RDC : diplômée à 60 ans, Esther Lukalu veut poursuivre des études universitaires

RDC : diplômée à 60 ans,Esther Lukalu veut poursuivre des études universitaires

ACTUALITE.CD est allé à la rencontre de Esther Lukalu, une sexagénaire, qui a récemment obtenu son diplôme d’Etat à Kinshasa. Secret, motivation, projets d’avenir, elle a tout livré ce 20 Novembre au Desk Femme. 


Mariée à 15 ans, Esther Lukalu n’a pas pu achever ses études secondaires.

« C’était en 1975. J’ai interrompu mes études alors que j’étais en 3ème année des humanités pédagogiques. Avec le temps, j’ai nourri un complexe. Je rencontrais des amies, je voyais des femmes de mon époque qui ont terminé leurs études. C’était devenu comme un défi, il fallait que je le relève à tout prix. Je voulais atteindre cet objectif. Et quand tous mes enfants ont terminé leurs études, je su qu’il n’y avait plus rien qui m’empêche de me lancer », se souvient Mme Lukalu. 

L’aventure commence un jour, alors qu’Esther Lukalu revient d’un de ses rendez-vous habituels. Arrivée à l’entrée de l’Institut Bokolo, (ex Bakayao) à Bandalungwa, une banderole des cours de rattrapage retient son attention.

« J’y suis entrée pour me renseigner. J’ai appris que je pouvais m’inscrire en tant qu’autodidacte, que je pouvais poursuivre la section pédagogie générale avec la chance d’obtenir mon diplôme la même année, si j’étais vraiment assidue aux cours », relate-t-elle.

Tout sourire, Esther Lukalu, confie avoir jalousement gardé ce secret à sa famille.

« Je vis actuellement avec une petite nièce et ma mère qui est assez âgée.  Mes fils, tous les trois ne pouvaient pas le savoir. J’ai tout de même informé une autre nièce (Nadine Mbuyi) qui m’a vraiment encouragé de m’y inscrire. Chaque jour dans l’après-midi, j’allais aux cours et tout le monde pensait que j’allais à l’église », explique la diplômée.

Covid-19 et Exetat

En mars 2020, le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi décrète l’état d’urgence sanitaire. Les activités scolaires sont donc réduites. Esther Lukalu se fatigue, elle n’a plus assez de courage pour aller aux cours de rattrapage. Cependant, les professeurs, ses encadreurs ne sont pas prêts à baisser les bras.

« Ils me disaient avoir vu ma volonté. Ils croyaient en moi. C’était une bonne chose. Dans la salle, j’étais la plus âgée de tous. Certains encadreurs venaient jusqu’à mon domicile pour m’enseigner. Ils insistaient tous sur le respect des instructions reçues », reconnait Esther Lukalu. Et de poursuivre, « Pendant les quatre jours, on pouvait mettre des pagnes, des robes et des jupes. Les épreuves n’étaient pas très difficiles parce que j’ai eu une très bonne préparation.  La seule difficulté que j’ai connu aux premiers jours de l’examen, c’était de me lever à 5heures du matin ».


« C’est fait, Maman ! Ta fille Esther a réussi »

Fin septembre, après de longs jours d’attente, les résultats sont enfin disponibles sur les réseaux de télécommunication. Cette nouvelle, Esther Lukalu l’apprend à l’Eglise. Des coups de sifflets retentissent. Elle est sereine, il faut arriver à la maison. 

« Je ne craignais pas d’échouer à cette édition 2019-2020. Je me disais que je pouvais reprendre autant de fois qu’il le fallait jusqu’à atteindre mon objectif. Je suis arrivée à la maison et une collègue m’a appris qu’elle avait réussi », dit Esther Lukalu. 

Direction, une cabine téléphonique. Là encore, prise par son désir de discrétion, cette mère dit vérifier des résultats pour sa fille.

« Ils m’ont demandé le code et ils ont vérifié à ma place. Et ils m’ont dit c’est fait Maman ! Ta fille Esther a réussi. Elle a obtenu 65%. C’est à ce moment là que j’ai tout avoué aux jeunes gens trouvés sur place. Non, ces résultats sont bien les miens, Esther Lukalu, c’est bien moi », raconte-t-elle.

Et sans cacher leur étonnement, les jeunes répondent « Félicitations Maman ».

 « Ma nièce Nadine m’a aussi appelé, je lui ai dit que j’avais réussi. Elle est venue à la maison at a commencé à appeler mes fils. Israël Tshipamba n’y a pas cru. Il a tout de suite demandé le code pour vérifier lui-même. Nous avons envoyé et tous mes fils, mes belles-filles et mes petits fils étaient dans l’étonnement », se rappelle Esther Lukalu, toute heureuse.

« Certains obstacles ne les sont que parce que nous les considérons comme tels »

Pour Elle, il n’est jamais trop tard pour reprendre le chemin de l’école.

« Je dirais aux femmes de savoir que le Congo d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui. Le Congo, le foyer, la société attend de la femme l’exercice de ses compétences au même niveau que l’homme. Il suffit d’avoir de la volonté et de la détermination, pour reprendre le chemin de l’école. Si certaines familles sont connues aujourd’hui, c’est aussi grâce aux efforts des filles qui y sont nées. A l’instar de l’actuelle première dame. Denise Nyakeru », dit-elle.

Après son diplôme d’Etat, Esther Lukalu veut se perfectionner en Français avant d’entamer une formation en informatique, car, précise-t-elle, « je sais que le monde actuel est numérique et sûrement à l’université j’aurais besoin de ces notions ».

Cette expérience a changé sa perception de la vie. « Certains obstacles ne les sont que parce que nous les considérons comme tels. Il faut les franchir, relever ces défis, pour réaliser qu’ils n’étaient pas un ».

Esther Lukalu a perdu son époux il y a 23 ans. Grâce au soutien de sa famille, celle de sa belle famille et son statut de bailleresse, elle a pu scolariser ses enfants et prendre soin d’elle-même. Elle s’est décidée de lutter contre le mariage précoce et encourager la scolarisation des jeunes filles. Sa photo a également été postée le 13 novembre, sur le compte Twitter de la délégation de l’Union Européenne en RDC.

Prisca Lokale