Jeux de la Francophonie: une opportunité manquée?

ACTUALITE.CD

Par Mabiala Ma-Umba, ancien Directeur de l’éducation et de la jeunesse à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

02 juillet 2019 : l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) annonce, à l’issue de son Conseil permanent, que Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo (RDC), abritera les 9ème Jeux de la Francophonie, après le désistement de la province canadienne du Nouveau Brunswick. La décision est unanime mais quelques Etats membres de l’OIF, n’hésitent pas à exprimer, en coulisses, leurs inquiétudes et doutes. Quant aux Congolais, beaucoup se demandent alors à quoi serviraient ces Jeux alors que le pays est en crise, à la fois sur le plan économique, politique et sociale. Initialement, ces Jeux devaient se dérouler en juillet-août 2021 mais, à cause de la pandémie de Covid-19, l’OIF et le gouvernement de la RDC ont pris la décision de les reporter au mois d’aout 2022.  A environ 16 mois de ces Jeux, les observateurs intéressés constatent que les préparatifs n’avancent pas, donnant ainsi raison à ceux  qui pensaient, à tort ou à raison, que la RDC serait incapable d’organiser, avec succès, un tel événement !  Certes, le Chef de l’Etat vient de prendre le taureau par les cornes en s’impliquant personnellement, notamment en  nommant un Haut-Représentant au Comité National des Jeux, mais de sérieuses inquiétudes demeurent !

Rappelons d’abord que ces Jeux devraient être une aubaine pour la jeunesse congolaise en particulier et pour la RDC en général. Nous étions parmi les acteurs principaux qui avaient initié la candidature de la RDC et mobilisé le soutien en faveur de Kinshasa. Nous avions été guidés par le souvenir de la Coupe Africaine des Nations de Football (CAN) 2002 au Mali. Devant ceux qui, quelques années auparavant, ne comprenaient pas pourquoi le Mali, pauvre et empêtré dans une profonde crise économique, s’était porté candidat pour accueillir ce grand événement continental, le Président malien de l’époque, Alpha Konaré, répondait inlassablement : « pour le Mali, la CAN est un projet économique » !  Effectivement, grâce à la CAN, le pays s’était doté de routes et d’autres infrastructures, notamment hôtelières. Sur le plan économique, les retombées de la CAN 2002 furent inestimables ! C’est dans cette perspective que, profitant de nos fonctions au sein de l’OIF, nous avions impulsé la candidature de la RDC.

Les Jeux de la Francophonie ont la particularité d’abriter des compétitions sportives et un ensemble de concours culturels et scientifiques, en épreuves individuelles et collectives. A titre d’exemple,  les compétitions sur la création numérique et les projets de développement durable ont connu un immense succès lors des éditions précédentes des Jeux de la Francophonie. Les Jeux de la Francophonie rassemblent trois à quatre mille artistes et athlètes ainsi que plusieurs centaines de personnalités officielles dont de nombreux Chefs d’Etat et de gouvernement, des ministres et ambassadeurs venant de différents pays membres de l’OIF. Présentement, l’OIF compte 88 Etats et gouvernements membres (y compris les membres associés et observateurs). Les Jeux de la Francophonie permettent, entre autres, de faire connaître l’originalité des cultures francophones dans toute leur diversité et favorisent les échanges entre jeunes de différents pays francophones. 

Ce que les Jeux pouvaient apporter à la RDC

Mais au-delà des jeunes, les Jeux de la Francophonie constituent un événement politique, culturel et économique majeur. Dans notre entendement, les Jeux auraient pu constituer une opportunité de mobiliser la jeunesse autour des enjeux du numérique, du développement durable, des arts, de la culture et du sport, sur l’ensemble du territoire national et pas seulement à Kinshasa. Ils auraient été une opportunité d’identifier et de promouvoir des jeunes talents dans différents domaines (en lien ou non avec les Jeux de la Francophonie) et de les soutenir de manière concrète. Par exemple, en amont des Jeux, la RDC aurait pu planifier un « Festival national des talents », une sorte de vitrine qui mettrait en valeur les nombreux talents dont regorge le pays. Au-delà de l’aspect évènementiel, les Jeux de la Francophonie auraient pu, également, constituer une occasion d’actualiser la politique gouvernementale en matière de jeunesse et de sports et de se doter d’une feuille de route réaliste et consensuelle sur les questions de jeunesse et de sports.

