Haut-Katanga: le viol, cancer silencieux des femmes détenues dans les prisons - Enquête

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Dans la province du Haut-Katanga au sud de la République Démocratique du Congo, des femmes détenues dans les prisons sont exposées au viol et autres traitements inhumains. C’est le cas de celles détenues à la prison de Kasapa à Lubumbashi et à la prison de Boma dans le territoire de Kipushi. Elles vivent ces supplices au quotidien et en silence de craintes de représailles, sous le regard complice de certains responsables de ces maisons carcérales. Entre témoignages, droits de l’homme et avis des experts, le viol constitue un cancer silencieux qui ronge les femmes détenues dans les prisons du Haut-Katanga.

Difficile de dire un mot sur le calvaire de ces femmes détenues dans les deux prisons du Haut-Katanga que nous avons visitées. Difficile également de leur tirer les vers du nez. Le traumatisme semble les avoir anéantis au point que certaines victimes en sont marquées pour la vie. Malgré toutes ces pesanteurs, d’autres ont décidé de briser le silence. Dalia, Christine, Mateso ou Meta (*noms d’emprunt) se considèrent comme de véritables parias, des femmes indignes des morts-vivantes. Leur histoire est inédite, simplement dramatique. «Si je n’étais pas mère, je me serais déjà suicidée», nous confie Dalia(*), détenue à la prison de Kasapa/Lubumbashi depuis deux ans.

Comme Dalia, ce sont une centaine de femmes détenues dans les prisons de Kasapa à Lubumbashi et de Boma à Kipushi qui font les frais de cette pratique. En effet, 90% d’entre elles affirment avoir  été victimes du viol durant leur emprisonnement. Le silence de certaines d’entre elles s’explique par le fait que le système est organisé par ceux-là mêmes qui sont censés protéger et sécuriser ces femmes. Ce qui indique que ce chiffre ne reflète pas entièrement la réalité. Cette pratique tend à devenir la norme, selon plusieurs victimes. Elle se déroule très souvent sous le nez des responsables pénitentiaires qui en font une activité lucrative. Une version soutenue par les victimes elles-mêmes et  l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO).

Des vies brisées

Au moment de son arrestation au mois d’août 2018, Dalia  est âgée de 37 ans, mariée, mère de deux enfants et enceinte. Elle a été emprisonnée pour s’être bagarrée avec sa voisine dont elle avait crevé un œil. Avant son emprisonnement Dalia était au courant de ce que subissaient les femmes détenues. Elle a souvent entendu parler de viol et d’autres abus sexuels qui se commettent dans les maisons carcérales. Les nuits sont souvent atroces à la prison de Kasapa, raconte-t-elle. « C’est la terreur car ceux qui sont chargés de la sécurité nous tourmentent et nous empêchent de dormir. Il y a même des commissionnaires au service des prisonniers nantis qui les paient en échange des services sexuels. Les femmes détenues sont obligées par les responsables  de se  prostituer pour avoir de quoi manger », témoigne Dalia. « C’est un cauchemar qui s’éternise tant qu’on est prisonnière ».

Des propos que confirment Jean-Claude Baka, responsable de l’ASADHO (Association africaine de défense des droits de l’homme) à Lubumbashi. « Nous avons enregistré un cas d’une femme qui a été violée en prison. Ce genre des choses se passent souvent en connivence avec les responsables de la prison », soutient-il.

Dalia apprend à souffrir en silence et affronte une vie marquée par la solitude. Ses nuits sont entrecoupées des rêves terrifiants où elle craint parfois d’assister à sa propre mort. Le viol l’a définitivement marqué. Elle résume sa vie en prison en ces termes : «Je  suis  sale,  je  suis  devenue  une  pourriture,  qu’est-ce  qu’un homme comme mon mari viendra chercher auprès d’une femme abîmée par plusieurs hommes ? ». Ses larmes traduisent une douleur morale désarmante. Les derniers mots qu’elle nous adresse sont sans ambiguïté: « autant mourir ».

Le cas de Dalia est loin d’être une exception. Christine* a été emprisonnée  dans la prison de Boma à Kipushi lors d’un conflit  entre deux familles autour d’une succession en janvier 2020.  Son malheur est d’avoir été à un moment la seule détenue femme de cette maison carcérale. Pire, elle connait le nom et le visage de son  premier agresseur  en prison. Elle dit qu’elle aimerait le voir arrêté. « Mais ce serait difficile de l’attraper parce qu’il s’est déjà évadé de la prison », explique le directeur de la prison de Boma.

L’histoire de Christine est pathétique : «Les prisonniers hommes m’ont emmené de force parce que j’étais la seule détenue femme. Ils étaient trois. L’un d’eux m’a violé tandis que les autres assistaient. Je suis restée dans leur dortoir toute la nuit et la scène s’est répétée ainsi chaque nuit pendant des semaines. Je suis tombée enceinte et j’ai perdu le bébé. Je suis retombée enceinte ».

