Message du 30 juin 2020 : invasions des armées étrangères, CENI, revendications sociales, médecins contre Covid-19 … des points essentiels non évoqués par F. Tshisekedi

Le président Félix Tshisekedi lors de son discours à la nation à l'occasion du 60e anniversaire de l'indépendance de la RDC/Ph Présidence

Le Président de la République a prononcé le traditionnel Message à la Nation dicté par la commémoration de l’indépendance. Occasion idéale de remobiliser les Congolais autour des idéaux des Pères de l’indépendance. Il s’est plutôt agi d’un très long texte, conforme à son style garni de promesses, aux accents d’un bilan à mi-parcours. Mais pour un très faible nombre de potentiels consommateurs à cause du taux très élevé d’analphabètes que compte le pays. Peut-être, devrait-on suggérer au Chef de l’Etat un bref message en langues nationales, pour communier avec tous les Congolais intéressés et à intéresser. Dans le fond, l’insistance sur l’éthique politique ne peut laisser impassible aucun Congolais épris de paix et de justice. Au-delà, dans cette approche de discours peu propice au contexte, le Président de la République n’est pas allé jusqu’au bout de sa logique. Il a passé sous silence des sujets essentiels : invasions du territoire national par des armées étrangères, CENI, revendications sociales, médecins engagés contre la Covid-19, …  Décryptage.

Invasions des armées étrangères 

Que vaut la célébration de l’indépendance et de la souveraineté d’un Etat partiellement occupé dans l’indifférence quasi générale des politiques, à quelques exceptions près, au point que le Président de la République n’en fait pas fait allusion comme si de rien n’était ? Qu’il s’agisse de la présence militaire zambienne dans des localités de l’ex-Katanga disputées par Lusaka et Kinshasa, ou des incursions à répétitions de l’armée rwandaise, plusieurs fois dénoncées par les populations locales dont la maitrise des mouvements des hommes en uniformes convie à l’attention. Les populations de l’Est en particulier n’ont-elles pas droit à l’information ni à l’écoute active sur la présence des soldats étrangers (qui seraient) en opérations dans leurs contrées ? Tout récemment, le 28 juin 2020, le Président Paul Kagamé fait savoir qu’« Apparemment, ces ONG (dont les rapports indiquent la présence des soldats rwandais dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, ndla) sont beaucoup plus présentes sur ce terrain que nous ne le sommesComme je vous l’ai dit, et il ne serait pas concevable que nous ayons des troupes dans ce pays sans son accord préalable. » 

Auparavant, le 27 avril, Paul Kagame a affirmé qu’« « Il n’y a pas un seul soldat des Forces de défense rwandaises qui s'est rendu sur ce territoire. Pas un seul. Le gouvernement de la République Démocratique du Congo connaît les faits. Il sait que les Forces de défense rwandaises ne sont pas là-bas. ». S’il est vrai que le Gouvernement congolais le « sait », pourquoi ne l’explique-t-il pas pour écraser les rumeurs virales et éteindre les contre-vérités ? L’on s’attendait à la réaction du Président Tshisekedi, nouvel allié de Paul Kagame. En vain, jusqu’à ce jour. Est-ce suite à une conscience chargée ou à un désintéressement ? Ni l’un ni l’autre ne devraient justifier ce long silence alors même que le Président de la République affirme dans son Message à la Nation : « Effectivement, comme un serpent de mer, la menace de la balkanisation aura traversé l’histoire de ces 60 dernières années, la rendant tumultueuse et trouble, sous l’instigation de puissances extérieures, en complicité avec des enfants du pays et des pays voisins. »

Comment comprendre que la RDC soit disposée à offrir ses bons offices pour la réconciliation de l’Egypte et l’Ethiopie ainsi que de l’Ouganda et du Rwanda, même s’il est imprudent d’en exagérer la portée, dans un contexte où le pays est victime des invasions des armées des pays voisins ? Les faits sont têtus.

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CENI

Depuis quelques semaines, l’actualité événementielle est marquée par l’élection contestée du successeur de Corneille Naanga à la tête de la Commission électorale nationale indépendante. Nul n’oublie la crise de légitimité des institutions nationales et de leurs animateurs émaillant l’histoire agitée de la RDC qui compte une vingtaine de Dialogues politiques depuis 1960. C’est aujourd’hui que le pays jette les bases des élections de 2023. Le silence du Chef de l’Etat complique le problème plus qu’il ne l’éclaire. Inutile, réalisme oblige, de rouvrir le chapitre de la vérité des élections de 2018. Mais comment éviter de retomber dans les mêmes erreurs ? La vision du Président aurait dû être déclinée dans ce discours aux allures d’une propagande. D’autant plus qu’il affirme  que « A 60 ans, on n’a plus d’excuses : à 60 ans, on ne commet plus les mêmes erreurs ; à 60 ans, on sort des discours creux et répétitifs et on prêche la sagesse et la droiture par l’exemple ; à 60 ans, on pense à l’héritage et aux valeurs à léguer aux générations futures. Il est temps que nos ambitions personnelles viennent en dernier lieu et que les ambitions de notre pays soient notre priorité. » Le mieux aurait été d’indiquer comment traduire ces mots en actes pour, notamment, les élections transparentes, équitables et apaisées en 2023.  