Les Jeux de la Francophonie auraient pu constituer un enjeu économique et social non négligeable : c’est indéniablement une opportunité d’améliorer certaines infrastructures (et pas seulement les sites sportifs), d’en construire de nouvelles et de rentabiliser celles qui existent. Les Jeux auraient pu contribuer à renforcer la cohésion nationale, le regain patriotique, l’unité nationale : dans cette perspective, la préparation des compétitions devrait, en effet, concerner l’ensemble du pays et pas seulement la Ville de Kinshasa. Mais, au-delà des considérations patriotiques, divers événements culturels, économiques, scientifiques d’envergure nationale auraient pu être planifiés en amont des Jeux, avec différents ministères, en partenariat avec des acteurs clefs du secteur privé et de la société civile ainsi qu’avec les agences de la coopération bi et multilatérale.

Accueillir, pendant une dizaine de jours,  plusieurs milliers de visiteurs venant de tous les horizons du monde est une occasion que la RDC devrait saisir pour donner une impulsion à la politique touristique du pays. Par ailleurs, le site choisi pour abriter le Village des Jeux - la Foire internationale de Kinshasa (FIKIN) – est un symbole : la réhabilitation des pavillons de la FIKIN devrait permettre de relancer un événement annuel majeur qui, jadis, avait été considéré, pendant longtemps, comme le baromètre de l’économie congolaise et un outil important pour le commerce extérieur. Si les installations de la FIKIN sont réhabilitées et que cette entreprise nationale relance ses activités, elle redeviendrait un outil précieux pour faire rayonner l’image de la RDC à travers le monde.

L’attribution des Jeux de la Francophonie à la RDC (plus grand pays francophone après la France, en termes du nombre de locuteurs réels) aurait pu constituer une occasion propice pour lancer une réflexion stratégique sur le rôle et la place de la RDC au sein de la Francophonie. Cette réflexion stratégique est d’autant plus pertinente que l’OIF qui vient de célébrer son cinquantenaire, se prépare à repartir sur de nouvelles bases, sous le signe du renouveau et de la refondation (les Chefs d’Etat en discuteront lors du XVIIIe Sommet qui se tiendra en Tunisie en 2022). Cette réflexion stratégique devrait permettre à la RDC de définir sa doctrine par rapport à la Francophonie, le rôle qu’elle souhaiterait jouer dans les prochaines années, les responsabilités qu’elle entend assumer, les bénéfices que le pays espère en tirer, les conséquences et les implications qui en découlent, les dispositions qu’il convient de prendre dans la conduite de la politique étrangère de la RDC ainsi que les structures internes qu’il convient de mettre en place pour soutenir l’engagement de la RDC vis-à-vis de la Francophonie. Cette réflexion ne devrait pas se limiter à la dimension politique ; elle devrait cerner tous les aspects de la coopération avec les Institutions de la Francophonie, y compris l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ainsi que les Conférences ministérielles permanentes (la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie– CONFEJES- et la Conférence des ministres de l’Education Nationale de la Francophonie - CONFEMEN), l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) et l’Association internationale des maires francophones (AIMF).

Enfin, l’organisation des Jeux de la Francophonie aurait pu constituer un enjeu diplomatique important: c’est l’opportunité offerte à la RDC de redynamiser ses relations diplomatiques avec quelques Etats membres de l’OIF, sur les cinq continents, de renouer des liens de partenariat avec des pays comme la Roumanie ou la Bulgarie ou d’amorcer de nouvelles relations avec des pays plus lointains comme le Vietnam. En résumé, l’organisation des Jeux de la Francophonie aurait pu constituer une occasion pour la RDC de retrouver sa place et de renforcer sa présence au sein de la Francophonie.

Depuis l’attribution des Jeux, presque deux ans se sont écoulés. Nous avons tourné en rond mais il n’est pas trop tard pour bien faire…Signalons, pour terminer, que, d’après des rumeurs persistantes, un pays voisin serait prêt à accueillir la 9e édition des Jeux de la Francophonie, en lieu et place de la RDC si, pour une raison ou une autre,  celle-ci y renonçait !

MMU