Christine pense avoir eu de la chance. Car, raconte-t-elle : « Il y a eu une autre fille qu’on avait amené en prison après moi. Elle a aussi été violée par les mêmes hommes. Lorsqu’elle en était à son quatrième mois de grossesse, elle est morte. Chaque fois que nous essayions de nous enfuir, nous étions battues ». Témoignage confirmé par le directeur de la prison qui précise qu’en effet,  Mwansa*, l’autre fille violée, est décédée  à l’hôpital de référence Betty de Kipushi où elle était conduite  pour des soins.

Mateso: le calvaire d’une mineure violée

Mateso*(Nom d’emprunt) elle, est une fillette mineure prisonnière à la Kasapa.  Elle a été violée par une vingtaine d’hommes lors des évènements du 25, 26 et 27 Septembre 2020. Ce 25 septembre-là en début d’après-midi, des prisonniers hommes se rebellent et attaquent le pavillon des femmes. Etant la plus jeune, timide et air innocent, Mateso est la plus désirée. Elle est violée durant trois  jours par plus de 20 hommes, témoigne-t-elle.

L’histoire de son arrestation est des plus rocambolesques. « N'ayant pas obéi à  un ordre de la nouvelle femme de son père, elle est accusée sans preuves d'avoir maltraité son petit frère, fils de la nouvelle mère et avoir volé les bijoux de celle-ci ‘’. Sa marâtre la fera donc arrêter. D’après maître René Mulumba son avocat, elle est amenée directement à la prison de la Kasapa sans procès. « Et pourtant en tant que numéro 1 de la prison, le directeur  coordonne  et  supervise  l’ensemble.  Il  dispose  du  pouvoir  de  refuser  l’incarcération  d’un détenu si tous les préalables ne sont pas remplis au regard de la loi.»

En effet, les articles 30 et 34 de l’ordonnance 344 du 17 septembre 1965 relatif au régime pénitentiaire indiquent clairement que : «Le gardien ne peut procéder à l'incarcération d'un détenu dans une prison ou dans un camp de détention que sur présentation d'un des titres suivants…au nombre des quels...une réquisition en exécution des jugements ou arrêts émanant soit du ministère public, soit du juge lorsque celui-ci a siège sans l'assistance du ministère public. Cette réquisition doit contenir la mention que le jugement ou l'arrêt a acquis force de chose jugée. »

Des conditions souvent non remplies, se plaint Me René Mulumba. Ce qui n’empêche nullement les juges et responsables des prisons d’ordonner l’incarcération de nombreux innocents.

La prison détruit…

« Entrer en prison avec votre honneur mais ressortez sans», s'indigne Meta* qui raconte qu’aucune des femmes emprisonnées à la Kasapa n’est épargnée des viols et des tortures durant sa détention. Aujourd'hui en liberté, la jeune femme souffre de nombreuses maladies. De plus,  Meta est rejetée par ses proches pour avoir été violée.

Elle indique avoir été arrêtée au motif qu’elle faisait partie  des adeptes de Mukumbila le 30 décembre 2013 à Lubumbashi et accusée de rébellion. Transférée à la prison de Kasapa, Meta* explique avoir rencontré des femmes semblables à des cadavres en prison, affamées, rongées par les viols, la peau sur les os. « C’est comme si le temps s’était arrêté à cet instant». Elle a vu des femmes détenues être trainées de force  dans les corridors de la prison par des détenus hommes.

« Si vous saviez ce qu’il se passe la nuit dans la prison », raconte Merry*, également victime du viol en prison de Boma à Kipushi, répugnée face au comportement des autorités pénitentiaires rencontrées le premier jour de son arrivée en prison. « Ils  demandaient à ce qu’on leur  apporte les plus belles femmes détenues. Il y avait deux pièces dans leur bureau, celle à l’arrière était utilisée pour coucher avec les femmes par force ».

Merry* confie que l'une des filles, tombée enceinte à la suite d’un viol, a perdu la raison après avoir vu le bébé naitre. Indignée la jeune femme confie que personne ne leur accordait d’importance en prison. Divorcée de son mari et reniée par sa famille, bien qu’en liberté aujourd’hui, Merry* est dénigrée pour avoir été violée.

Responsabilités multiples

Le viol et les violences sexuelles que connaissent les femmes détenues sont devenus banaux. A en croire Me Sylvie Nkolomoni, avocate et présidente de l’ONG la Voix du Savoir  (LAVOS), une structure qui milite pour la promotion et la défense des droits  de la femme et des enfants, la plupart des victimes sont des personnes en détention préventive.