Revendications sociales

Plusieurs fois annoncée, mais jamais mise en œuvre, la réduction du train de vie des institutions nationales est devenue un refrain pour rebattre les oreilles aux Congolais d’une promesse sans lendemain. Des chiffres exorbitants avancés, très largement au-delà des prévisions, concernant les coûts du fonctionnement de la Présidence de la République et des revenus des membres du cabinet du Chef de l’Etat. En ce temps de crise sociale, les députés nationaux n’ont pas dissimulé leur calcul de préparations du rendez-vous électoral de 2023 en demandant au Gouvernement un réajustement à la hausse de leurs émoluments. Tollé général non sans raison …

Mais le Président de la République n’avait-il jadis promis de faire montre de transparence en rendant publics ses revenus en tant que Chef de l’Etat ? Pourquoi cette promesse tarde-t-elle à devenir réalité ? Si solidarité il y a, ne devrait-il pas, lui au plus haut sommet, en être le modèle, y compris dans l’alimentation du Fonds national de solidarité pour la lutte contre la Covid-19 ? Pourquoi le Président de la République garde-t-il silence sur cette question qui attesterait le mieux le niveau de compassion qu’il éprouverait pour ses populations lourdement touchées par les effets néfastes de la Covid-19 ?

« Jugez vous-même de notre héritage commun, 60 ans après : Alors que le revenu moyen par habitant était de 1000 dollars américains en 1960, il est estimé à 400 dollars américains aujourd’hui, en termes constants ; autrement dit, le congolais moyen a perdu 60 % de sa richesse au cours des 60 dernières années. »  Le Président de la République aurait été plus percutant en expliquant à la nation comment il entend concrètement et, dans le contexte actuel de crise, assurer, dans la mesure du possible, la justice distributive. Plutôt que de promettre un lendemain meilleur à des quidams qui n’ont pas encore perçu leurs salaires de juin, sans la moindre explication ni une simple expression de regret.

Médecins engagés dans la riposte contre la Covid-19

On n’y croyait pas. On les voit passer à l’autre rive, on les reconnait. La Covid-19 fait des victimes, y compris parmi les personnels médicaux et paramédicaux, en première ligne dans la guerre sanitaire contre la Covid-19. Ces vaillants soldats sont cependant remerciés par le silence dont la signification ne pourrait relever de l’expression de la gratitude. Ils ont enregistré deux mois d’impaiement.

Par ailleurs, il est annoncé l’effectivité de Lumumbaville, sur le plan normatif. D’où il nous voit, Emery Patrice Lumumba est-il fier de la création d’une ville portant son nom sans infrastructures de viabilisation ? Le doute est permis, malgré la bonne foi à la base de cette démarche visant à lui rendre honneur. Bien contraire, le visage de cette ville annoncée pourrait produire des effets contraires dans le chef de la jeunesse et des touristes attachés à la figure du héros congolais. N’aurait-on pas mieux fait de jeter les meilleures bases avant de passer à l’officialisation ? Apparemment, on n’a pas encore assez tiré les leçons des provinces et des villes créées à la va-vite sur base des considérations subjectives et politiciennes sous prétextes de la mise en œuvre de la décentralisation dictée par la Constitution.

Le langage tenu sur le procès de 100 jours tend à confirmer l’hypothèse postulant que l’affaire judiciaire y afférente ne découlerait pas de l’initiative du Chef de l’Etat. Toutefois, ça atteste des avancées dans l’affirmation de l’indépendance de la justice. Mais, au-delà de l’enthousiasme pour l’état de droit, aucune vision claire sur comment améliorer les conditions de travail des magistrats, permettre le recrutement de nouveaux magistrats compte tenu des standards internationaux, et rencontrer ces exigences avec les contraintes budgétaires du pays, bref en renforcer les conditions structurelles. Etc. Pareille pour la gratuité de l’enseignement de base comme si tout était parfait, pas de vision mobilisatrice pour rectifier les tirs…

Ceci atteste l’imprudence d’avoir produit un discours de bilan à mi-parcours aux allures de propagande dans un contexte historique très symboliquement chargé. L’heure est plutôt à la remobilisation des citoyens autour des idéaux exprimés dans l’Hymne national. Le Président de la République ne se rendrait pas bon service en multipliant des promesses au gré de circonstances sans préciser rigoureusement le rythme et la qualité de leur exécution.

« Le discours politique qui se construit autour d’un paramètre populiste tendant à faire oublier la somme des platitudes internes (…) révèle que la manipulation est au centre de stratégies de mobilisation. Ce type de discours n’est pas approprié à un peuple adulte. »  

JJ MWENEU