la recevabilité de ce texte de loi au parlement(2) au regard de l’article 130 de la constitution et 122 du règlement intérieur de l’assemblée nationale, et nous en profiterons pour mettre en lumière quelques abus de parlementaires (3) dans l’exercice de leur métier. Et nous parlerons en fin de lois qui sont mal faites inutiles et inintelligibles(4). Il ne sera pas question ici d’examiner le bien-fondé de cette loi ou son opportunité mais de faire la démonstration que la procédure n’est pas respectée.
1. Procédure d’élaboration des lois
L’article 122 du règlement de l’assemblée nationale précise que « l’initiative de la loi appartient au gouvernement,à chaque député et à chaque sénateur.
L’initiative de la loi émanant d’un député ou d’un sénateur est dénommée proposition de loi tandis que celle émanent du gouvernement s’appelle projet de loi ».
les discussions et adoptions des projets et propositions des lois se font conformément aux articles 128, 129, 130, 131, et 132 du règlement intérieur.
Ne font exception au principe de l'exercice concurrent du droit d'initiative que les textes pour lesquels le gouvernement dispose, en fait comme en droit d'un monopole de présentation. C'est le cas de lois des finances en vertu respectivement des articles 126 et 127 de la constitutions.
Le terme initiative prévu par l’article 130 de la constitution désigne l’action d’une personne qui propose, entreprend, organise (qqch)en étant la première. C’est le droit de soumettre à une autorité compétente une proposition en vue de la faire adopter « Alain Ray, Le robert micro, éd Poche,paris 2021 ».
C'est l'action d'entreprendre ou de suggérer quelque chose avant les autres. Qualité de celui qui sait décider et agir de lui-même « Dictionnaire encyclopédique, Auzou, paris, 2021.
Les parlementaires, députés et sénateurs déposent propositions et amendements soit à titre individuel, soit plus souvent à titre collectif, au nom des membres d’un groupe parlementaire « Pierre Pacté, institutions politiques et droit constitutionnel, 20e édition, Armand colin,paris, 2021, p.468 ».
L'initiative parlementaire appartient individuellement à chacun de membre du parlement. C'est une prérogative qui s'exerce de manière personnelle, dans leur assemblées respectives par chacun des députés et chacun de sénateurs conformément à l'article 122 du règlement intérieur.Cependant, rien ne s'oppose à ce que plusieurs députés ou sénateurs se concertent pour déposer une seule proposition de loi.
De ce point de vue, à partir du moment ou cette proposition de loi a été initiée par un non député, bien que déposé au parlement par un député, est-elle recevable?
2. De l’irrecevabilité de cette proposition de loi
A l’assemblée nationale, une irrecevabilité peut-être opposée avant le débat en plénière par tout député. Elle peut tenir notamment à la violation d’une disposition constitutionnelle sur la procédure d’élaboration de la loi. Elle peut être financière ou législative. Point n'est besoin d'entrer de le détail.
L‘article 129 al 2 du règlement intérieur de l’assemblée nationale précise que le débat général sur les projets ou propositions des lois s’engagent après présentation de l’économie du texte par L’auteur du projet ou de la proposition de loi sous examen. La question qui peut être posée à ce stade est de savoir si monsieur Noël TSHIANI viendra au parlement défendre sa loi. Et bien non. conformément à l’article 8 du règlement intérieur, seuls les députés sont autorisés à prendre part au débat en plénière. De ce fait, cette proposition de loi ne pourra pas être présentée à l’assemblée nationale. Premier motif d’irrecevabilité.
Monsieur NSINGA PULULU,en annonçant que c’est lui qui a déposé ce texte au bureau de l’assemblée nationale, n’a pas nié le fait que ce n’est pas lui qui l’a initié. D’ailleurs, il n’est un mystère pour personne que ce projet porte l’emprunte de monsieur Noël TSHIANI qui lui n’est pas député. Alors par quel mécanisme peut-on présenter au parlement une proposition de loi dont on ne connaît ni tenants ni aboutissants. Et quand on sait que l’article 130 de la constitution précise que l’initiative des lois appartient au gouvernement, concurremment aux députés et aux sénateurs. Deuxième motif d’irrecevabilité.
Cette situation ternie l’image des députés qui sont devenus apparemment des caisses de résonance du pouvoir invisible et mystérieux. Mieux, du pouvoir méphistophélique.
Ce qui nous permet de mettre en lumière les abus de certains députés pourtant élus pour défendre les intérêts des populations.
3. Les abus de députés se ramassent à la pelle
J’ai découvert avec effarement qu’en dehors des infractions référencées dans le code pénal congolais dont la corruption, il y a aussi après ou concomitamment aux infractions dont les députés, ( certains pas tous) se rendent coupables, une multitude d’abus commis joyesusement dans une opacité savamment distillée et autoentretenue, toutes tendances politiques confondues.
C’est le cas notamment de l‘endossement des lois. Une pratique qui consiste à présenter au parlement des lois dont ils ne sont pas initiateurs, en violation des dispositions constitutionnelles et réglementaires. Paresse ou incompétence, on en sait rien.
Le député est un membre élu de l’assemblée nationale qui exerce le pouvoir législatif. De nos jours, sa mission principale est de mettre en œuvre un doit d’origine législative. Elisabeth ZOLLER soutient que le pouvoir législatif est la puissance de donner la loi à tous en général et à chaque en particulier « Elisabeth FOLLER, Droit constitutionnel, 2e éd,Puf,paris,1998, p. 351 ».
Comme l’a définit Jean Bodin, « c’est le plus haut pouvoir de l’Etat ». celui que Locke qualifiait à juste titre de « suprême ».le pouvoir législatif est la marque même de la souveraineté tant il est vrai,comme le relevait Tocqueville, qu’on peut définir la souveraineté, le droit de faire les lois. La loi est un commandement et celui qui fait la loi commande par cela seul à la communauté toute entière.
Ce pouvoir que nous venons de décrire est conféré aux membre du parlement par les élections. Alors en vertu de quoi une personne qui n’est pas élue peut-elle se permettre de légiférer.
4. Des lois de plus en mal faites, inutiles et inintelligibles
Non seulement il y a trop d’élus, qui pour certains s’en mettent plein les poches et s’accordent des privilèges démesurés, il est aujourd’hui démontré que les lois sont de plus en plus mal fagotées et rédigées à la va-vite. Un à-peu-près érigé en système qui ne peut que générer des injustices, des discriminations et des abus flagrants.
Il fut un temps, après 1960, ou les parlementaires prenaient leur temps pour examiner et peaufiner une loi avec l'assistance des experts. Depuis quelques années, la précipitation remplace la précision. Le désire excessif d’avoirs et du pouvoir a atteint le paroxysme, au point que la concentration n'est plus de mise. Conséquence, plutôt que de nous faire des propositions des lois pour assurer la virginité des candidats par exemple, on assiste à un foisonnement de lois qui ne visent qu'à se faire mousser et à consolider le socle du pouvoir politique.
Par OKUNDJI KASONGO Paty
Avocat et Chercheur en fiscalité et finances publiques à l'EHESS