Plusieurs facteurs  seraient à la base de cette situation. C‘est notamment la surpopulation carcérale, la promiscuité, le gain tiré  du monnayage des femmes, le manque de nourriture et la banalisation du phénomène viol dans les prisons par la justice. Le rapport de monitoring mené par le Comité de suivi pour la contribution des communautés et églises à la transformation humaine (COSCCET)  dans les prisons du Haut-Katanga démontre amèrement que la majorité des prisons ont dépassé le seuil tolérable allant jusqu'à 400% de la population carcérale notamment dans les prisons de la Kasapa à Lubumbashi, et de Boma à Kipushi.

La surveillance interne des prisons est assurée par des détenus eux-mêmes en violation de l’article 20 et 21 de l’ordonnance 344 du 17 septembre 1965 relatif au régime pénitentiaire qui disposent que: «La surveillance immédiate des détenus est exercée par les surveillants (article 20). Art. 21. - Dans les prisons, maisons d'arrêt ou camps de détention où il n'est pas possible de placer des surveillants ou d'en placer en nombre suffisant, la surveillance est exercée par des gendarmes, des agents de la police nationale ou de la police provinciale».

Le délabrement  des locaux des prisons contribuent à  renforcer la crainte et le sentiment d’insécurité ressenti par les femmes.

Le système pénitentiaire en province est aussi négativement affecté par les faiblesses du système judiciaire lui-même, notamment à cause du faible niveau de suivi et de contrôle par les parquets de la situation des détenus, hommes et femmes au regard des lois internes. Cela engendre de fréquents dépassements des délais légaux de détention, contribuant ainsi à une surpopulation dans les prisons et à un manque de sécurité pour les femmes. Toutes les deux prisons que nous avons visitées sont vétustes et insalubres, accusant une absence de formation adéquate et sensible au genre pour le personnel.

Dramatiques journées de septembre 2020

La séparation des catégories des détenus n’est pas respectée, les hommes, les femmes et les mineurs sont gardés dans le même enceinte ce qui renforce l’insécurité, surtout pour les femmes. C’est notamment cette dernière cause qui serait à la base des événements que l’on pourrait qualifier de dramatiques les 25, 26,27 septembre à Kasapa.

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Une vue du bureau administratif de la prison de Kasapa saccagé lors du soulèvement des prisonniers le 25 septembre dernier

Il s’agit d’un crime presque oublié qui s’est produit ces trois jours de septembre 2020 à la prison de Kasapa à Lubumbashi où des détenues femmes ont étés  violées collectivement avec violence et menace de mort. Leur nombre diffère d’après des sources. Pelard Ilunga, directeur de la prison parle d’une cinquantaine alors que l’ONG GANVE (Groupe d’Action Non-violence Evangélique) évoque le chiffre de 87 femmes violées.

D’après les  témoignages de quelques victimes rencontrées, les prisonniers hommes présentaient  aux femmes la machette en leur disant : « Choisissez entre la mort et l’acte sexuel », indique une policière, la  soixantaine révolue, détenue pour avoir perdu son béret. « Les femmes vulnérables étaient obligées de choisir la vie en cédant  au viol. Celles qui ont tenté de résister se sont vues agresser et blesser », précise Me Emmanuel Kifungo de l’ONG GANVE.

Et comme si cela ne suffisait pas, un prisonnier auto-proclamé chef des détenus a réussi à  ravir aux  détenues femmes leurs téléphones, les coupant ainsi de tout contact avec leurs familles ou avec leurs avocats durant ces événements.

Le viol collectif des femmes à la prison de Kasapa en septembre dernier a provoqué la clameur publique. Les victimes n’ont reçu aucun soin ni aucun accompagnement juridique. L’ONG GANVE déplore par exemple le fait que ces cas de  viol massif  se soient commis sous l’œil impuissant et complice des autorités tant civiles que militaires du Haut-Katanga. Un avis non entièrement partagé par les services compétents qui affirment avoir pris les choses en mains. Bruno Prudence Kwete, conseiller au ministère provincial de l’intérieur et sécurité du Haut-Katanga indique que tous ceux qui s’étaient soulevés à la prison le 25 septembre ont été  transférés à la prison dite de haute sécurité de Buluwo à Likasi y compris les bourreaux. 

Pour sa part, Teddy Katumo Lumbu, procureur de la République assure avoir envoyé une équipe le 3 octobre pour interroger les victimes dont certaines s’étaient résignées d’après lui. « En envoyant une équipe à la prison, l’idée était d’auditionner toutes les victimes de viol. Mais lorsque l’équipe est arrivée sur le lieu, 25 femmes seulement s’étaient présentées devant les magistrats et lorsqu’on devait les interroger, trois se sont retirées. C’est ainsi qu’on a pu auditionner seulement 22 femmes», se plaint Teddy Katumo.

Le procureur affirme également que le médecin Directeur de l’hôpital général de référence Jason Sendwe a été requis le 5 octobre pour examiner toutes les victimes des viols qui avaient comparu mais le rapport de ces examens tardent à être connus à ce jour. « Toute fois le magistrat qui a en charge ce dossier a été instruit pour rappeler au médecin directeur le terme de sa réquisition», a conclu le procureur.

Des victimes sans accompagnement

Pour leur part, les victimes disent ne s’être pas senties en sécurité pour témoigner. Aux termes de la loi congolaise, les procureurs et les juges doivent prendre des précautions particulières pour protéger les victimes et les témoins de violences sexuelles.  Ainsi, la loi mentionne spécifiquement le recours à des audiences  à huis clos comme étant un des moyens de protéger une victime. La victime a également le droit de consulter un médecin et un psychologue.

A Lubumbashi,  la clinique juridique est l’unique structure qui accompagne les victimes de violences sexuelles devant les instances judiciaires. Il y a quelques années,  elle accompagnait 100 victimes par an. Aujourd’hui,  elle ne peut suivre que 20  cas car elle n’a plus de financement. Mais il y a une autre difficulté. Certains magistrats  exigent  parfois aux victimes des frais qui  vont parfois jusqu’à mille dollars et c’est  au-delà de leurs moyens financiers, explique Timothée Mbuya de l’ONG Justicia et responsable de la clinique Juridique.

« Pour confirmer la plainte, il faut acheter des papiers. Quand un magistrat doit descendre sur le terrain pour la reconstitution des faits, il demande toujours des frais. Le non payement de ces frais-là met parfois le magistrat dans la position inconfortable de demander aux parties de trouver un compromis», indique Timothée Mbuya. Des pratiques condamnées par le procureur général, Léon Kuminga qui affirme avoir mis en garde les magistrats contre la corruption dans les cas de viol.

La protection d'une victime de viol dans le contexte d'un procès est un impératif juridique, souligne Arlette Kaj, avocate et membre du réseau anticorruption de Lubumbashi. «En RDC, l'appareil judiciaire souffre de faiblesses, la tâche de protéger et soutenir les victimes qui recherchent réparation juridique est d'autant plus complexe. L'État n'a pas d'infrastructures, ni de moyens financiers ou de mécanismes opérationnels pour fournir la totalité du soutien dont les victimes ont tant besoin. Cependant, le besoin de justice est capital. Sans la participation des victimes et de personnes prêtes à témoigner, la possibilité de rendre justice et de mettre fin à la culture d'impunité continuera à souffrir de graves limitations», argue l’avocate.

Vers des pistes de solution palliatives

A défaut de prendre en charge convenablement les victimes des viols ou de mettre définitivement fin au laxisme des services judicaires et pénitentiaires,  plusieurs observateurs et activistes des droits humains proposent une relocalisation des femmes détenues de Kasapa. En effet : «les stigmates des viols répétés  de ces femmes prisonnières sont encore visibles. C’est le cas de la fillette (Mateso*) violée par plus de vingt hommes.  Elle n'a reçu aucun soin à ce jour et continue de saigner. Elle dort dehors dans un hangar faute de pavillon pour accueillir les femmes. Son mal est encore plus dur lorsqu’elle voit ses bourreaux se promener dans la cour de la prison», se plaint, impuissant, Joseph Kongolo, coordonnateur provincial de la Commission nationale des droits de l’homme(CNDH).

Il serait donc urgent, comme le souhaitent ces femmes elles-mêmes, de les déplacer vers un autre lieu de détention afin de ne pas pouvoir croiser les regards toujours menaçants de leurs bourreaux. Les femmes victimes de viol à la Kasapa se retrouvent actuellement sans abris et partagent la même cour que les détenus de sexe masculin. Une situation qui révolte certaines femmes à Lubumbashi, comme Mamy Umba chargée du genre au Cadre de concertation de la société civile du haut-Katanga qui exprime sa révolte: «qu’on sépare physiquement ces femmes d’avec les hommes. Tant que ces femmes ne seront pas recasées ailleurs, même si vous leur donnez des médicaments pour lutter contre les maladies sexuellement transmissibles ou les grossesses, elles vont tomber dans le même scénario et ça ne va pas changer grand-chose.»

La problématique des femmes violées dans les prisons du Katanga est une belle illustration de la déliquescence de l’Etat et de l’impuissance si pas de la complicité des milieux judiciaires sur ces crimes silencieux qui feront, peut-être, l’objet d’enquêtes judiciaires plus approfondies un jour. En attendant, des dizaines de femmes, peut-être des centaines, sont violées chaque jour dans les prisons, dans un silence assourdissant.